Madame Bovary. Gustave Flaubert. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Gustave Flaubert
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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hauteur de la bâche, empêchaient les voyageurs de voir la route et leur salissaient les épaules. Les petits carreaux de ses vasistas étroits tremblaient dans leurs châssis quand la voiture était fermée, et gardaient des taches de boue, çà et là, parmi leur vieille couche de poussière, que les pluies d’orage même ne lavaient pas tout à fait. Elle était attelée de trois chevaux, dont le premier en arbalète, et, lorsqu’on descendait les côtes, elle touchait du fond en cahotant.

      Quelques bourgeois d’Yonville arrivèrent sur la place; ils parlaient tous à la fois, demandant des nouvelles, des explications et des bourriches; Hivert ne savait auquel répondre. C’était lui qui faisait à la ville les commissions du pays. Il allait dans les boutiques, rapportait des rouleaux de cuir au cordonnier, de la ferraille au maréchal, un baril de harengs pour sa maîtresse, des bonnets de chez la modiste, des toupets de chez le coiffeur; et, le long de la route, en s’en revenant, il distribuait ses paquets, qu’il jetait par-dessus les clôtures des cours, debout sur son siège, et criant à pleine poitrine, pendant que ses chevaux allaient tout seuls.

      Un accident l’avait retardé: la levrette de madame Bovary s’était enfuie à travers champs. On l’avait sifflée un grand quart d’heure. Hivert même était retourné d’une demi-lieue en arrière, croyant l’apercevoir à chaque minute; mais il avait fallu continuer la route. Emma avait pleuré, s’était emportée; elle avait accusé Charles de ce malheur. M. Lheureux, marchand d’étoffes, qui se trouvait avec elle dans la voiture, avait essayé de la consoler par quantité d’exemples de chiens perdus, reconnaissant leur maître au bout de longues années. On en citait un, disait-il, qui était revenu de Constantinople à Paris. Un autre avait fait cinquante lieues en ligne droite et passé quatre rivières à la nage; et son père à lui-même avait possédé un caniche qui, après douze ans d’absence, lui avait tout à coup sauté sur le dos, un soir, dans la rue, comme il allait dîner en ville.

      II. Emma descendit la première, puis Félicité, M. Lheureux, une nourrice…

      Emma descendit la première, puis Félicité, M. Lheureux, une nourrice, et l’on fut obligé de réveiller Charles dans son coin, où il s’était endormi complètement dès que la nuit était venue.

      Homais se présenta; il offrit ses hommages à Madame, ses civilités à Monsieur, dit qu’il était charmé d’avoir pu leur rendre quelque service, et ajouta d’un air cordial qu’il avait osé s’inviter lui-même, sa femme d’ailleurs étant absente.

      Madame Bovary, quand elle fut dans la cuisine, s’approcha de la cheminée. Du bout de ses deux doigts, elle prit sa robe à la hauteur du genou, et, l’ayant ainsi remontée jusqu’aux chevilles, elle tendit à la flamme, par-dessus le gigot qui tournait, son pied chaussé d’une bottine noire. Le feu l’éclairait en entier, pénétrant d’une lumière crue la trame de sa robe, les pores égaux de sa peau blanche et même les paupières de ses yeux qu’elle clignait de temps à autre. Une grande couleur rouge passait sur elle, selon le souffle du vent qui venait par la porte entrouverte.

      De l’autre côté de la cheminée, un jeune homme à chevelure blonde la regardait silencieusement.

      Comme il s’ennuyait beaucoup à Yonville, où il était clerc chez maître Guillaumin, souvent M. Léon Dupuis (c’était lui, le second habitué du Lion d’or) reculait l’instant de son repas, espérant qu’il viendrait quelque voyageur à l’auberge avec qui causer dans la soirée. Les jours que sa besogne était finie il lui fallait bien, faute de savoir que faire, arriver à l’heure exacte, et subir depuis la soupe jusqu’au fromage le tête-à-tête de Binet. Ce fut donc avec joie qu’il accepta la proposition de l’hôtesse de dîner en la compagnie des nouveaux venus, et l’on passa dans la grande salle, où madame Lefrançois, par pompe, avait fait dresser les quatre couverts.

      Homais demanda la permission de garder son bonnet grec, de peur des coryzas.

      Puis, se tournant vers sa voisine:

      – Madame, sans doute, est un peu lasse? On est si épouvantablement cahoté dans notre Hirondelle!

      – Il est vrai, répondit Emma; mais le dérangement m’amuse toujours; j’aime à changer de place.

      – C’est une chose si maussade, soupira le clerc, que de vivre cloué aux mêmes endroits!

      – Si vous étiez comme moi, dit Charles, sans cesse obligé d’être à cheval…

      – Mais, reprit Léon. s’adressant à madame Bovary, rien n’est plus agréable, il me semble; quand on le peut, ajouta-t-il.

      – Du reste, disait l’apothicaire, l’exercice de la médecine n’est pas fort pénible en nos contrées; car l’état de nos routes permet l’usage du cabriolet, et, généralement, l’on paye assez bien, les cultivateurs étant aisés. Nous avons, sous le rapport médical, à part les cas ordinaires d’entérite, bronchite, affections bilieuses, etc., de temps à autre quelques fièvres intermittentes à la moisson, mais, en somme, peu de choses graves, rien de spécial à noter, si ce n’est beaucoup d’humeurs froides, et qui tiennent sans doute aux déplorables conditions hygiéniques de nos logements de paysan. Ah! vous trouverez bien des préjugés à combattre, monsieur Bovary; bien des entêtements de la routine, où se heurteront quotidiennement tous les efforts de votre science; car on a recours encore aux neuvaines, aux reliques, au curé, plutôt que de venir naturellement chez le médecin ou chez le pharmacien. Le climat, pourtant, n’est point, à vrai dire, mauvais, et même nous comptons dans la commune quelques nonagénaires. Le thermomètre (j’en ai fait les observations) descend en hiver jusqu’à quatre degrés, et, dans la forte saison, touche vingt-cinq, trente centigrades tout au plus, ce qui nous donne vingt-quatre Réaumur au maximum, ou autrement cinquante-quatre Fahrenheit (mesure anglaise), pas davantage! – et, en effet, nous sommes abrités des vents du nord par la forêt d’Argueil d’une part, des vents d’ouest par la côte Saint-Jean de l’autre, et cette chaleur, cependant, qui à cause de la vapeur d’eau dégagée par la rivière et la présence considérable de bestiaux dans les prairies, lesquels exhalent, comme vous savez, beaucoup d’ammoniaque, c’est-à-dire azote, hydrogène et oxygène (non, azote et hydrogène seulement), et qui, pompant à elle l’humus de la terre, confondant toutes ces émanations différentes, les réunissant en un faisceau, pour ainsi dire, et se combinant de soi-même avec l’électricité répandue dans l’atmosphère, lorsqu’il y en a, pourrait à la longue, comme dans les pays tropicaux, engendrer des miasmes insalubres; – cette chaleur, dis-je, se trouve justement tempérée du côté où elle vient, ou plutôt d’où elle viendrait, c’est-à-dire du côté sud, par les vents de sud-est, lesquels, s’étant rafraîchis d’eux-mêmes en passant sur la Seine, nous arrivent quelquefois tout d’un coup, comme des brises de Russie!

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