Ils étudièrent tous deux les cieux dans le long silence qui suivit, rompu seulement par le vent balayant l'endroit.
« Ton père t'attend », dit finalement Anvin, sa voix grave.
Kyra se joignit à Anvin comme ils marchaient, la neige et la glace crissant sous leurs bottes, se faisant un chemin à travers la cour au milieu de toute l'activité. Ils passèrent des dizaines d'hommes de son père comme ils traversaient le vaste fort d'Argos, des hommes partout, enfin détendus pour la première fois depuis longtemps. Elle voyait des hommes rire, boire, se bousculer alors qu'ils rassemblaient des armes et des provisions. Ils étaient comme des enfants le jour de la Toussaint.
Des dizaines d'autres hommes de son père se tenaient en ligne et passaient des sacs de grains pandésiens, comme ils en faisaient des piles élevées sur des chariots; un autre chariot débordait de boucliers qui sonnaient en chemin. Ils étaient empilés si haut que quelques-uns tombèrent, les soldats se dépêchant afin de les attraper avant qu'ils ne touchent le sol. Tout autour d'elle, des chariots sortaient du fort, certains sur le chemin du retour vers Volis, d'autres bifurquant sur différentes routes à des endroits où son père les avait dirigés, tous remplis à ras bord. Kyra tirait un certain réconfort du spectacle, se sentant moins coupable pour la guerre dont elle était l'instigatrice.
Ils tournèrent un coin et Kyra repéra son père, entouré de ses hommes, occupé à l'inspection de dizaines d'épées et de lances comme ses hommes les tenaient pour son approbation. Il se retourna à son approche et, comme il fit signe à ses hommes, ils se dispersèrent, les laissant seuls.
Son père se retourna et regarda Anvin et celui-ci resta là un moment, incertain, apparemment surpris de voir le silence de son père, lui demandant clairement de partir, aussi. Enfin, Anvin se retourna et rejoignit les autres, laissant Kyra seule avec lui. Elle était surprise, aussi car il n'avait jamais demandé à Anvin de partir auparavant.
Kyra le regarda, son expression impénétrable comme toujours, portant le lointain visage, public d'un leader parmi les hommes, pas le visage intime du père qu'elle connaissait et aimait. Il baissa les yeux sur elle, et elle se sentit nerveuse, comme plusieurs pensées couraient dans sa tête toutes à la fois: était-il fier d'elle? Était-il contrarié qu'elle les ait conduits dans cette guerre? Était-il déçu que Théos l'ait repoussée et abandonné son armée?
Kyra attendit, habituée à son long silence avant de parler, et elle ne pouvait pas en dire plus; trop de choses avaient changé entre eux trop vite. Elle se sentait comme si elle avait grandi en une nuit, alors qu'il avait été modifié par les récents événements; c'était comme s'ils ne savaient plus comment se comporter avec l'autre. Était-il le père qu'elle avait toujours connu et aimé, qui lui avait lu des histoires jusque tard dans la nuit? Ou était-il son commandant maintenant?
Il se tenait là, la regardant, et elle se rendit compte qu'il ne savait pas quoi dire comme le silence pesait entre eux, le seul bruit, le vent balayant le fort, les torches vacillant derrière eux tandis que les hommes commençaient à les allumer pour combattre la nuit. Enfin, Kyra ne pouvait supporter le silence plus longtemps.
« Vas-tu rapporter tout cela à Volis? » demanda-t-elle, comme un chariot plein d'épées passait en branlant.
Il se retourna et examina le chariot et sembla sortir de sa rêverie. Il ne pas regarda en arrière, vers Kyra, mais regarda plutôt le chariot comme il secouait la tête.
« Volis n'a rien pour nous maintenant, mais la mort », dit-il, sa voix profonde et définitive. « Nous nous dirigeons maintenant vers le sud. »
Kyra fut surprise.
« Sud? » demanda-t-elle.
Il hocha la tête.
« Espehus », déclara-t-il.
Le cœur de Kyra se remplit d’excitation comme elle imaginait leur voyage vers Espehus, l'ancienne place forte perchée sur la mer, leur plus grand voisin du sud. Elle devint encore plus excitée quand elle réalisa – s'ils allaient là-bas, cela ne pouvait signifier qu'une chose: ils se préparaient à la guerre.
Il hocha la tête, comme s'il lisait dans son esprit.
« On ne peut pas revenir en arrière maintenant », dit-il.
Kyra regarda son père avec un sentiment de fierté qu'elle n'avait pas ressenti depuis des années. Il n'était plus le guerrier complaisant, vivant son âge mûr dans la sécurité d'un petit fort, mais il était maintenant le commandant audacieux qu'elle connaissait autrefois, prêt à tout risquer pour la liberté.
« Quand partons-nous? » demanda-t-elle, le cœur battant, anticipant sa première bataille.
Elle fut surprise de le voir secouer la tête.
« Pas nous », corrigea-t-il. « Moi et mes hommes. Pas toi. »
Kyra en fut abattue, les paroles de son père s'enfonçant comme un poignard dans son cœur.
« Tu vas me laisser derrière? » demanda-t-elle, en bégayant. « Après tout ce qui est arrivé? Que dois-je faire pour te prouver ma valeur? »
Il secoua la tête fermement, et elle fut dévastée de voir le regard dur dans ses yeux, un regard qui signifiait, elle le savait, qu'il ne changerait pas d'avis.
« Tu iras chez ton oncle », dit-il. C'était un ordre, pas une demande, et avec ces mots, elle comprit son statut: elle était son soldat maintenant, pas sa fille. Cela lui fit mal.
Kyra respira profondément – elle ne céderait pas si vite.
« Je veux me battre à tes côtés », insista-t-elle. « Je peux t'aider. »
« Tu m'aideras », dit-il, « en allant là où on a besoin de toi. J'ai besoin que tu sois avec lui. »
Elle fronça les sourcils, essayant de comprendre.
« Mais pourquoi? » demanda-t-elle.
Il resta silencieux pendant un long moment, jusqu'à ce qu'il soupire.
« Tu possèdes … » commença-t-il, « … des habilités que je ne comprends pas. Des habilités dont nous aurons besoin pour gagner cette guerre. Des habilités que seul ton oncle saura encourager. »
Il tendit la main et tint son épaule d'une manière significative.
« Si tu veux nous aider », ajouta-t-il, « si tu veux aider notre peuple, c'est l'endroit où on a besoin de toi. Je n'ai pas besoin d'un autre soldat – j'ai besoin des talents uniques que tu as à offrir. Des habilités que personne d'autre n'a. »
Elle vit le sérieux de son regard et bien qu'elle se sentît misérable à la perspective d'être incapable de se joindre à lui, elle ressentit un certain réconfort à ses mots – avec un sens aigu de la curiosité. Elle se demandait à quelles habilités il faisait allusion, et se demandait qui pouvait être son oncle.
« Vas et apprends ce que je ne peux pas t'apprendre », ajouta-t-il. « Reviens plus forte. Et aide-moi à gagner. »
Kyra le regarda droit dans les yeux, et elle sentit le respect, la chaleur retournant, et elle commença à se sentir à nouveau restaurée.
« Ur est un long voyage », ajouta-t-il. « Un bon trois jours à cheval vers l'ouest et le nord. Tu devras traverser Escalon seule. Il va te falloir chevaucher rapidement, furtivement et éviter les routes. L'histoire de ce qui s'est passé ici va bientôt se répandre et les seigneurs pandésiens seront furieux. Les routes seront dangereuses – reste dans les bois. Dirige-toi vers le nord, trouve la mer et garde-la en vue. Elle sera ta boussole. Suis son littoral et tu trouveras Ur. Reste à l'écart des villages, reste à l'écart des gens. Ne t'arrête pas. Ne dis à personne où tu vas. Ne parle à personne. »
Il l'attrapa fermement par les épaules et ses yeux s'obscurcirent avec urgence, l'effrayant.
« Comprends-tu ce que je dis? » implora-t-il. « C'est un voyage dangereux pour tout homme – encore plus pour une fille seule. Je ne peux me passer de personne pour t'accompagner. J'ai besoin que tu sois assez forte pour faire cela toute