Le sergent Simplet. Paul d'Ivoi. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Paul d'Ivoi
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
de bon cœur. M’épouser, elle!

      Il riait, un peu gêné, un brouillard plus rose montant à ses joues.

      – Le mariage, reprit-il. Depuis deux ans, elle ne m’a pas écrit.

      – Pas une lettre?

      – Non. J’étais en garnison à Granville, on m’a expédié à Embrun…

      – Ce n’est pas une raison.

      – Je me suis montré négligent. Durant plusieurs mois, je n’ai pas écrit, puis je me suis décidé. Seulement elle devrait être vexée; aucune réponse.

      – Diable!

      – C’est qu’elle a sa petite tête. Mais soyez tranquille, cela ne nous empêchera pas de nous embrasser avec plaisir.

      Les stations se succédaient. Avec la confiance de la vingt-troisième année, les sous-officiers se racontaient leur existence.

      Claude, orphelin, devenu à force de travail petit commis chez un éditeur. Puis le tirage au sort, 18e arrondissement (Montmartre). Le passage en Tunisie, au Tonkin, au Dahomey. Les joies et les souffrances des héros obscurs aboutissant à la libération, à la rentrée plate dans la vie de la métropole. Il disait son embarras, sa tristesse de se sentir seul, et à l’idée d’avoir rencontré un ami, la satisfaction qui faisait briller ses yeux, qui illuminait son visage grave.

      La voix des employés criant: Lyon-Perrache, tout le monde descend, surprit les soldats.

      Le voyage s’était accompli rapidement.

      – Déjà! firent-ils en même temps.

      Puis tout réjouis, ils sautèrent sur le quai, traversèrent la salle d’attente remplie d’hommes, de femmes, d’enfants, attendant des voyageurs aimés et sortirent de la gare.

      La nuit était venue, hâtive; nuit de novembre.

      Dans cette partie de la ville, conquise autrefois sur le Rhône et la Saône par le sculpteur Perrache, mais toujours humide, un brouillard épais régnait.

      – Où allons-nous? demanda Claude.

      – Chez mes amis, parbleu. C’est à deux pas, rue Suchet.

      – Mais c’est l’heure du dîner et je ne sais si…

      – S’ils nous inviteront? Vous allez voir ça. La maison de commission A. Ribor et Cie est hospitalière, et vous, qui venez des colonies, serez doublement bien reçu.

      Tous deux marchaient d’un bon pas, frissonnant un peu sous le manteau froid de la brume, mais heureux à la pensée du gîte tout proche, des hôtes aimables.

      – Voilà le progrès, murmura Marcel.

      – Où cela?

      Le lignard se prit à rire.

      – Je continuais à haute voix une pensée commencée tout bas.

      – Ah! pardon.

      – Ce n’est plus un secret depuis que les savants s’en sont occupés. Je me disais: En l’an 500 avant Jésus-Christ.

      – Pristi! interrompit Bérard, vous êtes bien renseigné, vous.

      – C’est de l’érudition locale simplement. Les Gaulois – que nous considérons comme des barbares – savez-vous où ils avaient établi leur oppidum, Lugdunum, – la colline du Corbeau – embryon de la cité actuelle?

      – Ma foi non.

      – Sur les hauteurs de Croix-Rousse, mon cher, où le brouillard est inconnu. Les modernes sont venus s’installer juste au confluent des fleuves, dans un marécage. Est-ce un progrès?

      – Certes non. Et le choix de leur demeure prouve leur infériorité.

      – Comment?

      – Il est évident qu’un monsieur perché sur une colline a les idées plus élevées que lorsqu’il est en plaine!

      Les jeunes gens éclatèrent de rire.

      – Ah! voici la rue Suchet, reprit Marcel au bout d’un moment. Tournons à gauche; c’est la troisième maison. Tenez, une voiture stationne devant la porte.

      En effet un fiacre fermé, lanternes allumées, était arrêté à quelques pas.

      Les voyageurs parvinrent à une haute porte cochère.

      Un des battants était entr’ouvert.

      – Nous sommes arrivés, déclara Marcel en baissant la voix. J’ai le cœur qui bat. Songez donc, mes seuls amis! Tiens, mais voici la plaque de la maison, A. Ribor et Cie.

      Il désignait un large panneau appliqué sur le mur à droite de l’entrée.

      Pour laisser à son compagnon le temps de se remettre, Claude parut considérer la plaque.

      – Mais vous vous trompez, fit-il tout à coup.

      Simplet l’interrogea du regard:

      – Sans doute. Ce n’est pas la maison Ribor.

      – Vous avez la berlue.

      – Voyez vous-même.

      Avec un haussement d’épaules, Dalvan rejoignit le sous-officier. Il jeta les yeux sur le panneau et eut un geste de surprise:

      – Canetègne et Cie, murmura-t-il. Qu’est-ce que cela signifie? Puis se frappant le front:

      – Ils ont peut-être déménagé. Depuis deux ans, ils en ont eu le temps. Informons-nous.

      Il se dirigea vers la porte.

      Mais comme il allait en franchir le seuil, le battant entr’ouvert fut brusquement tiré en arrière. Deux hommes parurent, maintenant une femme qui se débattait.

      L’un ouvrit la portière du fiacre et d’un ton tranchant:

      – Montez, mademoiselle, notre consigne est de vous arrêter… Si vous résistez, tant pis pour vous.

      – Mais c’est une infamie, gémit la prisonnière.

      – Cette voix, bredouilla Marcel en se cramponnant au bras de son camarade.

      Il tremblait.

      – Montez, mademoiselle, répéta l’homme qui déjà avait parlé.

      Comme malgré lui le sous-officier fit un pas en avant. La clarté de la lanterne frappa en plein son visage pâle.

      La captive l’aperçut. D’un effort surhumain elle s’arracha des mains de ces gardiens, et se réfugia dans les bras de Marcel:

      – Simplet, s’écria-t-elle, Simplet, sauve-moi!

      – Yvonne, répondit le jeune homme, toi!

      Les agents, étonnés d’abord, intervinrent:

      – Allons, allons, assez de simagrées. En voiture et lestement.

      Les yeux de Dalvan eurent un éclair. Yvonne le vit.

      – Non, dit-elle vivement, ne me défends pas. Reste libre. Il le faut pour me protéger. Écoute: je suis arrêtée comme voleuse sur la dénonciation de M. Canetègne, l’ancien associé de mon frère qu’il a ruiné. Antonin a la preuve de mon innocence.

      – Bon! où demeure-t-il?

      – Hélas! il est parti depuis un an. Il parcourt le monde. Je n’ai pas de ses nouvelles.

      Elle allait continuer. L’un des policiers lui appuya la main sur l’épaule.

      – La belle enfant, il se fait tard.

      Et narquois:

      – Vous savez, sergent, vous pourrez la voir en prison. Une simple demande à présenter. L’administration est paternelle.

      Marcel eut un mouvement comme pour se ruer sur ce personnage, mais Yvonne l’arrêta:

      – Simplet, je n’ai que toi!

      Il