Les fleurs du mal. Charles Baudelaire. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Charles Baudelaire
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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voir, chère indolente,

      De ton corps si beau,

      Comme une étoffe vacillante,

      Miroiter la peau!

      Sur ta chevelure profonde

      Aux âcres parfums,

      Mer odorante et vagabonde

      Aux flots bleus et bruns,

      Comme un navire qui s’éveille

      Au vent du matin,

      Mon âme rêveuse appareille

      Pour un ciel lointain.

      Tes yeux, où rien ne se révèle

      De doux ni d’amer,

      Sont deux bijoux froids où se mêle

      L’or avec le fer.

      À te voir marcher en cadence,

      Belle d’abandon,

      On dirait un serpent qui danse

      Au bout d’un bâton.

      Sous le fardeau de ta paresse

      Ta tête d’enfant

      Se balance avec la mollesse

      D’un jeune éléphant,

      Et ton corps se penche et s’allonge

      Comme un fin vaisseau

      Qui roule bord sur bord et plonge

      Ses vergues dans l’eau.

      Comme un flot grossi par la fonte

      Des glaciers grondants,

      Quand l’eau de ta bouche remonte

      Au bord de tes dents,

      Je crois boire un vin de Bohême,

      Amer et vainqueur,

      Un ciel liquide qui parsème

      D’étoiles mon cœur!

      XXIX. Une charogne

      Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,

      Ce beau matin d’été si doux:

      Au détour d’un sentier une charogne infâme

      Sur un lit semé de cailloux,

      Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,

      Brûlante et suant les poisons,

      Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique

      Son ventre plein d’exhalaisons.

      Le soleil rayonnait sur cette pourriture,

      Comme afin de la cuire à point,

      Et de rendre au centuple à la grande Nature

      Tout ce qu’ensemble elle avait joint;

      Et le ciel regardait la carcasse superbe

      Comme une fleur s’épanouir.

      La puanteur était si forte, que sur l’herbe

      Vous crûtes vous évanouir.

      Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,

      D’où sortaient de noirs bataillons

      De larves, qui coulaient comme un épais liquide

      Le long de ces vivants haillons.

      Tout cela descendait, montait comme une vague,

      Ou s’élançait en pétillant;

      On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,

      Vivait en se multipliant.

      Et ce monde rendait une étrange musique,

      Comme l’eau courante et le vent,

      Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rhythmique

      Agite et tourne dans son van.

      Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,

      Une ébauche lente à venir,

      Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève

      Seulement par le souvenir.

      Derrière les rochers une chienne inquiète

      Nous regardait d’un œil fâché,

      Épiant le moment de reprendre au squelette

      Le morceau qu’elle avait lâché.

      – Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,

      À cette horrible infection,

      Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,

      Vous, mon ange et ma passion!

      Oui! telle vous serez, ô la reine des grâces,

      Après les derniers sacrements,

      Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses,

      Moisir parmi les ossements.

      Alors, ô ma beauté! dites à la vermine

      Qui vous mangera de baisers,

      Que j’ai gardé la forme et l’essence divine

      De mes amours décomposés!

      XXX. De profundis clamavi

      J’implore ta pitié, Toi, l’unique, que j’aime,

      Du fond du gouffre obscur où mon cœur est tombé.

      C’est un univers morne à l’horizon plombé,

      Où nagent dans la nuit l’horreur et le blasphème;

      Un soleil sans chaleur plane au-dessus six mois,

      Et les six autres mois la nuit couvre la terre;

      C’est un pays plus nu que la terre polaire;

      – Ni bêtes, ni ruisseaux, ni verdure, ni bois!

      Or il n’est pas d’horreur au monde qui surpasse

      La froide cruauté de ce soleil de glace

      Et cette immense nuit semblable au vieux Chaos;

      Je jalouse le sort des plus vils animaux

      Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide.

      Tant l’écheveau du temps lentement se dévide!

      XXXI. Le vampire

      Toi qui, comme un coup de couteau,

      Dans mon cœur plaintif es entrée;

      Toi qui, forte comme un troupeau

      De démons, vins, folle et parée,

      De mon esprit humilié

      Faire ton lit et ton domaine;

      – Infâme à qui je suis lié

      Comme le forçat à la chaîne,

      Comme au jeu le joueur têtu,

      Comme à la bouteille l’ivrogne,

      Comme aux vermines la charogne,

      – Maudite, maudite sois-tu!

      J’ai prié le glaive rapide

      De conquérir ma liberté,

      Et j’ai dit au poison perfide

      De secourir ma lâcheté.

      Hélas! le poison et le glaive

      M’ont pris en dédain et m’ont dit:

      «Tu n’es pas digne qu’on t’enlève

      À ton esclavage maudit,

      Imbécile! – de son empire

      Si nos efforts te délivraient,

      Tes baisers ressusciteraient

      Le cadavre de ton vampire!»

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