Celui-là se démenait pour percer, La conduite lâche de son ami et ses éternelles jérémiades lui semblaient stupides. Bientôt, leur correspondance devint presque nulle. Frédéric avait donné tous ses meubles à Deslauriers, qui gardait son logement. Sa mère lui en parlait de temps à autre ; un jour enfin, il déclara son cadeau, et elle le grondait, quand il reçut une lettre.
«Qu’est-ce donc ? dit-elle, tu trembles ?
– Je n’ai rien !» répliqua Frédéric.
Deslauriers lui apprenait qu’il avait recueilli Sénécal ; et depuis quinze jours, ils vivaient ensemble. Donc, Sénécal s’étalait, maintenant, au milieu des choses qui provenaient de chez Arnoux ! Il pouvait les vendre, faire des remarques dessus, des plaisanteries. Frédéric se sentit blessé, jusqu’au fond de l’âme. Il monta dans sa chambre. Il avait envie de mourir.
Sa mère l’appela. C’était pour le consulter, à propos d’une plantation dans le jardin.
Ce jardin, en manière de parc anglais, était coupé à son milieu par une clôture de bâtons, et la moitié appartenait au père Roque, qui en possédait un autre, pour les légumes, sur le bord de la rivière. Les deux voisins, brouillés, s’abstenaient d’y paraître aux mêmes heures. Mais, depuis que Frédéric était revenu, le bonhomme s’y promenait plus souvent et n’épargnait pas les politesses au fils de Mme Moreau. Il le plaignait d’habiter une petite ville. Un jour, il raconta que M. Dambreuse avait demandé de ses nouvelles. Une autre fois, il s’étendit sur la coutume de Champagne, où le ventre anoblissait.
«Dans ce temps-là, vous auriez été un seigneur, puisque votre mère s’appelait de Fouvens. Et on a beau dire, allez ! c’est quelque chose, un nom ! Après tout , ajouta-t-il, en le regardant d’un air malin, cela dépend du garde des sceaux.»
Cette prétention d’aristocratie jurait singulièrement avec sa personne. Comme il était petit, sa grande redingote marron exagérait la longueur de son buste. Quand il ôtait sa casquette, on apercevait un visage presque féminin avec un nez extrêmement pointu ; ses cheveux de couleur jaune ressemblaient à une perruque ; il saluait le monde très bas, en frisant les murs.
Jusqu’à cinquante ans, il s’était contenté des services de Catherine, une Lorraine du même âge que lui, et fortement marquée de petite vérole. Mais, vers 1834, il ramena de Paris une belle blonde, à figure moutonnière, à «port de reine». On la vit bientôt se pavaner avec de grandes boucles d’oreilles, et tout fut expliqué, par la naissance d’une fille, déclarée sous les noms d’Elisabeth-Olympe-Louise Roque.
Catherine, dans sa jalousie, s’attendait à exécrer cette enfant. Au contraire, elle l’aima. Elle l’entoura de soins, d’attentions et de caresses, pour supplanter sa mère et la rendre odieuse, entreprise facile, car Mme Eléonore négligeait complètement la petite, préférant bavarder chez les fournisseurs. Dès le lendemain de son mariage, elle alla faire une visite à la sous-préfecture, ne tutoya plus les servantes, et crut devoir, par bon ton, se montrer sévère pour son enfant. Elle assistait à ses leçons ; le professeur, un vieux bureaucrate de la mairie, ne savait pas s’y prendre. L’élève s’insurgeait, recevait des gifles, et allait pleurer sur les genoux de Catherine, qui lui donnait invariablement raison. Alors, les deux femmes se querellaient ; M. Roque les faisait taire. Il s’était marié par tendresse pour sa fille, et ne voulait pas qu’on la tourmentât.
Souvent elle portait une robe blanche en lambeaux avec un pantalon garni de dentelles ; et, aux grandes fêtes, sortait vêtue comme une princesse, afin de mortifier un peu les bourgeois, qui empêchaient leurs marmots de la fréquenter, vu sa naissance illégitime.
Elle vivait seule, dans son jardin, se balançait à l’escarpolette, courait après les papillons, puis tout à coup s’arrêtait à contempler les cétoines s’abattant sur les rosiers. C’étaient ces habitudes, sans doute, qui donnaient à sa figure une expression à la fois de hardiesse et de rêverie. Elle avait la taille de Marthe, d’ailleurs, si bien que Frédéric lui dit, dès leur seconde entrevue :
«Voulez-vous me permettre de vous embrasser, mademoiselle ?»
La petite personne leva la tête, et répondit :
– Je veux bien !»
Mais la haie de bâtons les séparait l’un de l’autre.
«Il faut monter dessus , dit Frédéric.
– Non, enlève-moi !»
Il se pencha par-dessus la haie et la saisit au bout de ses bras, en la baisant sur les deux joues ; puis il la remit chez elle, par le même procédé, qui se renouvela les fois suivantes.
Sans plus de réserve qu’une enfant de quatre ans, sitôt qu’elle entendait venir son ami, elle s’élançait à sa rencontre, ou bien, se cachant derrière un arbre, elle poussait un jappement de chien, pour l’effrayer.
Un jour que Mme Moreau était sortie, il la fit monter dans sa chambre. Elle ouvrit tous les flacons d’odeur et se pommada les cheveux abondamment ; puis, sans la moindre gêne, elle se coucha sur le lit où elle restait tout de son long, éveillée.
«Je m’imagine que je suis ta femme», disait-elle.
Le lendemain, il l’aperçut tout en larmes. Elle avoua» qu’elle pleurait ses péchés», et, comme il cherchait à les connaître, elle répondit en baissant les yeux «Ne m’interroge pas davantage !»
La première communion approchait ; on l’avait conduite le matin à confesse.
Le sacrement ne la rendit guère plus sage. Elle entrait parfois dans de véritables colères ; on avait recours à M. Frédéric pour la calmer.
Souvent il l’emmenait avec lui dans ses promenades.
Tandis qu’il rêvassait en marchant, elle cueillait des coquelicots au bord des blés, et, quand elle le voyait plus triste qu’à l’ordinaire, elle tâchait de le consoler par de gentilles paroles. Son coeur, privé d’amour, se rejeta sur cette amitié d’enfant ; il lui dessinait des bonshommes, lui contait des histoires et il se mit à lui faire des lectures.
Il commença par les Annales romantiques, un recueil de vers et de prose, alors célèbre. Puis, oubliant son âge, tant son intelligence le charmait, il lut successivement Atala, Cinq-Mars, les Feuilles d’automne. Mais, une nuit (le soir même, elle avait entendu Macbeth, dans la simple traduction de Letourneur), elle se réveilla en criant :» La tache ! la tache !», ses dents claquaient, elle tremblait, et, fixant des yeux épouvantés sur sa main droite, elle la frottait en disant :» Toujours une tache !» Enfin arriva le médecin, qui prescrivit d’éviter les émotions.
Les bourgeois ne virent là-dedans qu’un pronostic défavorable pour ses moeurs. On disait que «le fils Moreau» voulait en faire plus tard une actrice.
Bientôt il fut question d’un autre événement, à savoir l’arrivée de l’oncle Barthélemy. Mme Moreau lui donna sa chambre à coucher, et poussa la condescendance jusqu’à servir du gras les jours maigres.
Le vieillard fut médiocrement aimable. C’étaient de perpétuelles comparaisons entre le Havre et Nogent, dont il trouvait l’air lourd, le pain mauvais, les rues mal pavées, la nourriture médiocre et les habitants des paresseux.«Quel pauvre commerce chez vous !» Il blâma les extravagances de défunt Son frère, tandis que, lui, il avait amassé vingt-sept mille livres de rente ! Enfin, il partit au bout de la semaine, et sur le marchepied de la voiture, lâcha ces mots