Germinal. Emile Zola. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Emile Zola
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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des cadeaux… Elle va crever de misère, c’est sûr.

      Il eut un haussement d’épaules désespéré, il mordit de nouveau dans sa tartine.

      – Veux-tu boire? demanda Catherine qui débouchait sa gourde. Oh! c’est du café, ça ne te fera pas de mal… On étouffe, quand on avale comme ça.

      Mais il refusa: c’était bien assez de lui avoir pris la moitié de son pain. Pourtant, elle insistait d’un air de bon cœur, elle finit par dire:

      – Eh bien! je bois avant toi, puisque tu es si poli… Seulement, tu ne peux plus refuser à présent, ce serait vilain.

      Et elle lui tendit sa gourde. Elle s’était relevée sur les genoux, il la voyait tout près de lui, éclairée par les deux lampes. Pourquoi donc l’avait-il trouvée laide? Maintenant qu’elle était noire, la face poudrée de charbon fin, elle lui semblait d’un charme singulier. Dans ce visage envahi d’ombre, les dents de la bouche trop grande éclataient de blancheur, les yeux s’élargissaient, luisaient avec un reflet verdâtre, pareils à des yeux de chatte. Une mèche des cheveux roux, qui s’était échappée du béguin, lui chatouillait l’oreille et la faisait rire. Elle ne paraissait plus si jeune, elle pouvait bien avoir quatorze ans tout de même.

      – Pour te faire plaisir, dit-il, en buvant et en lui rendant la gourde.

      Elle avala une seconde gorgée, le força à en prendre une aussi, voulant partager, disait-elle; et ce goulot mince, qui allait d’une bouche à l’autre, les amusait. Lui, brusquement, s’était demandé s’il ne devait pas la saisir dans ses bras, pour la baiser sur les lèvres. Elle avait de grosses lèvres d’un rose pâle, avivées par le charbon, qui le tourmentaient d’une envie croissante. Mais il n’osait pas, intimidé devant elle, n’ayant eu à Lille que des filles, et de l’espèce la plus basse, ignorant comment on devait s’y prendre avec une ouvrière encore dans sa famille.

      – Tu dois avoir quatorze ans alors? demanda-t-il, après s’être remis à son pain.

      Elle s’étonna, se fâcha presque.

      – Comment! quatorze! mais j’en ai quinze!… C’est vrai, je ne suis pas grosse. Les filles, chez nous, ne poussent guère vite.

      Il continua à la questionner, elle disait tout, sans effronterie ni honte. Du reste, elle n’ignorait rien de l’homme ni de la femme, bien qu’il la sentît vierge de corps, et vierge enfant, retardée dans la maturité de son sexe par le milieu de mauvais air et de fatigue où elle vivait. Quand il revint sur la Mouquette, pour l’embarrasser, elle conta des histoires épouvantables, la voix paisible, très égayée. Ah! celle-là en faisait de belles! Et, comme il désirait savoir si elle-même n’avait pas d’amoureux, elle répondit en plaisantant qu’elle ne voulait pas contrarier sa mère, mais que cela arriverait forcément un jour. Ses épaules s’étaient courbées, elle grelottait un peu dans le froid de ses vêtements trempés de sueur, la mine résignée et douce, prête à subir les choses et les hommes.

      – C’est qu’on en trouve, des amoureux, quand on vit tous ensemble, n’est-ce pas?

      – Bien sûr.

      – Et puis, ça ne fait du mal à personne… On ne dit rien au curé.

      – Oh! le curé, je m’en fiche!… Mais il y a l’Homme noir.

      – Comment, l’Homme noir?

      – Le vieux mineur qui revient dans la fosse et qui tord le cou aux vilaines filles.

      Il la regardait, craignant qu’elle ne se moquât de lui.

      – Tu crois à ces bêtises, tu ne sais donc rien?

      – Si fait, moi, je sais lire et écrire… Ça rend service chez nous, car du temps de papa et de maman, on n’apprenait pas.

      Elle était décidément très gentille. Quand elle aurait fini sa tartine, il la prendrait et la baiserait sur ses grosses lèvres roses. C’était une résolution de timide, une pensée de violence qui étranglait sa voix. Ces vêtements de garçon, cette veste et cette culotte sur cette chair de fille, l’excitaient et le gênaient. Lui, avait avalé sa dernière bouchée. Il but à la gourde, la lui rendit pour qu’elle la vidât. Maintenant, le moment d’agir était venu, et il jetait un coup d’œil inquiet vers les mineurs, au fond, lorsqu’une ombre boucha la galerie.

      Depuis un instant, Chaval, debout, les regardait de loin. Il s’avança, s’assura que Maheu ne pouvait le voir; et, comme Catherine était restée à terre, sur son séant, il l’empoigna par les épaules, lui renversa la tête, lui écrasa la bouche sous un baiser brutal, tranquillement, en affectant de ne pas se préoccuper d’Étienne. Il y avait, dans ce baiser, une prise de possession, une sorte de décision jalouse.

      Cependant, la jeune fille s’était révoltée.

      – Laisse-moi, entends-tu!

      Il lui maintenait la tête, il la regardait au fond des yeux. Ses moustaches et sa barbiche rouges flambaient dans son visage noir, au grand nez en bec d’aigle. Et il la lâcha enfin, et il s’en alla, sans dire un mot.

      Un frisson avait glacé Étienne. C’était stupide d’avoir attendu. Certes, non, à présent, il ne l’embrasserait pas, car elle croirait peut-être qu’il voulait faire comme l’autre. Dans sa vanité blessée, il éprouvait un véritable désespoir.

      – Pourquoi as-tu menti? dit-il à voix basse. C’est ton amoureux.

      – Mais non, je te jure! cria-t-elle. Il n’y a pas ça entre nous. Des fois, il veut rire… Même qu’il n’est pas d’ici, voilà six mois qu’il est arrivé du Pas-de-Calais.

      Tous deux s’étaient levés, on allait se remettre au travail. Quand elle le vit si froid, elle parut chagrine. Sans doute, elle le trouvait plus joli que l’autre, elle l’aurait préféré peut-être. L’idée d’une amabilité, d’une consolation la tracassait; et, comme le jeune homme, étonné, examinait sa lampe qui brûlait bleue, avec une large collerette pâle, elle tenta au moins de le distraire.

      – Viens, que je te montre quelque chose, murmura-t-elle d’un air de bonne amitié.

      Lorsqu’elle l’eut mené au fond de la taille, elle lui fit remarquer une crevasse, dans la houille. Un léger bouillonnement s’en échappait, un petit bruit, pareil à un sifflement d’oiseau.

      – Mets ta main, tu sens le vent… C’est du grisou.

      Il resta surpris. Ce n’était que ça, cette terrible chose qui faisait tout sauter? Elle riait, elle disait qu’il y en avait beaucoup ce jour-là, pour que la flamme des lampes fût si bleue.

      – Quand vous aurez fini de bavarder, fainéants! cria la rude voix de Maheu.

      Catherine et Étienne se hâtèrent de remplir leurs berlines et les poussèrent au plan incliné, l’échine raidie, rampant sous le toit bossué de la voie. Dès le second voyage, la sueur les inondait et leurs os craquaient de nouveau.

      Dans la taille, le travail des haveurs avait repris. Souvent, ils abrégeaient le déjeuner, pour ne pas se refroidir; et leurs briquets, mangés ainsi loin du soleil, avec une voracité muette, leur chargeaient de plomb l’estomac. Allongés sur le flanc, ils tapaient plus fort, ils n’avaient que l’idée fixe de compléter un gros nombre de berlines. Tout disparaissait dans cette rage du gain disputé si rudement. Ils cessaient de sentir l’eau qui ruisselait et enflait leurs membres, les crampes des attitudes forcées, l’étouffement des ténèbres, où ils blêmissaient ainsi que des plantes mises en cave. Pourtant, à mesure que la journée s’avançait, l’air s’empoisonnait davantage, se chauffait de la fumée des lampes, de la pestilence des haleines, de l’asphyxie du grisou, gênant sur les yeux comme des toiles d’araignée, et que devait seul balayer l’aérage de la nuit. Eux, au fond de leur trou de taupe, sous le poids de la terre, n’ayant plus de souffle dans leurs poitrines embrasées, tapaient toujours.

      V. Maheu, sans regarder à sa montre laissée dans sa veste, s’arrêta et dit…

      Maheu,