Devant ce spectacle, l'homme de la fin du XVIIe siècle en venait à se dire que la cause des querelles et des violences entre les hommes était la religion elle-même, quelle qu'elle fût, et qu'il fallait détruire toute religion.
Surtout l'intervention du pouvoir civil dans les querelles religieuses, alors que le pouvoir civil n'était menacé en rien et n'avait nullement affaire, sous la secte religieuse, à un parti politique, surtout cela amenait comme naturellement un homme d'esprit moyen à se dire que les religions étaient les mauvais démons des pouvoirs civils et leur donnaient de détestables inspirations, et c'était droit au mauvais démon qu'il poussait, et le mauvais démon qu'il dénonçait et voulait détruire.
Il ne savait pas dire aux gouvernements: «Ne vous mêlez jamais d'affaires religieuses et laissez les religions se quereller par la parole et se disputer les populations par la parole; et n'intervenez que comme chef de police quand elles déchaînent la guerre civile, et alors avec une parfaite impartialité; et, en d'autres termes, soyez neutres tant qu'on parle; et, quand on agit, n'intervenez que pour qu'on cesse d'agir: et réprimez la guerre civile, ne la faites pas.»
Il ne savait pas dire cela aux gouvernements; mais sachant, non sans raison historique, que les gouvernements intervenaient toujours, soit pour une religion, soit pour une autre, il se disait plutôt: «Ce qu'il faudrait, c'est qu'il n'y eût plus de religion du tout; ce qu'il faudrait, c'est que la cause pour laquelle les gouvernements font des guerres à l'intérieur disparût.»
A se déchirer les unes les autres, les religions ont fait souhaiter que toutes disparussent; à soutenir les sectes religieuses les unes contre les autres, les gouvernements ont fait souhaiter que toutes les religions cessassent d'être.
Quand on proscrit, sans la moindre utilité démontrée, successivement protestants, jansénistes et quiétistes, en définitive, ce sont des athées que l'on fait.
La prodigieuse rapidité avec laquelle, sinon la France, du moins la classe dite éclairée, en France, est devenue irréligieuse, ou indifférente en matière de religion, ou sarcastique à l'égard des religions, dès le commencement du XVIIIe siècle, s'explique, à mon avis, par ce qu'il y avait de prodigieusement inutile, de prodigieusement dénué de raison et même de prétexte et de prodigieusement stupide dans les longues persécutions religieuses du XVIIe siècle.
CHAPITRE III
L'ANTICLÉRICALISME AU XVIIIe SIÈCLE
L'anticléricalisme au XVIIIe siècle fut plus bruyant qu'il ne fut profond. Comme le prouve tout ce qu'on connaît des cahiers de 1789, il ne pénétra que fort peu dans les couches dites inférieures de la nation. Comme tendent à le prouver quelques procès célèbres du XVIIIe siècle où les choses religieuses sont mêlées, la population aussi bien du midi que du nord était encore très catholique et très cléricale. C'est Voltaire et c'est du reste tout ce qui nous est rapporté par tout le monde sur les affaires Calas, Sirven et La Barre qui nous sont témoins que la population de Toulouse et de la province de Toulouse, que la population d'Abbeville et de la région d'Abbeville étaient «unanimes» contre Calas, contre Sirven et contre La Barre. Les passions catholiques étaient tout aussi fortes dans la bourgeoisie et dans le peuple au XVIIIe siècle qu'au XVIIe.
M. Cruppi l'a dit et, du reste, rien n'est plus évident, si le jury eût existé au XVIIIe siècle, Calas, Sirven, La Barre et d'Etallonde eussent été condamnés; Calas et La Barre eussent été suppliciés tout comme ils l'ont été par l'arrêt des juges. La chose seulement eût été plus certaine dès le premier moment de l'affaire. Il n'y a aucun doute sur ce point.
Quant à la magistrature, elle était en immense majorité catholique; mais elle l'était d'une façon particulière. Elle était toute janséniste. Elle lutta, depuis le commencement du siècle jusqu'en 1771, contre les évêques et les curés ultramontains et dominés par l'influence des Jésuites, qui refusaient les sacrements aux jansénistes. Elle était janséniste, gallicane et antipapiste; elle voyait, non sans raison, dans les jansénistes des hommes indépendants qui ne se croyaient pas obligés de penser exactement en religion et en autres choses comme le roi voulait qu'on pensât; mais elle était profondément catholique et d'autant plus sérieusement, d'autant plus intimement, d'un sentiment d'autant plus réfléchi et d'autant plus passionné que, précisément, elle était janséniste et de la religion de Pascal.
Or la magistrature, c'était la bourgeoisie; c'était la grande bourgeoisie française; c'était la bourgeoisie française assez riche, fort instruite et fort éclairée, très patriote, catholique gallicane et catholique libérale, antiprotestante, à tendances ou à sympathies jansénistes, adversaire, généralement, de la noblesse et du haut clergé, adversaire du despotisme, dévouée au roi, mais indépendante à son égard et voulant qu'il fût respectueux des «lois fondamentales». Il y eut accord presque parfait entre la bourgeoisie française et la magistrature jusqu'aux approches de la Révolution de 1789.
On peut donc dire qu'au XVIIIe siècle l'anticléricalisme ne pénétra pas très profondément. Il n'atteignit ni le peuple, ni la petite bourgeoisie, ni la grande. Il fut encore très nettement en minorité et en minorité très faible.
Mais il fut bruyant et très brillant, parce qu'il fut très répandu parmi les hommes de lettres, qui étaient devenus comme une classe dans la nation.
On peut dire que ce fut le XVIIe siècle qui fut encore cause de cela et que le XVIIe siècle contribua de loin, très indirectement et très involontairement, à la cause de l'anticléricalisme, en ce sens que c'est sa gloire littéraire qui fit des hommes de lettres une classe, et une classe très considérable, et qu'il se trouva que les hommes de lettres, après lui, furent anticléricaux.
Imaginez, après Balzac, Descartes, Corneille, Molière, La Rochefoucauld, Sévigné, Bossuet, Racine, Boileau, La Bruyère et le retentissement de ces grands noms dans toute l'Europe et la diffusion, grâce à eux, de la langue française dans toute l'Europe, et la gloire européenne de la France, gloire qu'elle sent qu'elle doit principalement à ses hommes de lettres, imaginez bien ce que c'est qu'un homme de lettres en 1700.
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