– Je vous conduis à une expédition brillante et utile à la fois. Après l’amiral, après Téligny, après les princes huguenots, je ne pouvais rien vous offrir de mieux. Prenez donc patience. C’est rue du Chaume que nous avons affaire, et dans un instant nous allons y être.
– Dites-moi, demanda Coconnas, la rue du Chaume n’est-elle pas proche du Temple?
– Oui, pourquoi?
– Ah! c’est qu’il y a là un vieux créancier de notre famille, un certain Lambert Mercandon, auquel mon père m’a recommandé de rendre cent nobles à la rose que j’ai là à cet effet dans ma poche.
– Eh bien, dit Maurevel, voilà une belle occasion de vous acquitter envers lui.
– Comment cela?
– C’est aujourd’hui le jour où l’on règle ses vieux comptes. Votre Mercandon est-il huguenot?
– Oh! oh! fit Coconnas, je comprends, il doit l’être.
– Chut! nous sommes arrivés.
– Quel est ce grand hôtel avec son pavillon sur la rue?
– L’hôtel de Guise.
– En vérité, dit Coconnas, je ne pouvais pas manquer de venir ici, puisque j’arrive à Paris sous le patronage du grand Henri. Mais, mordi! tout est bien tranquille dans ce quartier-ci, mon cher, c’est tout au plus si l’on entend le bruit des arquebusades: on se croirait en province; tout le monde dort, ou que le diable m’emporte!
En effet, l’hôtel de Guise lui-même semblait aussi tranquille que dans les temps ordinaires. Toutes les fenêtres en étaient fermées, et une seule lumière brillait derrière la jalousie de la fenêtre principale du pavillon qui avait, lorsqu’il était entré dans la rue, attiré l’attention de Coconnas. Un peu au-delà de l’hôtel de Guise, c’est-à-dire au coin de la rue du Petit-Chantier et de celle des Quatre-Fils, Maurevel s’arrêta.
– Voici le logis de celui que nous cherchons, dit-il.
– De celui que vous cherchez, c’est-à-dire…, fit La Hurière.
– Puisque vous m’accompagnez, nous le cherchons.
– Comment! cette maison qui semble dormir d’un si bon sommeil…
– Justement! Vous, La Hurière, vous allez utiliser l’honnête figure que le ciel vous a donnée par erreur, en frappant à cette maison. Passez votre arquebuse à M. de Coconnas, il y a une heure que je vois qu’il la lorgne. Si vous êtes introduit, vous demanderez à parler au seigneur de Mouy.
– Ah! ah! fit Coconnas, je comprends: vous avez aussi un créancier dans le quartier du Temple, à ce qu’il paraît.
– Justement, continua Maurevel. Vous monterez donc en jouant le huguenot, vous avertirez de Mouy de tout ce qui se passe; il est brave, il descendra…
– Et une fois descendu? demanda La Hurière.
– Une fois descendu, je le prierai d’aligner son épée avec la mienne.
– Sur mon âme, c’est d’un brave gentilhomme, dit Coconnas, et je compte faire exactement la même chose avec Lambert Mercandon; et s’il est trop vieux pour accepter, ce sera avec quelqu’un de ses fils ou de ses neveux.
La Hurière alla sans répliquer frapper à la porte; ses coups, retentissant dans le silence de la nuit, firent ouvrir les portes de l’hôtel de Guise et sortir quelques têtes par ses ouvertures: on vit alors que l’hôtel était calme à la manière des citadelles, c’est-à-dire parce qu’il était plein de soldats.
Ces têtes rentrèrent presque aussitôt, devinant sans doute de quoi il était question.
– Il loge donc là, votre M. de Mouy? dit Coconnas montrant la maison où La Hurière continuait de frapper.
– Non, c’est le logis de sa maîtresse.
– Mordi! quelle galanterie vous lui faites! lui fournir l’occasion de tirer l’épée sous les yeux de sa belle! Alors nous serons les juges du camp. Cependant j’aimerais assez à me battre moi-même. Mon épaule me brûle.
– Et votre figure, demanda Maurevel, elle est aussi fort endommagée. Coconnas poussa une espèce de rugissement.
– Mordi! dit-il, j’espère qu’il est mort, ou sans cela je retournerais au Louvre pour l’achever. La Hurière frappait toujours.
Bientôt une fenêtre du premier étage s’ouvrit, et un homme parut sur le balcon en bonnet de nuit, en caleçon et sans armes.
– Qui va là? cria cet homme. Maurevel fit un signe à ses Suisses, qui se rangèrent sous une encoignure, tandis que Coconnas s’aplatissait de lui-même contre la muraille.
– Ah! monsieur de Mouy, dit l’aubergiste de sa voix câline, est-ce vous?
– Oui, c’est moi: après?
– C’est bien lui, murmura Maurevel en frémissant de joie.
– Eh! monsieur, continua La Hurière, ne savez-vous point ce qui se passe? On égorge M. l’amiral, on tue les religionnaires nos frères. Venez vite à leur aide, venez.
– Ah! s’écria de Mouy, je me doutais bien qu’il se tramait quelque chose pour cette nuit. Ah! je n’aurais pas dû quitter mes braves camarades. Me voici, mon ami, me voici, attendez-moi.
Et sans refermer la fenêtre, par laquelle sortirent quelques cris de femme effrayée, quelques supplications tendres, M. de Mouy chercha son pourpoint, son manteau et ses armes.
– Il descend, il descend! murmura Maurevel pâle de joie. Attention, vous autres! glissa-t-il dans l’oreille des Suisses.
Puis retirant l’arquebuse des mains de Coconnas et soufflant sur la mèche pour s’assurer qu’elle était toujours bien allumée:
– Tiens, La Hurière, ajouta-t-il à l’aubergiste, qui avait fait retraite vers le gros de la troupe, reprends ton arquebuse.
– Mordi! s’écria Coconnas, voici la lune qui sort d’un nuage pour être témoin de cette belle rencontre. Je donnerais beaucoup pour que Lambert Mercandon fût ici et servît de second à M. de Mouy.
– Attendez, attendez! dit Maurevel. M. de Mouy vaut dix hommes à lui tout seul, et nous en aurons peut-être assez à nous six à nous débarrasser de lui. Avancez, vous autres, continua Maurevel en faisant signe aux Suisses de se glisser contre la porte, afin de le frapper quand il sortira.
– Oh! oh! dit Coconnas en regardant ces préparatifs, il paraît que cela ne se passera point tout à fait comme je m’y attendais.
Déjà on entendait le bruit de la barre que tirait de Mouy. Les Suisses étaient sortis de leur cachette pour prendre leur place près de la porte. Maurevel et La Hurière s’avançaient sur la pointe du pied, tandis que, par un reste de gentilhommerie, Coconnas restait à sa place, lorsque la jeune femme, à laquelle on ne pensait plus, parut à son tour au balcon et poussa un cri terrible en apercevant les Suisses, Maurevel et La Hurière.
de Mouy, qui avait déjà entrouvert la porte, s’arrêta.
– Remonte, remonte, cria la jeune femme; je vois reluire des épées, je vois briller la mèche d’une arquebuse. C’est un guet-apens.
– Oh! oh! reprit en grondant la voix du jeune homme, voyons un peu ce que veut dire tout ceci. Et il referma la porte, remit la barre, repoussa le verrou et remonta.
L’ordre de bataille de Maurevel fut changé dès qu’il vit que de Mouy ne sortirait point. Les Suisses allèrent se poster de l’autre côté de la rue, et La Hurière, son arquebuse au poing, attendit que l’ennemi reparût à la fenêtre. Il n’attendit pas longtemps. de Mouy s’avança précédé de deux pistolets d’une longueur si respectable, que