Nous ne voulons pas essayer une biographie de Benton Nicholson; c'est une célébrité que nous amenons sur le continent, et le public n'aime à entendre longuement parler que des gens qu'il connaît. Tout au plus, nous essayons quelques traits du Falstaff juge. «Les peintres, dit le vieil anecdotier, prennent la ressemblance de leurs portraits dans les yeux et les traits du visage où le naturel éclate plus sensiblement, et négligent le reste.» Ainsi faisons-nous, ne tentant qu'une animée silhouette et un buste rieur du Chief baron.
Nicholson a été rédacteur de quatre grands journaux; il a donné des articles au Times; il est l'auteur de Dombay et sa fille, roman dans la manière de Dickens. Après le succès de Gavarni in London, il a publié un journal périodique, sorte de Tintamarre anglais, intitulé Don Giovanni in London. Une chose que l'on ne sait guère, même en Angleterre, c'est que peu s'en est fallu que Nicholson ne fondât le Punch. Ce fut dans la chambre de Nicholson, alors prisonnier pour dettes, que fut discutée et résolue la venue au monde du drôlatique journal. M. A. Henning avait apporté le Charivari de Paris. Les questions matérielles du Charivari de Londres réglées, le bureau du journal fut ainsi composé: M. Nicholson, rédacteur; M. Landell, graveur; M. Last, imprimeur. Mais Nicholson ne put sortir de prison aussi vite qu'il le désirait, et MM. Last et Landell, privés du concours de Nicholson, appelèrent à la rédaction M. Gilbert Beckett, M. Henri Mayhew, M. Grattan, et M. Mark Lémon, qui fut le parrain du journal; et l'appela de ce bienheureux nom: Punch.
Nicholson commença son rôle sur une scène médiocre à la Tête de Garrick; mais il n'était alors qu'un juge d'occasion. Ce fut sous lord Melbourne que Nicholson fut élevé à la dignité de chef baron, et représenté dans une colossale peinture avec la robe d'hermine «de son feu regrettable confrère Jenterden». La première foi qu'il porta cette fameuse robe, il eut la visite de Jean Adolphus, le père du barreau anglais «qui joignait à l'esprit, à la sagesse, à la légale sagacité, le génie non encore vu de faire naître un scandale d'un scandale».
Depuis lors, sa réputation ne fit que grandir; il n'eut plus seulement des oisifs, ou de jeunes avocats venant apprendre «à cette mimique du Forum» la repartie vive et l'ironie improvisée, il eut des membres du parlement; que dis-je? il les fit jouer dans sa grave parade, et les fit s'asseoir comme jurés à son banc plaisant.
Ce fut un de ces jours-là sans doute que Nicholson, mis en verve par son public, prononça cette burlesquement sérieuse apologie de sa Mimic Court:
«Ce n'est pas, messieurs du jury, que je veuille médire du talent ou de la sagesse des cours inférieures, Courts of Chancery, Court of Queen's Bench Exchequer, Common-Pleas, Old-Bayley; non, messieurs, ils ont le génie, ils ont la science; mais, messieurs, il leur manque ce qui ne manque pas au savant conseil; il leur manque ce que nous avons: une bar au-dessous de la bar4. La bar du dessous donne l'inspiration, l'esprit, l'énergie à la bar du dessus. Messieurs du jury, croyez-vous que les arguments de sir William Follet perdraient de leur à-propos arrosés d'eau-chaude et de rhum? ou encore que les métaphores ingénieuses de L. Charles Phillips perdraient toute leur grâce pour tremper leurs lèvres à un verre de whiski? Songez encore, messieurs du jury, quel allégement ce serait à mon savant confrère Denman s'il pouvait seulement allumer un cigare et prendre un grog au gin. Messieurs du jury, la panacée des timidités, le coup de fouet de l'éloquence, le générateur de l'argument, le médecin de la raison, c'est un verre de champagne. Voltaire l'a dit:
«L'homme devient éloquent sous l'influence des grandes passions ou des grands intérêts. Mon grand intérêt, c'est l'excitant; ma grande passion, c'est le verre de champagne; et je suis appuyé par ce philosophe dans mon opinion que l'homme parle et argumente mieux sous l'impression des excitants que lorsqu'une sage sobriété siége seule, en son chagrin, sur le trône de l'intelligence.»
Nicholson est un homme de sport; c'est un parieur distingué. Un rédacteur du London-News nous disait qu'il avait une façon particulière de juger les chevaux à l'oreille. Il se fait remplacer pendant la saison des courses, où à Epsom, à Ascot, à Hampton, escortée de sa tente monstre en toile, sa seigneurie fatigue une salade, coupe une tranche de rosbeef, remplit un verre d'ale, «offrant le premier exemple du premier juge qui ait jamais vendu du bœuf à une course de chevaux».
Nicholson a un petit lever. Les boxeurs, les maquignons, quelques acteurs viennent lui faire leur cour. La ruelle est le rendez-vous des nouvelles du Ring; c'est l'endroit de Londres où on sait le mieux et le plus tôt combien de rounds a donnés Harry-Broome.
Ses occupations sévères de chef baron ne l'empêchent pas de revenir quelquefois à la littérature. Le grave emperruqué met alors à son esprit «des bas couleur de rose». Une fable s'échappe de sa plume entre deux résumés de la taverne:
«L'Amour et la Mort convinrent de voyager ensemble. La Discorde les surprit au milieu de leur sommeil et mêla leurs flèches. C'est ainsi que l'Amour, quand il se propose de frapper les jeunes d'une tendre passion, tue souvent, et que la Mort, quand elle lance sur les vieux la flèche fatale, allume un doux attachement.»
Ne dirait-on pas le goût d'une odelette d'Anacréon? – Nicholson dit plaisamment, à propos de ses œuvres rimées, «qu'il est le plus pesant barde d'Angleterre, un barde de 266 livres».
Mais, après sa fable, vite il remonte à son siége, il retourne à sa baronnie; il recommence, applaudi, sa farce étonnante. Il sait que toute sa gloire est dans sa toge risible, et il se résume ainsi lui-même dans l'autobiographie de sa main qu'il nous a envoyée: «Je vous livre ceci, non comme une sérieuse archive, mais comme un satirique souvenir, mon objet étant toujours d'exciter un rire dans mon auditoire par ma moqueuse grandeur.»
UNE PREMIÈRE AMOUREUSE5
La Haye, avril 1845
Me voici établie ici, ma chère mignonne. J'ai un très-joli appartement qui donne sur la place du Marché. Ma chambre à coucher est tendue en rose; j'ai des jardinières en bambou avec des tulipes qui coûtent très-cher, à ce qu'il paraît; la petite cage chinoise que nous avons achetée ensemble au Havre, et dedans des oiseaux bleus et rouges, sur ma fenêtre: – et vous savez mon nid par cœur. Les indigènes sont très-curieux de moi. J'arrose mes tulipes. Je ne vis pas beaucoup. C'est le mieux. Si vous étiez ici, chère belle, je crois vraiment que je ne regretterais rien de Paris.
Dites à Élisa que je ne puis rien pour elle en ce moment; j'ai été assez malade; mon entretien ici est coûteux. En deux mots, je suis à sec. Qu'elle prenne patience. J'ai de fort belles robes, que je ne puis vendre puisqu'elles me sont nécessaires pour le théâtre; un bracelet qui ne me quitte jamais, et auquel je ne toucherais pas pour nourrir ma mère. Vous savez, chère amie, que ce n'est pas le cœur qui me manque; mais je suis au fond de ma bourse en ce moment, je vous assure. Que deviennent Edgar et Léon? Que devient Paris? Je n'ai rien à vous dire. Je vous écris absolument pour que vous me répondiez.