Mont Oriol. Guy de Maupassant. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Guy de Maupassant
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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se penchant sur le bonhomme, il lui cria comme s’il eût été sourd:

      – Êtes-vous bien?

      L’autre, qui semblait abruti complètement par cette eau brûlante, répondit:

      – Il me chemble que je fonds. Bougrre, qu’elle est chaude!

      Mais le père Oriol déclara:

      – Plus qu’elle est chaude, plus que t’iras bien.

      Une voix dit, derrière le marquis:

      – Qu’est-ce que c’est que cela?

      Et M. Aubry-Pasteur, soufflant toujours, s’arrêta, au retour de sa promenade quotidienne.

      Alors Andermatt expliqua son projet de guérison.

      Mais le vieux répétait:

      – Bougrre, qu’elle est chaude!

      Et il voulait sortir, demandant de l’aide pour le tirer de là.

      Le banquier finit par le calmer en lui promettant vingt sous de plus par bain.

      On faisait cercle autour du trou où flottaient les haillons grisâtres dont était couvert ce vieux corps.

      Une voix dit:

      – Quel pot-au-feu! Je n’y tremperais pas une soupe.

      Un autre reprit:

      – La viande non plus ne m’irait guère.

      Mais le marquis remarqua que les bulles d’acide carbonique semblaient plus nombreuses, plus grosses et plus vives, dans cette nouvelle source que dans celle des bains.

      Les loques du vagabond en étaient couvertes, et ces bulles montaient à la surface en telle abondance que l’eau paraissait traversée par des chaînettes innombrables, par des chapelets infinis de tout petits diamants ronds, le grand soleil du plein ciel les rendant claires comme des brillants.

      Alors, Aubry-Pasteur se mit à rire:

      – Parbleu, dit-il, écoutez ce qu’on fait à l’établissement. Vous savez qu’on prend une source comme un oiseau, dans une sorte de piège, ou plutôt dans une cloche. C’est ce qu’on appelle la capter. Or, l’an dernier, voici ce qui arriva à la source alimentant les bains. L’acide carbonique, plus léger que l’eau, s’emmagasinait au sommet de la cloche, puis, lorsqu’il s’y amassait en trop grande quantité, il se trouvait refoulé dans les conduits, remontait en abondance dans les baignoires, emplissait les cabines et asphyxiait les malades. On a eu trois accidents en deux mois. Alors on me consulta de nouveau, et j’inventai un appareil très simple, formé de deux tuyaux, qui amenaient séparément le liquide et le gaz de la cloche, pour les mélanger à nouveau immédiatement sous le bain, et reconstituer ainsi l’eau à son état normal en évitant l’excès dangereux d’acide carbonique. Mais mon appareil aurait coûté un millier de francs! Alors savez-vous ce qu’a fait le geôlier? Je vous le donne en mille. Un trou dans la cloche pour se débarrasser du gaz, qui s’envola, bien entendu. De sorte qu’on vous vend des bains acidulés sans acide, ou du moins avec si peu d’acide que ça ne vaut plus grand’chose. Tandis qu’ici, regardez.

      Tout le monde était indigné! On ne riait plus, et on contemplait avec envie le paralytique. Chaque baigneur aurait volontiers saisi une pioche pour se creuser un trou à côté de celui du vagabond.

      Mais Andermatt prit par le bras l’ingénieur et ils s’éloignèrent en causant. De temps en temps Aubry-Pasteur s’arrêtait, semblait tracer une ligne avec sa canne, indiquait des points; et le banquier écrivait des notes sur un calepin.

      Christiane et Paul Brétigny s’étaient mis à parler. Il lui racontait son voyage en Auvergne, ce qu’il avait vu, et senti. Il aimait la campagne avec ses instincts ardents où transperçait toujours de l’animalité. Il l’aimait en sensuel qu’elle émeut, dont elle fait vibrer les nerfs et les organes.

      Il disait:

      – Moi, Madame, il me semble que je suis ouvert; et tout entre en moi, tout me traverse, me fait pleurer ou grincer des dents. Tenez, quand je regarde cette côte-là en face, ce grand pli vert, ce peuple d’arbres qui grimpe la montagne, j’ai tout le bois dans les yeux; il me pénètre, m’envahit, coule dans mon sang; et il me semble aussi que je le mange, qu’il m’emplit le ventre; je deviens un bois moi-même!

      Il riait, en racontant cela, ouvrait ses grands yeux ronds, tantôt sur le bois et tantôt sur Christiane; et elle, surprise, étonnée, mais facile à impressionner, se sentait aussi dévorée, comme le bois, par ce regard avide et large.

      Paul reprit:

      – Et si vous saviez quelles jouissances je dois à mon nez. Je bois cet air-là, je m’en grise, j’en vis, et je sens tout ce qu’il y a dedans, tout, absolument tout. Tenez, je vais vous le dire. D’abord avez-vous remarqué, depuis que vous êtes ici, une odeur délicieuse, à laquelle aucune autre odeur n’est comparable, si fine, si légère, qu’elle semble presque… comment dirais-je… une odeur immatérielle? On la retrouve partout, on ne la saisit nulle part, on ne découvre pas d’où elle sort! Jamais, jamais rien de plus… de plus divin ne m’avait troublé le coeur… Eh bien, c’est l’odeur de la vigne en fleurs! Oh! j’ai été quatre jours à le découvrir. Et n’est-ce pas charmant à penser, Madame, que la vigne, qui nous donne le vin, le vin que peuvent seuls comprendre et savourer les esprits supérieurs, nous donne aussi le plus délicat et le plus troublant des parfums, que peuvent seuls découvrir les plus raffinés des sensuels? Et puis, reconnaissez-vous aussi la senteur puissante des châtaigniers, la saveur sucrée des acacias, les aromates de la montagne, et l’herbe, l’herbe qui sent si bon, si bon, si bon, ce dont personne ne se doute?

      Elle était stupéfaite d’écouter ces choses, non pas qu’elles fussent surprenantes, mais elles lui paraissaient d’une nature si différente de celles entendues autour d’elle, chaque jour, que sa pensée en demeurait saisie, émue, troublée.

      Il parlait toujours, de sa voix un peu sourde, mais chaude.

      – Et puis, tenez, reconnaissez-vous aussi, dans l’air, sur les routes, quand il fait chaud, un petit goût de vanille? – Oui, n’est-ce pas? – Eh bien, c’est… c’est… mais je n’ose pas vous le dire.

      Il riait tout à fait maintenant; et soudain, étendant la main devant lui:

      – Regardez!

      Une file de voitures chargées de foin s’en venaient traînées par des vaches accouplées deux par deux. Les bêtes lentes, le front bas, la tête inclinée par le joug, les cornes liées à la barre de bois, marchaient péniblement; et on voyait sous leur peau soulevée remuer les os de leurs jambes. Devant chaque attelage, un homme en manches de chemise, en gilet et en chapeau noir, allait, une baguette à la main, réglant l’allure des animaux. De temps en temps il se tournait, et, sans jamais frapper, touchait l’épaule ou le front d’une vache qui clignait ses gros yeux vagues et obéissait à son geste.

      Christiane et Paul se rangèrent pour les laisser passer.

      Il lui dit:

      – Sentez-vous?

      Elle s’étonna:

      – Quoi donc? ça sent l’étable.

      – Oui, ça sent l’étable; et toutes ces vaches qui vont par les chemins, car il n’y a point de chevaux dans ce pays, sèment sur les routes cette odeur d’étable qui, mêlée à la poussière fine, donne au vent une saveur de vanille.

      Christiane, un peu dégoûtée, murmura:

      – Oh!

      Il reprit:

      – Permettez, en ce moment j’analyse comme un pharmacien. En tout cas, nous sommes, Madame, dans le pays le plus séduisant, le plus doux, le plus reposant que j’aie jamais vu. Un pays de l’âge d’or. Et la Limagne, oh! la Limagne! Mais je ne vous en parle pas, je veux vous la montrer. Vous verrez!

      Le marquis et Gontran les rejoignirent. Le marquis passa son bras sous celui