Monsieur Lecoq. Emile Gaboriau. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Emile Gaboriau
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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la façon la plus naturelle et la plus vulgaire.

      Elle expliquait la lutte, le témoignage de la veuve Chupin, la déclaration du faux soldat mourant.

      L’attitude du meurtrier devenait toute simple. Il était resté pour couvrir la retraite de deux femmes ; il s’était livré pour ne les pas laisser prendre, acte de chevaleresque galanterie, si bien dans le caractère français, que les plus tristes coquins des barrières en sont coutumiers.

      Restait cette allusion si inattendue à la bataille de Waterloo. Mais que prouvait-elle maintenant ? Rien.

      Qui ne sait où une passion indigne peut faire descendre un homme bien né !… Le carnaval justifiait tous les travestissements….

      Mais pendant que Lecoq tournait et retournait dans son esprit toutes ces probabilités, le père Absinthe s’impatientait.

      – Allons-nous rester plantés ici pour reverdir ? dit-il. Nous arrêtons-nous juste au moment où notre enquête donne des résultats si brillants ?…

      Des résultats brillants !… Ce mot blessa le jeune policier autant que la plus amère ironie.

      – Ah ! laissez-moi tranquille !… fit-il brutalement, et surtout n’avancez pas dans le jardin, vous gâteriez les empreintes.

      Le bonhomme jura, puis se tut. Il subissait l’irrésistible ascendant d’une intelligence supérieure, d’une énergique volonté.

      Lecoq avait repris le fil de ses déductions.

      – Voici probablement, pensait-il, comment les choses se sont passées :

      Le meurtrier, sortant du bal de l’Arc-en-Ciel, qui est là-bas, près des fortifications, arrive ici avec deux femmes… Il y trouve trois buveurs qui le plaisantent ou qui se montrent trop galants… Il se fâche… Les autres le menacent, il est seul contre trois, il est armé, il perd la tête et fait feu…

      Il s’interrompit, et après un instant ajouta tout haut :

      – Mais est-ce bien le meurtrier qui a amené les femmes ? S’il est jugé, tout l’effort du débat portera sur ce point… On peut essayer de l’éclaircir.

      Aussitôt il traversa le cabaret, ayant toujours son vieux collègue sur les talons, et se mit à examiner les alentours de la porte enfoncée par Gévrol.

      Peine perdue ! Il n’y restait que très peu de neige, et tant de personnes avaient passé et piétiné, qu’on ne discernait rien.

      Quelle déception après un si long espoir !…

      Lecoq pleurait presque de rage. Il voyait remise indéfiniment cette capricieuse occasion si fiévreusement épiée. Il lui semblait entendre les grossiers sarcasmes de Gévrol.

      – Allons !… murmura-t-il, assez bas pour n’être pas entendu, il faut savoir reconnaître sa défaite. Le Général avait raison et je ne suis qu’un sot.

      Il était si positivement persuadé qu’on pouvait tout au plus relever les circonstances d’un crime vulgaire, qu’il se demandait s’il ne serait pas sage de renoncer à toute information et de rentrer faire un somme, en attendant le commissaire de police.

      Mais ce n’était plus l’opinion du père Absinthe.

      Le bonhomme, qui était à mille lieues des réflexions de son compagnon, ne s’expliquait pas son inaction et ne tenait plus en place.

      – Eh bien !… garçon, fit-il, deviens-tu fou ! Voici assez de temps perdu, ce me semble. La justice va arriver dans quelques heures ; quel rapport présenterons-nous ?… Moi d’abord, si tu as envie de flâner, j’agis seul…

      Si attristé qu’il fût, le jeune policier ne put s’empêcher de sourire. Il reconnaissait ses exhortations de l’instant d’avant. C’était le vieux qui devenait l’intrépide.

      – À l’œuvre donc ! soupira-t-il, en homme qui, prévoyant un échec, veut du moins ne rien avoir à se reprocher.

      Seulement, il était malaisé de suivre des traces de pas en plein air, la nuit, à la lueur vacillante d’une chandelle que le plus léger souffle devait éteindre.

      – Il est impossible, dit Lecoq, qu’il n’y ait pas une lanterne dans cette masure. Le tout est de mettre la main dessus.

      Ils furetèrent, et, en effet, au premier étage, dans la propre chambre de la veuve Chupin, ils découvrirent une lanterne toute garnie, si petite et si nette, que certainement elle n’était pas destinée à d’honnêtes usages.

      – Un véritable outil de filou, fit le père Absinthe avec un gros rire.

      L’outil était commode, en tout cas, les deux agents le reconnurent lorsque, de retour au jardin, ils recommencèrent méthodiquement leurs investigations.

      Ils s’avancèrent un peu avec des précautions infinies.

      Le vieil agent, debout, dirigeait au bon endroit la lumière de la lanterne, et Lecoq, à genoux, étudiait les empreintes avec l’attention d’un chiromancien s’efforçant de lire l’avenir dans la main d’un riche client.

      Un nouvel examen assura Lecoq qu’il avait bien vu. Il était évident que deux femmes avaient quitté la Poivrière par cette issue. Elles étaient sorties en courant, cette certitude résultait de la largeur des enjambées, et aussi de la disposition des empreintes.

      La différence des traces laissées par les deux fugitives était d’ailleurs si remarquable, qu’elle sauta aux yeux du père Absinthe.

      – Cristi !… murmura-t-il, une de ces gaillardes peut se vanter d’avoir un joli pied au bout de la jambe.

      Il avait raison. L’une des pistes trahissait un pied mignon, coquet, étroit, emprisonné dans d’élégantes bottines, hautes de talon, fines de semelles, cambrées outre mesure.

      L’autre dénonçait un gros pied, court, qui allait en s’élargissant vers le bout, chaussé de solides souliers très plats.

      Cette circonstance était bien peu de chose. Elle suffit pour rendre à Lecoq toutes ses espérances, tant l’homme accueille facilement les présomptions qui flattent ses désirs.

      Palpitant d’anxiété, il se traîna sur la neige l’espace d’un mètre, pour analyser d’autres vestiges, il se baissa, et aussitôt laissa échapper la plus éloquente exclamation.

      – Qu’y a-t-il ? interrogea vivement le vieux policier, qu’as-tu vu ?

      – Voyez vous-même, papa ; tenez, là…

      Le bonhomme se pencha, et sa surprise fut si forte qu’il faillit lâcher sa lanterne.

      – Oh !… dit-il d’une voix étranglée, un pas d’homme !…

      – Juste. Et le gaillard avait de maîtresses bottes. Quelle empreinte, hein ! Est-elle nette, est-elle pure !… On peut compter les clous.

      Le digne père Absinthe se grattait furieusement l’oreille, ce qui est sa façon d’aiguillonner son intelligence paresseuse.

      – Mais il me semble, hasarda-t-il enfin, que l’individu ne sortait pas de ce cabaret de malheur.

      – Parbleu !… la direction du pied le dit assez. Non, il n’en sortait pas, il s’y rendait. Seulement, il n’a pas dépassé cette place où nous sommes. Il s’avançait sur la pointe du pied, le cou tendu, prêtant l’oreille, quand, arrivé ici, il a entendu du bruit… la peur l’a pris, il s’est enfui.

      – Ou bien, garçon, les femmes sortaient comme il arrivait, et alors…

      – Non. Les femmes étaient hors du jardin quand il y a pénétré.

      L’assertion, pour le coup, sembla au bonhomme par trop audacieuse.

      – Ça, fit-il, on ne peut pas le savoir.

      – Je le sais, cependant, et de la façon la plus positive. Vous doutez, papa !… C’est que vos