Арсен Люпен – джентельмен-грабитель / Arsеne Lupin Gentleman-Cambrioleur. Книга для чтения на французском языке. Морис Леблан. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Морис Леблан
Издательство: КАРО
Серия: Roman policier (Каро)
Жанр произведения: Классические детективы
Год издания: 0
isbn: 978-5-9925-1550-3
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de se lier de cette façon, il fut établi que l’écriture de la carte différait absolument de l’écriture de Rozaine, et ressemblait au contraire, à s’y méprendre, à celle d’Arsène Lupin, telle que la reproduisait un ancien journal trouvé à bord.

      Ainsi donc, Rozaine n’était plus Arsène Lupin. Rozaine était Rozaine, fils d’un négociant de Bordeaux ! Et la présence d’Arsène Lupin s’affirmait une fois de plus, et par quel acte redoutable !

      Ce fut la terreur. On n’osa plus rester seul dans sa cabine, et pas davantage s’aventurer seul aux endroits trop écartés. Prudemment on se groupait entre gens sûrs les uns des autres. Et encore, une défiance instinctive divisait les plus intimes. C’est que la menace ne provenait pas d’un individu isolé, surveillé, et par là même moins dangereux. Arsène Lupin, maintenant, c’était… c’était tout le monde. Notre imagination surexcitée lui attribuait un pouvoir miraculeux et illimité. On le supposait capable de prendre les déguisements les plus inattendus, d’être tour à tour le respectable major Rawson, ou le noble marquis de Raverdan, ou même, car on ne s’arrêtait plus à l’initiale accusatrice, ou même telle ou telle personne connue de tous, ayant femme, enfants, domestiques.

      Les premières dépêches sans fil n’apportèrent aucune nouvelle. Du moins le commandant ne nous en fit point part, et un tel silence n’était pas pour nous rassurer.

      Aussi, le dernier jour parut-il interminable. On vivait dans l’attente anxieuse d’un malheur. Cette fois, ce ne serait plus un vol, ce ne serait plus une simple agression, ce serait le crime, le meurtre. On n’admettait pas qu’Arsène Lupin s’en tînt à ces deux larcins insignifiants. Maître absolu du navire, les autorités réduites à l’impuissance, il n’avait qu’à vouloir, tout lui était permis, il disposait des biens et des existences.

      Heures délicieuses pour moi, je l’avoue, car elles me valurent la confiance de miss Nelly. Impressionnée par tant d’événements, de nature déjà inquiète, elle chercha spontanément à mes côtés une protection, une sécurité que j’étais heureux de lui offrir.

      Au fond, je bénissais Arsène Lupin. N’était-ce pas lui qui nous rapprochait ? N’était-ce pas grâce à lui que j’avais le droit de m’abandonner aux plus beaux rêves ? Rêves d’amour et rêves moins chimériques, pourquoi ne pas le confesser ? Les Andrézy sont de bonne souche poitevine, mais leur blason est quelque peu dédoré, et il ne me paraît pas indigne d’un gentilhomme de songer à rendre à son nom le lustre perdu.

      Et ces rêves, je le sentais, n’offusquaient point Nelly. Ses yeux souriants m’autorisaient à les faire. La douceur de sa voix me disait d’espérer.

      Et jusqu’au dernier moment, accoudés aux bastingages, nous restâmes l’un près de l’autre, tandis que la ligne des côtes américaines voguait au-devant de nous.

      On avait interrompu les perquisitions. On attendait. Depuis les premières jusqu’à l’entrepont où grouillaient les émigrants, on attendait la minute suprême où s’expliquerait enfin l’insoluble énigme. Qui était Arsène Lupin ? Sous quel nom, sous quel masque se cachait le fameux Arsène Lupin ?

      Et cette minute suprême arriva. Dussé-je vivre cent ans, je n’en oublierai pas le plus infime détail.

      – Comme vous êtes pâle, miss Nelly, dis-je à ma compagne qui s’appuyait à mon bras, toute défaillante.

      – Et vous ! me répondit-elle, ah ! vous êtes si changé !

      – Songez donc ! cette minute est passionnante, et je suis si heureux de la vivre auprès de vous, miss Nelly. Il me semble que votre souvenir s’attardera quelquefois…

      Elle n’écoutait pas, haletante et fiévreuse. La passerelle s’abattit. Mais avant que nous eûmes la liberté de la franchir, des gens montèrent à bord, des douaniers, des hommes en uniforme, des facteurs.

      Miss Nelly balbutia :

      – On s’apercevrait qu’Arsène Lupin s’est échappé pendant la traversée que je n’en serais pas surprise.

      – Il a peut-être préféré la mort au déshonneur, et plonger dans l’Atlantique plutôt que d’être arrêté.

      – Ne riez pas, fit-elle, agacée.

      Soudain je tressaillis, et comme elle me questionnait, je lui dis :

      – Vous voyez ce vieux petit homme debout à l’extrémité de la passerelle ?

      – Avec un parapluie et une redingote vert-olive ?

      – C’est Ganimard.

      – Ganimard ?

      – Oui, le célèbre policier, celui qui a juré qu’Arsène Lupin serait arrêté de sa propre main. Ah ! je comprends que l’on n’ait pas eu de renseignements de ce côté de l’Océan. Ganimard était là ! et il aime bien que personne ne s’occupe de ses petites affaires.

      – Alors Arsène Lupin est sûr d’être pris ?

      – Qui sait ? Ganimard ne l’a jamais vu, paraît-il, que grimé et déguisé. À moins qu’il ne connaisse son nom d’emprunt…

      – Ah ! dit-elle, avec cette curiosité un peu cruelle de la femme, si je pouvais assister à l’arrestation !

      – Patientons. Certainement Arsène Lupin a déjà remarqué la présence de son ennemi. Il préférera sortir parmi les derniers, quand l’œil du vieux sera fatigué.

      Le débarquement commença. Appuyé sur son parapluie, l’air indifférent, Ganimard ne semblait pas prêter attention à la foule qui se pressait entre les deux balustrades. Je notai qu’un officier du bord, posté derrière lui, le renseignait de temps à autre.

      Le marquis de Raverdan, le major Rawson, l’Italien Rivolta, défilèrent, et d’autres, et beaucoup d’autres… Et j’aperçus Rozaine qui s’approchait.

      Pauvre Rozaine ! il ne paraissait pas remis de ses mésaventures !

      – C’est peut-être lui tout de même, me dit miss Nelly… Qu’en pensez-vous ?

      – Je pense qu’il serait fort intéressant d’avoir sur une même photographie Ganimard et Rozaine. Prenez donc mon appareil, je suis si chargé.

      Je le lui donnai, mais trop tard pour qu’elle s’en servît. Rozaine passait. L’officier se pencha à l’oreille de Ganimard, celui-ci haussa légèrement les épaules, et Rozaine passa.

      Mais alors, mon Dieu, qui était Arsène Lupin ?

      – Oui, fit-elle à haute voix, qui est-ce ?

      Il n’y avait plus qu’une vingtaine de personnes. Elle les observait tour à tour, avec la crainte confuse qu’il ne fût pas, lui, au nombre de ces vingt personnes.

      Je lui dis :

      – Nous ne pouvons attendre plus longtemps.

      Elle s’avança. Je la suivis. Mais nous n’avions pas fait dix pas que Ganimard nous barra le passage.

      – Eh bien, quoi ? m’écriai-je.

      – Un instant, monsieur, qui vous presse ?

      – J’accompagne mademoiselle.

      – Un instant, répéta-t-il d’une voix plus impérieuse.

      Il me dévisagea profondément, puis il me dit, les yeux dans les yeux :

      – Arsène Lupin, n’est-ce pas ?

      Je me mis à rire.

      – Non, Bernard d’Andrézy, tout simplement.

      – Bernard d’Andrézy est mort il y a trois ans en Macédoine.

      – Si Bernard d’Andrézy était mort, je ne serais plus de ce monde. Et ce n’est pas le cas. Voici mes papiers.

      – Ce sont les siens. Comment les avez-vous, c’est ce que j’aurai le plaisir de vous expliquer.

      – Mais