La Becquée. Boylesve René. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Boylesve René
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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qui est-ce qui serait en état de vous le dire? Ils vont tirer sur la route de la Ville-aux-Dames.

      – C'est cela! de sorte que nous aurons l'avantage de traverser de nouveau ce tohu-bohu en retournant à Courance! La jument a failli s'emporter…

      Sur le siège, Fridolin aspirait l'air, du coin de la lèvre: il savait le faire siffler par une petite brèche entre les dents. C'est ainsi qu'il préparait ses paroles.

      – J'en demande bien pardon à madame. Ça serait-il l'heure de rencontrer Bismarck, je réponds de ma jument.

      Félicie entra. Lorsqu'elle fut dans l'ombre du corridor, elle pinça la manche d'Adèle:

      – Ma fille, il ne s'agit pas de perdre de temps. Vous allez me faire un paquet de l'argenterie, entendez-vous? Comptez-la, et mettez-moi les chiffres sur un bout de papier. Il faut enterrer tout ce qui a de la valeur. J'aurais voulu voir monsieur pour les bijoux de madame…

      – Vous allez la voir, ma'me Planté. Elle est avec les demoiselles Pergeline. Et ne lui parlez point de tout ça, bien entendu… Hé! là là, mon Dieu, faut-il!..

      Adèle continua de gémir en ficelant les cuillers, les fourchettes, les couteaux à fruits, des compotiers, la truelle à poisson, ma timbale… Elle s'interrompait pour aller au puits. La poulie chantait comme un moineau au coucher du soleil, et la bonne du capitaine était informée.

      Georgette et Marguerite descendirent, avec la permission de m'emmener chez elles pour me faire aller à la balançoire. Le sol de leur jardin avait la coriacité du roc; on voyait, çà et là, dans les plates-bandes, de malheureux choux gelés. Mes amies me lançaient très haut, mais elles m'arrêtaient vite, de peur que je n'eusse mal au coeur; et elles montaient à ma place, toutes les deux, nez à nez, et pour longtemps, en parlant mariage.

      – Quand est-ce que vous aurez fini?

      – Bientôt.

      Mais elles ployaient les genoux pour s'élancer de nouveau: leurs robes formaient tour à tour une grande pointe derrière les jambes, et le vent froid leur rougissait les joues.

      Madame Pergeline, leur mère, me composa une tartine de mirabelles, et m'apprit qu'on se disposait à m'emballer avec l'argenterie pour me transporter à Courance.

      – Vois-tu, mon petit, tu commences à faire trop de bruit dans la maison, pour ta pauvre maman. Et puis, on ne sait pas ce qui peut arriver…

      Quand je rentrai, la calèche était encore à la porte, et Fridolin, selon sa coutume, adressait à un groupe d'hommes des expressions à lui toutes particulières, sentencieuses et comme découpées dans l'airain. Je trouvai Félicie en compagnie de mon père qui me toucha l'oreille et me dit:

      – C'est toi, gamin?

      Félicie frappait, du poing, une petite table:

      – Si vous avez quatre sous, disait-elle, achetez de la terre, ils ne l'emporteront pas à leur semelle!

      Il objectait qu'on l'accuserait d'avoir profité de la panique. Félicie s'agitait:

      – Si j'avais seulement un rouge liard, moi!.. Mais, en dehors des fermages de Courance, pas ça, voyez-vous, pas ça!

      Mon père sourit, en notaire qui connaissait la propriété de Courance, et un peu en héritier.

      – Voulez-vous que nous échangions votre fortune et la mienne?

      – Ah! vous croyez que c'est brillant, vous? avec toutes les bouches que j'ai à nourrir: mes deux tantes Adélaïde et Victoire; la vieille tante Gillot; ma soeur, Célina, depuis la ruine de cet écervelé de Fantin, – lequel me tombera sur les bras un jour ou l'autre; – le frère de votre femme, Philibert, qui crie la faim à Paris; sans compter la fille du métayer Pidoux, que mon mari s'est mis en tête d'élever comme une princesse!..

      On avait allumé la lampe. De Félicie, on ne voyait guère que la main extrêmement blanche, fine, aux fibres mobiles, aux vaisseaux saillants, et qui battait avec entêtement la table. Mon père était un peu coquet: il avait gardé son sabre; et chacun de ses mouvements nous valait un cliquetis insolite.

      – J'emmène le petit, dit Félicie. Avez-vous les bijoux?

      – Mais non! ils sont dans l'armoire, en face de «son» lit.

      – Voyons?.. Pendant que l'enfant lui dira adieu, faites donc semblant de prendre un mouchoir.

      Nous montâmes à la chambre, en marchant sur la pointe des pieds. Dès la porte, nous entendîmes ma mère sangloter. Elle était au lit; elle s'épongeait les yeux; et le chagrin lui tirait par en bas les deux coins de la bouche.

      On m'approcha du lit. Je me sentis pris à la taille par ce bras blanc qu'on m'abandonnait le matin pour jouer, quand je venais dire bonjour. Il me souleva, je ne sais comment; je me trouvai sur le lit, dans les larmes et dans les baisers.

      – Mon pauvre petit, pourvu que je te revoie!..

      – Oui, maman.

      On disait derrière nous:

      – Ce n'est pas une séparation éternelle…

      – Que sera-ce plus tard, quand il ira au collège?

      – Et quand il sera soldat!

      La bouche qui pressait mes cheveux balbutia au milieu des hoquets:

      – Au moins, es-tu content d'aller à Courance?

      Je répondis:

      – Oui.

      Et je lui aurais fait tant de plaisir en lui disant: «Cela m'ennuie de te quitter!» Mais j'ai pensé à dire cela vingt ans plus tard.

      Félicie et mon père m'arrachèrent, et me portèrent jusque sur le palier.

      – Et les bijoux? demanda la tante.

      – Sacrédié! je les ai oubliés.

      Le long du chemin, dans la nuit, je ne songeais qu'au plaisir de coucher à Courance. Cela ne m'était arrivé qu'une fois, un soir qu'il pleuvait trop pour revenir à Beaumont. Et je me rappelais le petit lit, dans la chambre de Valentine Pidoux, qui était chargée de veiller sur moi. Cinq ou six fois elle me réveillait pour me demander si la pluie m'empêchait de dormir. Mais, le matin, par exemple, quel beau soleil, et comme tout était plus grand et plus clair que chez nous! La fenêtre donnait sur des touffes de lilas humides: les grappes fleuries venaient si près, qu'en se penchant on pouvait s'y mouiller la figure. Et, juste au-dessous, on voyait le bonnet blanc et le dos bombé de la Boscotte assise sur une chaise, les pieds sur un tabouret, et ourlant des serviettes. Fridolin chauffait le four; la fumée rousse conservait l'odeur de la flambée de genévriers et de bruyères. La cuisinière, Clarisse, portait sur sa tête des panerées de pâte bien levée, mobile comme une chair grasse. On entendait les coqs, les moineaux, les pigeons, les aboiements du chien Mirabeau, et le beuglement des veaux dans l'étable. Sous le grand marronnier blanc, tout en fleur, il y avait un tas de sable pour jouer, et on savait qu'on pourrait boire du lait frais à plein bol. Enfin, une à une, arrivaient mesdemoiselles Victoire et Adélaïde, deux vieilles filles jumelles, mes arrière-grand'tantes, grand'mère Fantin et Félicie, qui criaient d'en bas:

      – Valentine! Valentine! est-ce que le petit a bien dormi?

      Après quoi, on voyait l'oncle Planté, le mari de Félicie, habillé de velours à côtes, gagner la campagne par la petite porte jaune. Il ne comptait guère dans la maison, parce que Félicie lui préférait M. Laballue, un vieil ami qu'on appelait Sucre-d'Orge, à cause de son bon caractère. L'oncle Planté partait, au temps de la chasse, avec son fusil et son chien; battait les landes et les bois, et rentrait le plus souvent bredouille, en jurant comme un charretier. Le reste de l'année, il jardinait, à moins qu'il ne s'enfermât dans un pavillon à lui, où l'on disait qu'il triait des graines. On l'aimait beaucoup en secret, malgré sa rudesse; et ceux qui tenaient à ses faveurs ménageaient Valentine.

      Valentine était l'aînée des dix enfants du métayer voisin, âgée de dix-huit ans, dodue, gâtée par le bien-être.

      – Il faudra