– À qui le dites-vous! Aussi, quand je serai roi, je vous promets une chose.
– Laquelle? de vous appeler Malicorne Ier?
– Non, de vous faire surintendant de mes finances; mais ce n'est point de cela qu'il s'agit.
– Malheureusement.
– Il s'agit de me procurer une seconde charge de fille d'honneur.
– Mon ami, vous me promettriez le ciel que je ne me dérangerais pas dans ce moment-ci.
Malicorne fit sonner sa poche.
– Il y a là vingt pistoles, dit Malicorne.
– Et que voulez-vous faire de vingt pistoles, mon Dieu?
– Eh! dit Malicorne un peu fâché, quand ce ne serait que pour les ajouter aux cinq cents que vous me devez déjà!
– Vous avez raison, reprit Manicamp en tendant de nouveau la main, et sous ce point de vue je puis les accepter. Donnez-les moi.
– Un instant, que diable! il ne s'agit pas seulement de tendre la main; si je vous donne les vingt pistoles, aurai-je le brevet?
– Sans doute.
– Bientôt?
– Aujourd'hui.
– Oh! prenez garde, monsieur de Manicamp! vous vous engagez beaucoup, et je ne vous en demande pas si long. Trente lieues en un jour, c'est trop, et vous vous tueriez.
– Pour obliger un ami, je ne trouve rien d'impossible.
– Vous êtes héroïque.
– Où sont les vingt pistoles?
– Les voici, fit Malicorne en les montrant.
– Bien.
– Mais, mon cher monsieur Manicamp, vous allez les dévorer rien qu'en chevaux de poste.
– Non pas; soyez tranquille.
– Pardonnez-moi.
– Quinze lieues d'ici à Étampes…
– Quatorze.
– Soit; quatorze lieues font sept postes; à vingt sous la poste, sept livres; sept livres de courrier, quatorze; autant pour revenir, vingt-huit; coucher et souper autant; c'est une soixantaine de livres que vous coûtera cette complaisance.
Manicamp s'allongea comme un serpent dans son lit, et fixant ses deux grands yeux sur Malicorne:
– Vous avez raison, dit-il, je ne pourrais pas revenir avant demain.
Et il prit les vingt pistoles.
– Alors, partez.
– Puisque je ne pourrai revenir que demain, nous avons le temps.
– Le temps de quoi faire?
– Le temps de jouer.
– Que voulez-vous jouer?
– Vos vingt pistoles, pardieu!
– Non pas, vous gagnerez toujours.
– Je vous les gage, alors.
– Contre quoi!
– Contre vingt autres.
– Et quel sera l'objet du pari?
– Voici. Nous avons dit quatorze lieues pour aller à Étampes.
– Oui.
– Quatorze lieues pour revenir.
– Oui.
– Par conséquent vingt-huit lieues.
– Sans doute.
– Pour ces vingt-huit lieues, vous m'accordez bien quatorze heures?
– Je vous les accorde.
– Une heure pour trouver le comte de Guiche?
– Soit.
– Et une heure pour lui faire écrire la lettre à Monsieur?
– À merveille.
– Seize heures en tout.
– Vous comptez comme M. Colbert.
– Il est midi?
– Et demi.
– Tiens! vous avez une belle montre.
– Vous disiez?.. fit Malicorne en remettant sa montre dans son gousset.
– Ah! c'est vrai; je vous offrais de vous gagner vingt pistoles contre celles que vous m'avez prêtées, que vous aurez la lettre du comte de Guiche dans…
– Dans combien?
– Dans huit heures.
– Avez-vous un cheval ailé?
– Cela me regarde. Pariez-vous toujours?
– J'aurai la lettre du comte dans huit heures?
– Oui.
– Signée?
– Oui.
– En main?
– En main.
– Eh bien, soit! je parie, dit Malicorne, curieux de savoir comment son vendeur d'habits se tirerait de là.
– Est-ce dit?
– C'est dit.
– Passez-moi la plume, l'encre et le papier.
– Voici.
– Ah!
Manicamp se souleva avec un soupir, et s'accoudant sur son bras gauche, de sa plus belle écriture il traça les lignes suivantes: «Bon pour une charge de fille d'honneur de Madame que M. le comte de Guiche se chargera d'obtenir à première vue. De Manicamp.» Ce travail pénible accompli, Manicamp se recoucha tout de son long.
– Eh bien? demanda Malicorne, qu'est-ce que cela veut dire?
– Cela veut dire que si vous êtes pressé d'avoir la lettre du comte de Guiche pour Monsieur, j'ai gagné mon pari.
– Comment cela?
– C'est limpide, ce me semble; vous prenez ce papier.
– Oui.
– Vous partez à ma place.
– Ah!
– Vous lancez vos chevaux à fond de train.
– Bon!
– Dans six heures, vous êtes à Étampes; dans sept heures, vous avez la lettre du comte, et j'ai gagné mon pari sans avoir bougé de mon lit, ce qui m'accommode tout à la fois et vous aussi, j'en suis bien sûr.
– Décidément, Manicamp, vous êtes un grand homme.
– Je le sais bien.
– Je pars donc pour Étampes.
– Vous partez.
– Je vais trouver le comte de Guiche avec ce bon.
– Il vous en donne un pareil pour Monsieur.
– Je pars pour Paris.
– Vous allez trouver Monsieur avec le bon du comte de Guiche.
– Monsieur approuve.
– À l'instant même.
– Et j'ai mon brevet.
– Vous l'avez.
– Ah!
– J'espère que je suis gentil, hein?
– Adorable!
– Merci.
– Vous faites donc du comte de Guiche tout ce que vous voulez, mon cher Manicamp?
– Tout,