Monsieur Lecoq. Emile Gaboriau. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Emile Gaboriau
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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la propriétaire de l’hôtel….

      – C’est moi, monsieur.

      – Oh !… très bien ; alors voici : J’ai donné rendez-vous à Paris à un ouvrier de Leipzig, je suis surpris qu’il ne soit pas arrivé encore, et je viens savoir s’il ne serait pas descendu chez vous. Il se nomme Mai.

      – Mai, répéta l’hôtelière qui eut l’air de chercher, Mai !…

      – Il aurait dû arriver dimanche soir… C’est un pauvre diable !…

      La physionomie de la femme s’éclaira.

      – Attendez-donc ! fit-elle. Votre ouvrier serait-il par hasard un homme d’un certain âge, de taille moyenne, très brun, portant toute sa barbe, ayant des yeux très brillants ?

      Lecoq tressaillit. C’était le signalement du meurtrier.

      – Voilà bien, balbutia-t-il, le portrait de mon homme !

      – Eh bien !… monsieur, il est descendu chez moi dans l’après-midi du dimanche gras. Il a demandé un cabinet très bon marché, et je lui en ai montré un au cinquième. Le garçon étant absent en ce moment, il a voulu à toute force porter sa malle lui-même. Je lui ai offert de prendre quelque chose, il a refusé sous prétexte qu’il était très pressé, et il est parti après m’avoir remis dix francs d’arrhes.

      – Et où est-il ? demanda vivement le jeune policier.

      – Mon Dieu !… monsieur, répondit la femme, vous m’y faites penser !… Cet homme n’a pas reparu, et je ne suis pas sans inquiétudes. Paris est si dangereux pour les étrangers ! Il est vrai que lui il parle le français comme vous et moi. N’importe !… j’ai dès hier soir donné l’ordre d’aller prévenir le commissaire de police.

      – Hier !… le commissaire !…

      – Oui … Seulement je ne sais pas si on a fait la commission… J’avais oublié ! Permettez que je sonne le garçon pour lui demander…

      Un seau d’eau glacée, tombant de dix mètres sur la tête du jeune policier, l’eût moins étourdi que la déclaration de la propriétaire de l’hôtel de Mariembourg.

      Le meurtrier avait-il donc dit vrai ?… Était-ce possible !… Gévrol et le directeur du Dépôt auraient raison alors !… En ce cas, M. Segmuller et lui, Lecoq, ne seraient que des insensés, des coureurs de chimères !

      La trame ingénieuse des savantes déductions était rompue !… Le bel échafaudage de la prévention s’écroulait dans le ridicule de la plate réalité !…

      Tout cela traversa comme un éclair le cerveau du jeune agent.

      Mais il n’eut pas le temps de réfléchir.

      Le garçon appelé parut, un bon gros garçon candide et joufflu.

      – Fritz, lui demanda sa patronne, êtes-vous allé chez le commissaire ?

      – Oui, madame.

      – Que vous a-t-il dit ?

      – Je ne l’ai pas trouvé, mais j’ai parlé à son secrétaire, M. Casimir, qui m’a dit de ne pas vous tourmenter, qu’il viendrait.

      – Il n’est pas venu.

      Le garçon leva les deux bras avec ce mouvement d’épaules qui est la plus éloquente traduction de cette réponse : « Que voulez-vous que j’y fasse !… »

      – Vous voyez, monsieur … fit l’hôtelière, semblant croire que l’importun questionneur allait se retirer.

      Telle n’était pas l’intention de Lecoq, et il ne bougea, encore qu’il eût besoin de tout son sang-froid pour garder, en dépit de l’émotion, son accent anglais.

      – C’est bien désagréable, prononça-t-il, oh !… beaucoup ! Me voilà moins avancé que tout à l’heure et plus indécis, puisque je crois bien que cet homme est celui que je cherche, et que cependant je n’en suis pas assuré du tout.

      – Dame !… monsieur, que voulez-vous que je vous dise !…

      Lecoq se recueillit, fronçant les sourcils et pinçant les lèvres, comme s’il eût poursuivi quelque inspiration pour le sortir d’incertitude.

      La vérité est qu’il cherchait par quel détour adroit se faire proposer par cette femme le livre de police où les hôteliers sont tenus de consigner les prénoms, noms, profession et domicile de tous les gens qui viennent loger chez eux. Il tremblait d’éveiller ses soupçons.

      – Comme cela, madame, insista-t-il, vous ne vous souvenez aucunement du nom que vous a donné cet homme ?… Voyons, est-ce Mai ?… Faites un effort, rappelez-vous… Mai, Mai !….

      – Ah !… j’ai tant de choses dans la tête….

      – On pourrait bien, murmura le jeune policier, qui sembla se disposer à sortir, on devrait bien inscrire le nom des voyageurs, comme en Angleterre.

      – Mais on les inscrit, monsieur, riposta la femme se rebiffant, et au jour le jour, sur un registre exprès, imprimé, avec des colonnes pour chaque mention … Et au fait, j’y songe, je puis, pour vous obliger, vous montrer mon livre, il est là, dans le tiroir de mon secrétaire… Allons, bon ! voici que je ne trouve plus ma clef….

      Pendant que cette hôtelière, d’aussi peu de cervelle, évidemment, que ses oiseaux parleurs, bouleversait tout dans le bureau de son hôtel, Lecoq l’observait en dessous.

      C’était une femme de quarante ans environ, très blonde, conservée comme les blondes qui se conservent, c’est-à-dire fraîche, blanche, dodue, ayant de la santé à plein corset, appétissante à la manière de ces beaux fruits murs dont l’eau savoureuse coule le long des lèvres quand on mort dedans.

      Son regard était d’ailleurs droit et franc, elle avait la voix bien timbrée, ses façons étaient simples et parfaitement naturelles.

      – Ah ! s’écria-t-elle, triomphante, j’ai cette maudite clef.

      Elle ouvrit aussitôt son secrétaire, en sortit le livre de police qu’elle posa sur la tablette, et commença à feuilleter.

      Elle s’y prenait assez maladroitement, de telle sorte que le jeune policier avec ses yeux de lynx put constater que le registre était bien tenu.

      Enfin, elle arriva au feuillet important.

      – Dimanche, 20 février, dit-elle, regardez, monsieur, ici, à la septième ligne : MAI, – sans prénom, – artiste forain, – venant de Leipzig, – sans papiers….

      Pendant que Lecoq examinait cette mention d’un air absolument hébété, la femme eut encore un souvenir.

      – Je m’explique, s’écria-t-elle, comment je n’avais dans la mémoire ni ce nom de Mai, ni cette drôle de profession : artiste forain. Ce n’est pas moi qui ai écrit cela…

      – Qui donc est-ce ?…

      – L’individu lui-même, monsieur, pendant que je cherchais dix francs pour les lui rendre sur un louis qu’il venait de me remettre. Vous devez bien voir que l’écriture n’est plus du tout celle des autres inscriptions qui sont au-dessus et au-dessous….

      Oui, Lecoq voyait cela, et c’était un argument irréfutable, précis et terrible comme un coup de bâton.

      – Êtes-vous bien sûre, au moins, insista-t-il vivement, que cette mention est de la main de l’homme ?… Le jureriez-vous ?…

      Il était si fort troublé, qu’il oublia sa prononciation exotique. La femme s’en aperçut, car elle recula, enveloppant d’un regard soupçonneux ce faux étranger.

      Puis, à la défiance, la colère d’avoir été prise pour dupe, parut succéder.

      – Je sais ce que je dis ! déclara-t-elle un peu plus que sèchement. Et ensuite, en voilà