Mariolle regardait Mme de Burne assise à présent sous une colonne qui portait une énorme lampe.
Son nez fin, au bout retroussé, les fossettes de ses joues et le pli mignon de chair qui fendait son menton lui faisaient une figure espiègle d’enfant, bien qu’elle approchât de la trentième année et bien que son regard de fleur passée animât ce visage d’une sorte de mystère inquiétant. Sa peau, sous la clarté qui l’inondait, prenait des nuances de velours blond, tandis que ses cheveux s’éclairaient de lueurs fauves quand elle remuait la tête.
Elle sentit ce regard d’homme qui venait à elle de l’autre bout de son salon, et, se levant bientôt, elle alla vers lui, souriante, comme on répond à un appel.
– Vous devez vous ennuyer un peu, monsieur, dit-elle. Quand on n’est pas acclimaté dans une maison, on s’y ennuie toujours.
Il protesta.
Elle prit une chaise et s’assit près de lui.
Et tout de suite ils causèrent. Ce fut instantané chez l’un et chez l’autre, comme un feu qui prend bien dès qu’une allumette l’a touché. Il semblait qu’ils se fussent communiqué d’avance leurs opinions, leurs sensations, qu’une même nature, qu’une même éducation, les mêmes penchants, les mêmes goûts, les eussent prédisposés à se comprendre et destinés à se rencontrer.
Peut-être y avait-il là quelque adresse de la part de la jeune femme; mais la joie qu’on éprouve à trouver quelqu’un qui vous écoute, qui vous devine, qui vous répond, qui vous fournit des réparties par ses répliques, animait Mariolle d’un bel entrain. Flatté d’ailleurs par la façon dont elle l’avait reçu, conquis par la grâce provocante qu’elle déployait pour lui et par le charme dont elle savait envelopper les hommes, il s’efforçait de lui montrer cette couleur d’esprit un peu voilée, mais personnelle et délicate, qui lui attirait quand on le connaissait bien, de rares et vives sympathies.
Tout à coup elle lui déclara:
– C’est vraiment fort agréable de causer avec vous, monsieur. On m’avait prévenue d’ailleurs.
Il se sentit rougir, et hardiment:
– Et moi on m’avait annoncé, madame, que vous étiez…
Elle l’interrompit:
– Dites une coquette. Je le suis beaucoup avec les gens qui me plaisent. Tout le monde le sait, je ne m’en cache pas, mais vous verrez que ma coquetterie est fort impartiale, ce qui me permet de garder… ou de reprendre mes amis sans jamais les perdre, et de les retenir tous autour de moi.
Elle avait un air sournois qui signifiait: «Soyez calme et pas trop fat; ne vous y trompez point, car vous n’aurez rien de plus que les autres.»
Il répondit:
– Cela s’appelle prévenir son monde de tous les dangers qu’on court ici. Merci, madame; j’aime beaucoup cette manière d’agir.
Elle lui avait ouvert la voie pour parler d’elle; il en usa. Il lui fit d’abord des compliments et constata qu’elle les aimait; puis il éveilla sa curiosité de femme en lui racontant ce qu’on disait d’elle dans les différents milieux qu’il fréquentait. Un peu inquiète, elle ne put cacher son désir de savoir, bien qu’elle affectât une grande indifférence sur ce qu’on pouvait penser de son existence et de ses goûts.
Il faisait un portrait flatteur de femme indépendante, intelligente, supérieure et séduisante, qui s’était entourée d’hommes éminents, et restait cependant une mondaine accomplie.
Elle protestait avec des sourires, avec des petits «non» d’égoïsme content, s’amusant beaucoup de tous les détails qu’il donnait, et, sur un ton badin, elle en demandait sans cesse davantage, en l’interrogeant finement avec un sensuel appétit de flatteries.
Il pensa, en la regardant: «Au fond, ce n’est qu’une enfant, comme toutes les autres.» Et il acheva une jolie phrase où il vantait son amour réel pour les arts, si rare chez une femme.
Alors elle prit un air tout imprévu de moquerie, de cette gouaillerie française qui semble la moelle de notre race:
Mariolle avait forcé l’éloge. Elle lui montra qu’elle n’était pas sotte.
– Mon Dieu, dit-elle, je vous avouerai que je ne sais pas au juste si j’aime les arts ou les artistes.
Il répliqua:
– Comment pourrait-on aimer les artistes sans aimer les arts?
– Parce qu’ils sont quelquefois plus drôles que les hommes du monde.
– Oui; mais ils ont des défauts plus gênants.
– C’est vrai.
– Alors vous n’aimez pas la musique?
Elle redevint subitement sérieuse.
– Pardon! j’adore la musique. Je crois que je l’aime plus que tout. Massival cependant est convaincu que je n’y entends rien.
– Il vous l’a dit?
– Non, il le pense.
– Comment le savez-vous?
– Oh! nous autres, nous devinons presque tout ce que nous ne savons pas.
– Alors Massival pense que vous n’entendez rien à la musique?
– J’en suis sûre. Je vois cela rien qu’à la façon dont il me l’explique, dont il souligne les nuances tout en ayant l’air de ruminer: «Ça ne sert à rien; je fais cela parce que vous êtes bien gentille.»
– Il m’a pourtant annoncé qu’on entendait chez vous de meilleure musique que dans n’importe quelle maison de Paris.
– Oui, grâce à lui.
– Et la littérature, vous ne l’aimez pas?
– Je l’aime beaucoup, et j’ai même la prétention de la sentir fort bien, malgré l’avis de Lamarthe.
– Qui juge aussi que vous n’y comprenez rien?
– Naturellement.
– Mais qui ne vous l’a pas dit non plus.
– Pardon! il me l’a dit, celui-là. Il prétend que certaines femmes peuvent avoir une perception délicate et juste des sentiments exprimés, de la vérité des personnages, de la psychologie en général, mais qu’elles sont totalement incapables de discerner ce qu’il y a de supérieur dans sa profession, l’art. Quand il a prononcé ce mort, l’art, il n’y a plus qu’à le mettre à la porte.
Mariolle demanda en souriant:
– Et vous, qu’en pensez-vous, madame?
Elle réfléchit quelques secondes, puis le regarda bien en face pour voir s’il était tout disposé à l’écouter et à la comprendre.
– Moi, j’ai des idées là-dessus. Je crois que le sentiment, vous entendez bien – le sentiment – peut faire tout entrer dans l’esprit d’une femme; seulement ça n’y reste pas souvent. Y êtes-vous?
– Non, pas tout à fait, madame.
– J’entends par là que pour nous rendre compréhensives au même degré que vous, il faut toujours faire un appel à notre nature de femme avant de s’adresser à notre intelligence. Nous ne nous intéressons guère à ce qu’un homme ne nous rend pas d’abord sympathique, car nous regardons tout à travers le sentiment. Je ne dis pas à travers l’amour – non – à travers le sentiment, qui a toutes sortes de formes, de manifestations, de nuances. Le sentiment est quelque chose qui nous appartient, que vous ne comprenez pas bien, vous autres, car il vous obscurcit, tandis qu’il nous éclaire. Oh! je sens que cela est bien vague pour vous, tant pis! Enfin, si un homme nous aime et nous est agréable, car