Il se fit un instant de silence pendant lequel Catherine demeura les yeux fixés sur la duchesse de Lorraine, qui de son côté, sans parler, regardait sa mère les mains jointes.
Henri tournait le dos, mais voyait la scène dans une glace, tout en ayant l’air de friser sa moustache avec une pommade que venait de lui donner René.
– Et vous, Henri, dit Catherine, sortez-vous toujours?
– Ah! oui! c’est vrai! s’écria le roi de Navarre. Ah! par ma foi! j’oubliais que le duc d’Alençon et le prince de Condé m’attendent: ce sont ces admirables parfums qui m’enivrent et, je crois, me font perdre la mémoire. Au revoir, madame.
– Au revoir! Demain, vous m’apprendrez des nouvelles de l’amiral, n’est ce pas?
– Je n’aurai garde d’y manquer. Eh bien, Phébé! qu’y a-t-il?
– Phébé! dit la reine mère avec impatience.
– Rappelez-la, madame, dit le Béarnais, car elle ne veut pas me laisser sortir.
La reine mère se leva, prit la petite chienne par son collier et la retint, tandis que Henri s’éloignait le visage aussi calme et aussi riant que s’il n’eût pas senti au fond de son cœur qu’il courait danger de mort.
Derrière lui, la petite chienne lâchée par Catherine de Médicis s’élança pour le rejoindre; mais la porte était refermée, et elle ne put que glisser son museau allongé sous la tapisserie en poussant un hurlement lugubre et prolongé.
– Maintenant, Charlotte, dit Catherine à madame de Sauve, va chercher M. de Guise et Tavannes, qui sont dans mon oratoire, et reviens avec eux pour tenir compagnie à la duchesse de Lorraine qui a ses vapeurs.
VII. La nuit du 24 août 1572
Lorsque La Mole et Coconnas eurent achevé leur maigre souper, car les volailles de l’hôtellerie de la Belle-Étoile ne flambaient que sur l’enseigne, Coconnas fit pivoter sa chaise sur un de ses quatre pieds, étendit les jambes, appuya son coude sur la table, et dégustant un dernier verre de vin:
– Est-ce que vous allez vous coucher incontinent, monsieur de la Mole? demanda-t-il.
– Ma foi! j’en aurais grande envie, monsieur, car il est possible qu’on vienne me réveiller dans la nuit.
– Et moi aussi, dit Coconnas; mais il me semble, en ce cas, qu’au lieu de nous coucher et de faire attendre ceux qui doivent nous envoyer chercher, nous ferions mieux de demander des cartes et de jouer. Cela fait qu’on nous trouverait tout préparés.
– J’accepterais volontiers la proposition, monsieur; mais pour jouer je possède bien peu d’argent; à peine si j’ai cent écus d’or dans ma valise; et encore, c’est tout mon trésor. Maintenant, c’est à moi de faire fortune avec cela.
– Cent écus d’or! s’écria Coconnas, et vous vous plaignez! Mordi! mais moi, monsieur, je n’en ai que six.
– Allons donc, reprit La Mole, je vous ai vu tirer de votre poche une bourse qui m’a paru non seulement fort ronde, mais on pourrait même dire quelque peu boursouflée.
– Ah! ceci, dit Coconnas, c’est pour éteindre une ancienne dette que je suis obligé de payer à un vieil ami de mon père que je soupçonne d’être comme vous tant soit peu huguenot. Oui, il y a là cent nobles à la rose, continua Coconnas en frappant sur sa poche; mais ces cent nobles à la rose appartiennent à maître Mercandon; quant à mon patrimoine personnel, il se borne, comme je vous l’ai dit, à six écus.
– Comment jouer, alors?
– Et c’est précisément à cause de cela que je voulais jouer. D’ailleurs, il m’était venu une idée.
– Laquelle?
– Nous venons tous deux à Paris dans un même but?
– Oui.
– Nous avons chacun un protecteur puissant?
– Oui.
– Vous comptez sur le vôtre comme je compte sur le mien?
– Oui.
– Eh bien, il m’était venu dans la pensée de jouer d’abord notre argent, puis la première faveur qui nous arrivera, soit de la cour, soit de notre maîtresse…
– En effet, c’est fort ingénieux! dit La Mole en souriant; mais j’avoue que je ne suis pas assez joueur pour risquer ma vie tout entière sur un coup de cartes ou de dés, car de la première faveur qui nous arrivera à vous et à moi découlera probablement notre vie tout entière.
– Eh bien, laissons donc là la première faveur de la cour, et jouons la première faveur de notre maîtresse.
– Je n’y vois qu’un inconvénient, dit La Mole.
– Lequel?
– C’est que je n’ai point de maîtresse, moi.
– Ni moi non plus; mais je compte bien ne pas tarder à en avoir une! Dieu merci! on n’est point taillé de façon à manquer de femmes.
– Aussi, comme vous dites, n’en manquerez-vous point, monsieur de Coconnas; mais, comme je n’ai point la même confiance dans mon étoile amoureuse, je crois que ce serait vous voler que de mettre mon enjeu contre le vôtre. Jouons donc jusqu’à concurrence de vos six écus, et, si vous les perdiez par malheur et que vous voulussiez continuer le jeu, eh bien, vous êtes gentilhomme, et votre parole vaut de l’or.
– À la bonne heure! s’écria Coconnas, et voilà qui est parler; vous avez raison, monsieur, la parole d’un gentilhomme vaut de l’or, surtout quand ce gentilhomme a du crédit à la cour. Aussi, croyez que je ne me hasarderais pas trop en jouant contre vous la première faveur que je devrais recevoir.
– Oui, sans doute, vous pouvez la perdre; mais moi, je ne pourrais pas la gagner; car, étant au roi de Navarre, je ne puis rien tenir de M. le duc de Guise.
– Ah! parpaillot! murmura l’hôte tout en fourbissant son vieux casque, je t’avais donc bien flairé. Et il s’interrompit pour faire le signe de la croix.
– Ah çà, décidément, reprit Coconnas en battant les cartes que venait de lui apporter le garçon, vous en êtes donc?…
– De quoi?
– De la religion.
– Moi?
– Oui, vous.
– Eh bien! mettez que j’en sois! dit La Mole en souriant. Avez-vous quelque chose contre nous?
– Oh! Dieu merci, non; cela m’est bien égal. Je hais profondément la huguenoterie, mais je ne déteste pas les huguenots, et puis c’est la mode.
– Oui, répliqua La Mole en riant, témoin l’arquebusade de M. l’amiral! Jouerons-nous aussi des arquebusades?
– Comme vous voudrez, dit Coconnas; pourvu que je joue, peu m’importe quoi.
– Jouons donc, dit La Mole en ramassant ses cartes et en les rangeant dans sa main.
– Oui, jouez et jouez de confiance; car, dussé-je perdre cent écus d’or comme les vôtres, j’aurai demain matin de quoi les payer.
– La fortune vous viendra donc en dormant?
– Non, c’est moi qui irai la trouver.
– Où cela, dites-moi? j’irai avec vous!
– Au Louvre.
– Vous y retournez cette nuit?
– Oui, cette nuit j’ai une audience particulière du grand duc de Guise.
Depuis que Coconnas avait parlé d’aller chercher fortune au Louvre, La Hurière s’était interrompu de fourbir sa salade et s’était venu placer derrière la chaise de La Mole, de manière que Coconnas