I. Arrivée
Tout était en l’air[1] au château de Fleurville. Camille et Madeleine de Fleurville, Marguerite de Rosbourg et Sophie Fichini, leurs amies, allaient et venaient[2], montaient et descendaient l’escalier, couraient dans les corridors, sautaient, riaient, criaient, se poussaient. Les deux mamans, Mme de Fleurville et Mme de Rosbourg, souriaient à cette agitation, qu’elles ne partageaient pas, mais qu’elles ne cherchaient pas à calmer; elles étaient assises dans un salon qui donnait sur le chemin d’arrivée. De minute en minute[3], une des petites filles passait la tête à la porte et demandait: «Eh bien, arrivent-ils?
– Pas encore, chère prtite, répondait une des mamans.
– A! tant mieux, nous n’avons pas encore fini.»
Et elle repartait comme une flèche[4].
«Mes amies, ils n’arrivent pas encore; nous avons le temps de tout finir.
Tant mieux! Sophie, va vite au potager demander des fleurs…
Quelles fleurs faut-il demander?
Des dahlias et du réséda: ce sera facile à arranger, et l’odeur en sera agréable et pas trop forte.
Et moi, Camille, que dois-je faire?
Toi, cours avec Madeleine chercher de la mousse pour cacher les queues des fleurs. Moi, je vais laver les vases à la cuisine, et j’y mettrai de l’eau.»
Sophie courut au potager et rapporta un grand panier rempli de beaux dahlias et de réséda qui embaumait.
Marguerite et Madeleine ramenèrent une brouette de mousse.
Camille apporta quatre vases bien lavés, bien essuyés et pleins d’eau.
Les quatre petites se mirent à l’ouvrage avec une telle activité, qu’un quart d’heure après, les vases étaient pleins de fleurs gracieusement arrangées; les dahlias étaient entremêlés de branches de réséda. Elles en portèrent deux dans la chambre destinée à leurs cousins Léon et Jean de Rugès, et deux dans la chambre du petit cousin Jacques de Traypi.
Je crois que tout est fini maintenant; je ne vois plus rien à faire.
Jacques sera enchanté de sa chambre; elle est charmante!
La collection d’images que nous avons mise sur la table va l’amuser beaucoup.
Je vais voir s’ils arrivent!
Oui, va, nous te suivons.»
Marguerite partit en courant, et, avant que ses amies eussent pu la rejoindre[5], elle reparut haletante et criant:
«Les voilà! les voitures ont passé la barrière, et elles entrent dans le bois.»
Camille, Madeleine et Sophie se précipitèrent vers le perron, où elles trouvèrent leurs mamans: elles auraient bien voulu courir au-devant de leurs cousins, mais les mamans les en empêchèrent.
Quelques instants après, les voitures s’arrêtaient devant le perron aux cris de joie des enfants. M. et Mme de Rugès et leurs deux fils, Léon et Jean, descendirent de la première. M. et Mme de Traypi et leur petit Jacques descendirent de la seconde. Pendant quelques instants ce fut un tumulte, un bruit, des exclamations à étourdir.
Léon était un beau et grand garçon blond, un peu moqueur, un peu rageur, un peu indolent et faible, mais bon garçon au fond; il avait treize ans.
Jean était âgé de douze ans; il avait de grands yeux noirs pleins de feu et de douceur; il avait du courage et de la résolution; il était bon, complaisant et affectueux.
Jacques était un charmant enfant de sept ans; il avait les cheveux châtains et bouclés, les yeux pétillants d’esprit et de malice, les joues roses, l’air décidé, le cœur excellent, le caractère vif, mais jamais d’humeur ni de rancune.
Comme tu es grandi, Léon!
Comme tu es embellie, Camille!
Jean a l’air d’un petit homme maintenant.
Un vrai homme, tu veux dire, comme toi tu as l’air d’une vraie demoiselle.
Mon cher petit Jacques, que je suis contente de te revoir! comme nous allons jouer!
Oh oui! nous ferons beaucoup de bêtises, comme il y a deux ans!
Te rappelles-tu les papillons que nous attrapions?
Et tous ceux que nous manquions?
Et ce pauvre crapaud que nous avons mis sur une fourmilière[6]?
Et ce petit oiseau que je t’avais déniché, et qui est mort parce que je l’avais trop serré dans mes mains?
«Oh! que nous allons nous amuser!» s’écrièrent-ils ensemble en s’embrassant pour la vingtième fois.
Sophie seule restait à l’écart; on l’avait embrassée en descendant de voiture; mais elle sentait que, ne faisant pas partie de la famille[7], n’ayant été admise à Fleurville que par suite de l’abandon de sa belle-mère, elle ne devait pas se mêler indiscrètement à la joie générale. Jean s’aperçut le premier de l’isolement de la pauvre Sophie, et, s’approchant d’elle, il lui prit les mains en lui disant avec affection:
«Ma chère Sophie, je me suis toujours souvenu de ta complaisance pour moi lors de mon dernier séjour à Fleurville; j’étais alors un petit garçon; maintenant que je suis plus grand, c’est moi qui te rendrai des services à mon tour.
Merci de ta bonté, mon bon Jean! merci de ton souvenir et de ton amitié pour la pauvre orpheline[8].
Sophie, chère Sophie, tu sais bien que nous sommes tes sœurs, que maman est ta mère! pourquoi nous affliges-tu en t’attristant toi-même?
Pardon, bonne Camille; oui, j’ai tort! j’ai réellement trouvé ici une mère et des sœurs.
– Et des frères, s’écrièrent ensemble Léon, Jean et Jacques.
– Merci, mes chers frères, dit Sophie en souriant. J’ai une famille dont je suis fière.
– Et heureuse, n’est-ce pas? dit tout bas Marguerite d’un ton caressant et en l’embrassant.
– Chère Marguerite! répondit Sophie en lui rendant son baiser[9].
– Mes enfants, mes enfants! descendez vite; venez goûter», dit Mme de Fleurville qui était restée en bas avec ses sœurs et ses beaux-frères.
Les enfants ne se firent point répéter une si agréable invitation[10]; ils descendirent en courant et se trouvèrent dans la salle à manger, autour d’une table couverte de fruits et de gâteaux.
Tout en mangeant, ils formaient des projets pour le lendemain.
Léon arrangeait une partie de pêche, Jean arrangeait des lectures à haute voix. Jacques dérangeait tout; il voulait passer toute la journée avec Marguerite pour attraper des papillons et les piquer dans ses boîtes, pour dénicher