On dit que la loi-céréale doit être continuée pour maintenir le salaire de l'ouvrier. Mais, comme ce philosophe d'autrefois, qui démontra le mouvement en se prenant à marcher, l'ouvrier répond en montrant son métier abandonné et sa table vide. (Applaudissements.) – On dit encore que nous devons nous rendre indépendants de l'étranger; mais la dépendance et l'indépendance sont toujours réciproques, et rendre la Grande-Bretagne indépendante du monde, c'est rendre le monde indépendant de la Grande-Bretagne. (Bruyantes acclamations.) Le monopole isole le pays de la grande famille humaine; il détruit ces liens et ces avantages mutuels que la Providence avait en vue le jour où il lui plut de répandre tant de diversité parmi toutes les régions du globe. La loi-céréale est une expérience faite sur le peuple; c'est un défi jeté par l'aristocratie à l'éternelle justice; c'est un effort pour élever artificiellement la valeur de la propriété d'un homme aux dépens de celle de son frère. Ceux qui taxent le pain du peuple taxeraient l'air et la lumière s'ils le pouvaient; ils taxeraient les regards que nous jetons sur la voûte étoilée; ils soumettraient les cieux avec toutes les constellations, et la chevelure de Cassiope, et le baudrier d'Orion, et les brillantes Pléiades, et la grande et la petite Ourse au jeu de l'échelle mobile. (Rires et applaudissements prolongés.) – On a fait valoir en faveur de la nouvelle loi un autre argument. «Elle est jeune, a-t-on dit, expérimentez-la encore quelque temps.» Oh! l'expérience a déjà dépassé tout ce que le peuple peut endurer; et il est temps que ceux qui la font sachent bien qu'ils assument sur eux, non plus seulement une responsabilité ministérielle, mais ce qui est plus solennel et plus sérieux, une responsabilité toute personnelle. (Applaudissements prolongés.) La Ligue fait aussi son expérience. Elle est venue de Manchester pour expérimenter l'agitation. Il fallait bien que l'expérience des landlords eût sa contre-épreuve; il fallait bien savoir s'ils seront à tout jamais les oppresseurs des pauvres. (Applaudissements.) La Ligue et sir Robert Peel ont, après tout, une cause commune. L'une et l'autre sont les sujets ou plutôt les esclaves de l'aristocratie. L'aristocratie, en vertu de la possession du sol, règne sur la multitude comme sur les majorités parlementaires. Elle commande au peuple et à la législature. Elle possède l'armée, donne la marine à ses enfants, s'empare de l'Église et domine la souveraine. Notre Angleterre, «grande, libre et glorieuse,» est attelée à son char. Nous ne pouvons nous enorgueillir du passé et du présent, nous ne saurions rien augurer de l'avenir; nous ne pouvons nous rallier à ce drapeau qui, pendant tant de siècles, «a bravé le feu et l'ouragan;» nous ne pouvons exalter cet audacieux esprit d'entreprise qui a promené nos voiles sur toutes les mers; nous ne pouvons faire progresser notre littérature, ni réclamer pour notre patrie ce que Milton appelait le plus élevé de ses priviléges: «enseigner la vie aux nations.» Non, toutes ces gloires n'appartiennent pas au peuple d'Angleterre; elles sont l'apanage et comme les dépendances domaniales d'une classe cupide… La dégradation, l'insupportable dégradation, sans parler de la détresse matérielle, qu'il faut attribuer à la loi-céréale, est devenue horrible, intolérable. C'est pourquoi, nous, ceux d'entre nous qui appartiennent à la métropole, nous accueillons avec transport la Ligue au milieu de nous; nous devenons les enfants, les membres de la Ligue; nous vouons nos cœurs et nos bras à la grande œuvre; nous nous consacrons à elle, non point pour obéir à l'aiguillon d'un meeting hebdomadaire, mais pour faire de sa noble cause le sujet de nos méditations journalières et l'objet de nos infatigables efforts. (Bruyantes acclamations.) Nous adoptons solennellement la Ligue; nous nous engageons à elle comme à un covenant religieux (applaudissements enthousiastes); et nous jurons, par celui qui vit dans tous les siècles des siècles, que la loi-céréale, cette insigne folie, cette basse injustice, cette atroce iniquité, sera radicalement abolie. (Tonnerre d'applaudissements. L'assemblée se lève d'un mouvement spontané. Les mouchoirs et les chapeaux s'agitent pendant longtemps.)
M. Gisborne succède à M. Fox.
Le Président: Avant de donner la parole à M. Cobden, je dois informer l'assemblée qu'à l'occasion du dernier débat du parlement, des pétitions nombreuses sont parvenues à l'honorable gentleman, celle de Bristol étant revêtue de quatorze mille signatures.
M. Cobden: Après les remarquables discours que vous venez d'entendre, et quoique je sois un vieux praticien de semblables meetings, je dois dire que je n'en ai jamais entendu qui les aient surpassés; après le discours si philosophique de M. Wilson, l'éloquence émouvante de M. Fox, l'ingénieuse et satirique allocution de mon ami, M. Gisborne, il eût mieux valu, sans doute, et j'aurais désiré que vous eussiez été laissés à vos méditations; mais l'autorité de votre président est absolue, et, si je lui cède, c'est qu'elle constitue la meilleure