Du temps des Aztèques, le territoire, qui aujourd'hui forme l'État de Puebla, était considéré par les habitants comme une Terre Sainte privilégiée, et le sanctuaire de la religion. Des ruines considérables, et surtout fort remarquables au point de vue archéologique, attestent encore aujourd'hui la vérité de ce que nous avançons; trois pyramides principales existent dans un espace fort restreint, sans parler des ruines qui se rencontrent à chaque pas sous les pieds des voyageurs.
De ces trois pyramides, une surtout est célèbre à juste titre, c'est celle à laquelle les habitants du pays donnent le nom de Monte hecho a mano, montagne construite à main d'homme, ou grand teocali de Cholula.
Cette pyramide, couronnée de cyprès et sur le sommet de laquelle s'élève aujourd'hui une chapelle dédiée à Nuestra Señora de los Remedios, est entièrement construite en briques; sa hauteur est de cent soixante-dix pieds, et sa base d'après les calculs de Humbolt offre une longueur de treize cent cinquante-cinq, un peu plus du double que la base de la pyramide de Chéops.
Monsieur Ampère fait observer, avec beaucoup de tact et de finesse, que l'imagination des Arabes a entouré de prodiges le berceau pour eux inconnu des pyramides égyptiennes, dont elle a rattaché la construction au déluge, et qu'il en a été de même au Mexique; et à ce propos il raconte une tradition recueillie en 1566 par Pedro del Río, sur les pyramides de Cholula et conservée dans ses manuscrits transportés aujourd'hui au Vatican.
Nous ferons à notre tour un emprunt au célèbre savant et nous rapporterons ici cette tradition telle qu'il la donne dans ses Promenades en Amérique.
«Lors de la dernière grande inondation, le pays d'Anahuac (le plateau du Mexique) était habité par des géants. Tous ceux qui ne périrent pas dans ce désastre furent changés en poissons, excepté sept géants, qui se réfugièrent dans des cavernes quand les eaux commencèrent à baisser. Un de ces géants nommé Xelhua [1], qui était architecte, éleva près de Cholula, en mémoire de la montagne de Tlaloc, qui avait servi d'asile à lui et à ses frères, une colonne artificielle de forme pyramidale. Les Dieux, voyant avec jalousie cet édifice dont la cime devait toucher les nuages, irrités de l'audace de Xelhua, lancèrent des feux célestes contre la pyramide, d'où il arriva que beaucoup de constructeurs périrent et que l'œuvre ne put être achevée. Elle fut consacrée au Dieu de l'air, Qualzalcoatl. »
Ne croirait-on pas lire le récit biblique de la construction de la Tour de Babel?
Il y a dans ce récit une erreur qui ne saurait être amputée au célèbre professeur, mais que, malgré notre humble qualité de romancier, nous croyons utile de rectifier.
Quetzalcoatl, le serpent couvert de plumes, dont la racine est Quetzalli plume et Coatl serpent et non pas Qualzalcoatl qui ne signifie rien et n'est même pas mexicain ou pour mieux dire aztèque, est le Dieu de l'air, le Dieu législateur par excellence: il était blanc et barbu, son manteau noir était semé de croix rouges, il apparut à Tula, dont il fut grand prêtre; les hommes qui l'accompagnaient portaient des vêtements noirs en forme de soutane, et comme lui étaient blancs.
Il traversait Cholula pour se rendre au pays mystérieux d'où étaient sortis ses ancêtres, lorsque les Cholulans le supplièrent de les gouverner et de leur donner des lois, il y consentit et demeura vingt ans parmi eux, puis, lorsqu'il considéra sa mission comme terminée provisoirement, il alla jusqu'à l'embouchure de la rivière Huasacoalco, et là il disparut subitement, après toutefois avoir promis aux Cholulans qu'il reviendrait un jour les gouverner.
Il y a à peine un siècle, les Indiens, en portant leurs offrandes à la chapelle de la Vierge élevée sur la pyramide, priaient encore Quetzalcoatl dont ils attendaient pieusement le retour parmi eux; nous n'oserions pas assurer aujourd'hui que cette croyance soit complètement éteinte.
La pyramide de Cholula ne ressemble en rien à celles qui se rencontrent en Égypte: recouverte de terre dans toutes les parties, c'est une colline parfaitement boisée, au sommet de laquelle il est facile de monter non seulement à cheval, mais encore en voiture.
En certains endroits, la terre, en s'écroulant, a laissé à découvert, les briques cuites au soleil qui ont servi à la construction.
Une chapelle chrétienne s'élève sur le sommet de la pyramide à la place même où était bâti le temple dédié à Quetzalcoatl.
Nous en sommes fâchés pour certains auteurs qui ont avancé qu'une religion d'amour a remplacé un culte barbare et cruel; il eût été plus logique de dire qu'une religion vraie s'est substituée à une fausse.
Jamais le sommet de la pyramide de Cholula n'a été souillé de sang humain, jamais aucun homme n'y a été immolé au Dieu qu'on adorait dans le temple aujourd'hui détruit, par la raison toute simple que ce temple était dédié à Quetzalcoatl et que les seules offrandes présentées sur l'autel de ce Dieu, consistaient en produit de la terre, tels que des fleurs et les prémices des moissons, et cela par ordre exprès du Dieu législateur, ordre que ses prêtres se seraient bien gardé d'enfreindre.
C'était vers quatre heures du matin, les étoiles commençaient à disparaître dans les profondeurs du ciel, l'horizon se nuançait de larges bandes grisâtres qui changeaient incessamment et s'irisaient peu à peu de toutes les couleurs du prisme pour se fondre enfin dans une nuance d'un rouge sanglant; le jour se levait, le soleil allait paraître. En ce moment deux cavaliers sortirent de Puebla et s'engagèrent au grand trot sur la route de Cholula.
Tous deux étaient enveloppés avec soin dans leurs zarapés et paraissaient bien armés.
A une demi-lieue de la ville environ, ils tournèrent brusquement par la droite et s'engagèrent dans un étroit sentier tracé dans un champ d'agave.
Ce sentier, fort mal entretenu, de même que toutes les voies de communication au Mexique, formait des détours sans nombre et était coupé par tant de ravins et de fondrières, que ce n'était qu'avec les plus grandes difficultés qu'il était possible de s'y diriger sans risquer de se rompre vingt fois le cou en dix minutes. Çà et là, passaient des arroyos, qu'il fallait traverser dans l'eau jusqu'au ventre du cheval; puis, c'était des monticules à monter et à descendre; enfin, après vingt-cinq minutes au moins de cette course difficile, les deux voyageurs atteignirent le pied d'une espèce de pyramide grossièrement travaillée à main d'homme, entièrement boisée et haute d'une quarantaine de pieds environ au-dessus du sol de la plaine.
Cette colline artificielle portait à son sommet un rancho de vaquero, auquel on parvenait au moyen de degrés taillés de distance en distance sur les flancs du monticule.
Arrivé là, l'inconnu s'arrêta et mit pied à terre, son compagnon l'imita aussitôt.
Alors les deux hommes abandonnèrent les chevaux à eux-mêmes, enfoncèrent le canon de leurs fusils dans une anfractuosité de la base de la montagne et donnèrent une pesée, en faisant levier avec la crosse de l'arme.
Bien que la pesée ne fût pas faite avec une grande force, cependant une énorme pierre, qui paraissait complètement adhérer au sol, se détacha lentement, tourna sur des gonds invisibles et démasqua l'entrée d'un souterrain qui s'enfonçait en pente douce sous le sol.
Ce souterrain recevait sans doute de l'air et du jour par une grande quantité d'imperceptibles fissures, car il était sec et parfaitement clair.
– Vas López, dit l'inconnu.
– Allez-vous là-haut? répondit l'autre.
– Oui, tu m'y rejoindras dans une heure, à moins que tu ne m'aies vu avant.
– Bon, c'est entendu.
Il siffla alors les chevaux, ceux-ci accoururent, et, sur un signe de López, entrèrent dans le souterrain sans faire la moindre difficulté.
– A bientôt,