La Peau de chagrin. Honore de Balzac. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Honore de Balzac
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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l’égoïsme des grands hommes, comme le bonheur est celui des sots?

      – Monsieur, vous êtes bien heureux.

      – Le premier qui inventa les fossés était sans doute un homme faible, car la société ne profite qu’aux gens chétifs. Placés aux deux extrémités du monde moral, le sauvage et le penseur ont également horreur de la propriété.

      – Joli! s’écria Cardot. S’il n’y avait pas de propriétés, comment pourrions-nous faire des actes?

      – Voilà des petits pois délicieusement fantastiques!

      – Et le curé fut trouvé mort dans son lit, le lendemain…

      – Qui parle de mort? Ne badinez pas! J’ai un oncle.

      – Vous vous résigneriez sans doute à le perdre.

      – Ce n’est pas une question.

      – Écoutez-moi, messieurs! MANIÈRE DE TUER SON ONCLE. Chut! (Écoutez! Écoutez!) Ayez d’abord un oncle gros et gras, septuagénaire au moins, ce sont les meilleurs oncles. (Sensation.) Faites-lui manger, sous un prétexte quelconque, un pâté de foie gras…

      – Hé! mon oncle est un grand homme sec, avare et sobre.

      – Ah! ces oncles-là sont des monstres qui abusent de la vie.

      – Et, dit l’homme aux oncles en continuant, annoncez-lui pendant sa digestion, la faillite de son banquier.

      – S’il résiste?

      – Lâchez-lui une jolie fille!

      – S’il est… dit-il en faisant un geste négatif.

      – Alors, ce n’est pas un oncle, l’oncle est essentiellement égrillard.

      – La voix de la Malibran a perdu deux notes.

      – Non, monsieur.

      – Si, monsieur.

      – Oh! oh! Oui et non, n’est-ce pas l’histoire de toutes les dissertations religieuses, politiques et littéraires? L’homme est un bouffon qui danse sur des précipices!

      – À vous entendre, je suis un sot.

      – Au contraire, c’est parce que vous ne m’entendez pas.

      – L’instruction, belle niaiserie! Monsieur Heineffettermach porte le nombre des volumes imprimés à plus d’un milliard, et la vie d’un homme ne permet pas d’en lire cent cinquante mille. Alors expliquez-moi ce que signifie le mot instruction? pour les uns, elle consiste à savoir les noms du cheval d’Alexandre, du dogue Bérécillo, du seigneur des Accords, et d’ignorer celui de l’homme auquel nous devons le flottage des bois ou la porcelaine. Pour les autres, être instruit, c’est savoir brûler un testament et vivre en honnêtes gens, aimés, considérés, au lieu de voler une montre en récidive, avec les cinq circonstances aggravantes, et d’aller mourir en place de Grève, haïs et déshonorés.

      – Lamartine restera-t-il?

      – Ah! Scribe, monsieur, a bien de l’esprit.

      – Et Victor Hugo?

      – C’est un grand homme, n’en parlons plus.

      – Vous êtes ivres!

      – La conséquence immédiate d’une constitution est l’aplatissement des intelligences. Arts, sciences, monuments, tout est dévoré par un effroyable sentiment d’égoïsme, notre lèpre actuelle. Vos trois cents bourgeois, assis sur des banquettes, ne penseront qu’à planter des peupliers. Le despotisme fait illégalement de grandes choses, la liberté ne se donne même pas la peine d’en faire légalement de très-petites.

      – Votre enseignement mutuel fabrique des pièces de cent sous en chair humaine, dit un absolutiste en interrompant. Les individualités disparaissent chez un peuple nivelé par l’instruction.

      – Cependant le but de la société n’est-il pas de procurer à chacun le bien-être? demanda le saint-simonien.

      – Si vous aviez cinquante mille livres de rente, vous ne penseriez guère au peuple. Êtes-vous épris de belle passion pour l’humanité; allez à Madagascar: vous y trouverez un joli petit peuple tout neuf à saint-simoniser, à classer, à mettre en bocal; mais ici, chacun entre tout naturellement dans son alvéole, comme une cheville dans son trou. Les portiers sont portiers, et les niais sont des bêtes sans avoir besoin d’être promus par un collége des Pères. Ah! ah!

      – Vous êtes un carliste!

      – Pourquoi pas? J’aime le despotisme il annonce un certain mépris pour la race humaine. Je ne hais pas les rois. Ils sont si amusants! Trôner dans une chambre, à trente millions de lieues du soleil, n’est-ce donc rien?

      – Mais résumons cette large vue de la civilisation, disait le savant qui pour l’instruction du sculpteur inattentif avait entrepris une discussion sur le commencement des sociétés et sur les peuples autochtones. À l’origine des nations la force fut en quelque sorte matérielle, une, grossière; puis avec l’accroissement des agrégations, les gouvernements ont procédé par des décompositions plus ou moins habiles du pouvoir primitif. Ainsi, dans la haute antiquité, la force était dans la théocratie; le prêtre tenait le glaive et l’encensoir. Plus tard, il y eut deux sacerdoces: le pontife et le roi. Aujourd’hui, notre société, dernier terme de la civilisation, a distribué la puissance suivant le nombre des combinaisons, et nous sommes arrivés aux forces nommées industrie, pensée, argent, parole. Le pouvoir n’ayant plus alors d’unité marche sans cesse vers une dissolution sociale qui n’a plus d’autre barrière que l’intérêt. Aussi ne nous appuyons-nous ni sur la religion, ni sur la force matérielle, mais sur l’intelligence. Le livre vaut-il le glaive, la discussion vaut-elle l’action? Voilà le problème.

      – L’intelligence a tout tué, s’écria le carliste. Allez, la liberté absolue mène les nations au suicide, elles s’ennuient dans le triomphe, comme un Anglais millionnaire.

      – Que nous direz-vous de neuf? Aujourd’hui vous avez ridiculisé tous les pouvoirs, et c’est même chose vulgaire que de nier Dieu! Vous n’avez plus de croyance. Aussi le siècle est-il comme un vieux sultan perdu de débauche! Enfin, votre lord Byron, en dernier désespoir de poésie, a chanté les passions du crime.

      – Savez-vous, lui répondit Bianchon complétement ivre, qu’une dose de phosphore de plus ou de moins fait l’homme de génie ou le scélérat, l’homme d’esprit ou l’idiot, l’homme vertueux ou le criminel?

      – Peut-on traiter ainsi la vertu! s’écria de Cursy. La vertu, sujet de toutes les pièces de théâtre, denoûment de tous les drames, base de tous les tribunaux.

      – Hé! tais-toi donc, animal. Ta vertu, c’est Achille sans talon! dit Bixiou.

      – À boire!

      – Veux-tu parier que je bois une bouteille de vin de Champagne d’un seul trait?

      – Quel trait d’esprit! s’écria Bixiou.

      – Ils sont gris comme des charretiers, dit un jeune homme qui donnait sérieusement à boire à son gilet.

      – Oui, monsieur, le gouvernement actuel est l’art de faire régner l’opinion publique.

      – L’opinion? mais c’est la plus vicieuse de toutes les prostituées! À vous entendre, hommes de morale et de politique, il faudrait sans cesse préférer vos lois à la nature, l’opinion à la conscience. Allez, tout est vrai, tout est faux! Si la société nous a donné le duvet des oreillers, elle a certes compensé le bienfait par la goutte, comme elle a mis la procédure pour tempérer la justice, et les rhumes à la suite des châles de Cachemire.

      – Monstre! dit Émile en interrompant le misanthrope, comment peux-tu médire de la civilisation en présence de vins, de mets aussi délicieux, et à table jusqu’au menton? Mords ce chevreuil aux pieds et aux cornes dorées, mais ne mords pas ta mère.

      – Est-ce