— Silence ! articula-t-elle silencieusement.
La porte du balcon s’ouvrit, et Margaret se figea. Puis la porte fut refermée d’un claquement, avant que l’homme ne puisse à nouveau crier, et le soulagement envahit Margaret.
Elle était sauvée.
Elle essaya d’ajuster sa position, pour qu’elle puisse remonter sur le balcon et attendre jusqu’à ce que sa mère ait quitté la chambre du duc. Une bourrasque de vent la renversa presque, semblant désireuse d’agrandir la déchirure de sa robe pour augmenter son indécence.
Les doigts de Margaret glissèrent. Elle lutta pour conserver sa prise, mais de la pluie tomba encore, enveloppant sa main de liquide glacé.
Le cœur de Margaret tressauta d’incertitude, mais elle serra les dents.
Je peux y arriver.
Je dois y arriver.
Margaret se concentra pour raffermir sa prise autour de la balustrade, ne se préoccupant pas de savoir si elle avait l’air ridicule depuis la rue.
Elle ne pouvait pas lâcher.
Lâcher signifiait probablement des blessures.
Lâcher signifiait probablement la mort.
— Accrochez-vous, ma petite, cria l’homme. Ne tombez pas. Vous n’avez pas envie de vous tuer.
Les braillements de l’homme n’étaient pas rassurants.
— Cette fille va mourir, dit-il d’une voix sonore. Ici, à Grosvenor Square. Imaginez un peu. Ça ne vaut pas le coup d’être une voleuse, ça non.
Le cœur de Margaret bondit dans sa poitrine, et la pluie froide continua à l’arroser. Des gouttes se glissèrent sous son col, dégoulinant dans son dos avec plus de force que le champagne n’avait réussi à montrer.
Margaret claqua des dents, mais elle tint bon.
D’autres voix se firent entendre en-dessous d’elle, les roues d’une calèche grincèrent sourdement, et un cheval hennit, mais Margaret tint bon.
Le processus restait difficile. L’épuisement montait en elle, et une douleur lui parcourut le bras. Le vent souffla en rafale dans sa direction, fouettant des boucles de cheveux sur ses yeux.
Ses doigts glissèrent.
Sapristi.
Margaret dégringola.
Elle agita les mains en l’air, essayant de se raccrocher à quelque chose, n’importe quoi.
Ses boucles furent balayées hors de ses yeux, mais tout ce qu’elle vit fut de la grisaille.
Elle battit des bras vers le haut, comme s’il pouvait y avoir quelque chose à agripper, mais il n’y avait rien : c’était la fin.
Margaret s’écrasa.
Elle rebondit.
Rebondir n’était pas le résultat auquel elle s’était attendue. Elle roula, puis tomba encore, atterrissant cette fois sur les pavés.
Elle était vivante. C’était un état qu’elle avait pris pour acquis, mais qu’à présent, elle appréciait beaucoup.
De gouttes de pluie froides continuaient à atterrir sur elle, son corps était douloureux, et sa robe était maintenant à la fois déchirée et boueuse, mais cela n’avait pas d’importance.
Je suis vivante.
Elle soupira.
Avec délice.
— Mademoiselle ?
Le majordome a l’air sévère de tout à l’heure descendit prestement d’une calèche, suivit par le cocher bavard qui était sur le trottoir.
Margaret se releva péniblement des pavés. Son turban à plumes avait atterri dans une flaque de boue, et une plume avait été délogée de son perchoir. Bien que Margaret ait souhaité avoir une excuse pour ne pas le porter, la vision de son turban abimé manquait de la satisfaction qu’elle avait imaginée.
Le majordome l’examina avec la vigueur d’un homme habitué à chercher la moindre tâche en polissant l’argenterie.
— Vous allez bien ?
— Oui.
Elle allait bien. Elle était debout, et ses mains fonctionnaient.
Margaret observa la calèche. De toute évidence, elle avait atterri sur le toit de la calèche et cela lui avait sauvé la vie.
— Vous l’avez déplacée pour moi ?
Le majordome hocha la tête.
— Après que cet homme m’ait alerté, j’ai envisagé de rentrer et de vous atteindre par le balcon, mais j’ai pensé que ceci serait plus rapide.
— Merci, dit-elle.
— Vous auriez pu détruire cette calèche, aboya le cocher. Bien content que ce ne soit pas la mienne.
Il dirigea un regard sévère vers le majordome avant de reprendre.
— Les calèches coûtent cher.
— J-Je n’avait pas l’intention de tomber, bégaya Margaret.
Le cocher fronça ses épais sourcils et lui lança un regard noir.
Il se tourna vers le majordome.
— Dois-je aller chercher un vigile ? Elle était peut-être en train de cambrioler ! Une robe terriblement élégante, pour une vagabonde. Très suspect.
Le majordome lui adressa un sourire aimable.
— Je pense que c’est une invitée, Monsieur.
— Une invitée ? dit le cocher dont les yeux s’écarquillèrent. Vous en êtes certain ?
— Il est difficile d’oublier une robe de cette nuance de jaune. Il en va de même pour ce turban.
Le majordome dirigea son regard avec gravité vers la flaque et son contenu détruit.
Les hommes continuèrent à parler, mais Margaret ne pouvait plus écouter. Elle devait partir.
Même les plus excentriques n’étaient pas supposées escalader l’extérieur des balcons ducaux. Margaret n’avait pas survécu pour être réprimandée davantage. Son statut dans le beau monde était déjà suffisamment bas. Elle n’avait certainement pas besoin de rumeurs disant qu’elle était une cambrioleuse. Elle ne pouvait pas rester là, mais elle ne pouvait pas retourner au bal avec une robe déchirée et boueuse non plus.
Des cochers lui jetèrent des regards curieux depuis leurs calèches, certains passant la tête sous la petite pluie fine.
Si seulement son propre cocher attendait là. Malheureusement, il ne passerait les prendre qu’à minuit. Le ciel était peut-être sombre, mais elle doutait qu’il soit déjà proche de cette heure, et Margaret n’avait aucun désir de l’attendre.
— Voulez-vous entrer à l’intérieur ? demanda le majordome.
Margaret hésita.
Ne pas rester sous la pluie était tentant. Elle ne devrait pas rester ici et continuer à converser avec des cochers déconcertés. Un invité pourrait sortir de la résidence à tout moment. La présence de Margaret serait impossible à ne pas remarquer, et la réputation de Margaret deviendrait encore plus discutable.
Margaret n’avait peut-être pas été découverte au lit avec le duc, mais se retrouver seule, dans la rue, dans une robe déchirée