«Bien, nous sommes d’accord sur le fait que nous ne dirons rien de ce qu’il s’est passé. Quoi qu’il en soit, tu as retrouvé la mémoire? Le docteur Abruzzo a dit qu’après suffisamment de repos et grâce aux médicaments qu’il t’a donnés, tu reprendrais tes esprits… Tu as retrouvé la raison, n’est-ce pas? Non, parce que j’ai un tas de choses à faire, je ne peux pas rester ici, j’ai confié Fernando à la voisine, je ne peux pas abuser de sa disponibilité et puis… N’oublie pas, Rea a besoin de toi.»
Elga ressentit une douleur à l’estomac. Le jour n’avait pas chassé les hallucinations finalement. Elle serra les poings. «Je.Ne.Connais.Aucune.Rea» martela-t-elle.
«Oh, Jésus, Jésus, tu l’entends? Cette femme me fera mourir de chagri!» Elisa se leva d’un bond et tourna les yeux vers le plafond. Elle sortit le chapelet de la poche de sa chemise et continua à tourner en rond quelques minutes en suivant le périmètre de la pièce, murmurant les versets de quelque prière. Enfin, elle s’arrêta et darda son regard sévère dans celui de sa fille. «Écoute, dit-elle, je sais très bien que tu as subi un traumatisme en perdant ton mari. J’ai moi aussi souffert énormément quand papa est mort et je comprends ce que l’on éprouve, mais deux ans sont passés et il est temps d’aller de l’avant. Je sais, je sais… Le docteur Abruzzo m’a expliqué l’histoire… Rea a distrait Andrea avec ses caprices et dans ton inconscient, tu lui as attribué la responsabilité de l’accident. Elle est devenue une meurtrière à tes yeux et, ne pouvant le tolérer, tu l’as complètement éliminée. À ta sortie du coma, tu disais que tu n’avais jamais eu de fille… Très bien, nous avons compris, aidée et tu semblais guérie. Mais maintenant, tu ne peux pas me trahir avec une rechute, tu ne peux pas me faire ça!»
«Maman, je ne sais pas de quoi tu parles» l’interrompit Elga, qui ne comprenait pas du tout son discours. Martina était ma fille, elle est morte avec son père et c’est une calèche qui a provoqué l’accident en nous coupant la route. Malheureusement, elle ne s’est pas arrêtée et n’a jamais été retrouvée, et le salopard qui la conduisait est resté impuni.
«Martina? Martina? Tu persistes à sortir ce prénom imaginaire?» La voix d’Elisa se fit perçante. Tu confonds réalité et imagination, ma chère, tu perds la boule et tu sais pourquoi? Parce que tu as quitté la voie du Seigneur. Si tu avais la foi, Jésus t’aiderait à surmonter ton deuil et te donnerait la force d’aimer ta fille, ta vraie fille, comme il convient. Le douleur vient du ciel, c’est le moyen dont se sert Dieu pour te mettre à l’épreuve et tu… Tu t’es laissée prendre au dépourvu!
«Je n’ai pas demandé à être mise à l’épreuve.»
«Chuuuut! Ne blasphème pas… Faisons ceci, on se prépare une bonne camomille, on se calme, puis tu prends un bain et tu commences à te préparer pour accueillir dignement la petite quand elle sortira de l’école. Je sais que tu le veux aussi. Même si tu n’as pas les idées claires, essaie de ne pas y penser, comporte-toi en bonne maman et prends les médicaments que le docteur t’a prescrits. Tu verras que ta mémoire te reviendra petit à petit et alors, tu auras honte des méchancetés que tu dis… Si Dieu le veut, on en rira même.»
«Non.» Elga secoua violemment la tête. Je ne peux pas.
«Pardon?»
«Ce n’est pas ma fille. Je ne veux pas d’elle ici.»
«Et que voudrais-tu faire?»
«Je ne sais pas. Je te dis qu’elle n’est pas ma fille, ses vrais parents sont sûrement quelque part… Peut-être que quelqu’un la cherche. Je pourrais la signaler à la police ou me tourner vers les services sociaux…»
«Tu es folle. Tu es complètement folle! Rea est ta fille, que ça te plaise ou non, et tu ne te tourneras vers personne. Les services sociaux, la police? Mais tu te rends compte? Tu veux provoquer un scandale? Tu veux qu’on finisse tous dans les journaux et salir définitivement le nom de la famille?»
Elga sentit un profond sentiment de panique gonfler sa poitrine. Ce ne pouvait être réel. C’était un cauchemar, un horrible cauchemar dont elle devait absolument se réveiller. «Ce n’est pas ma fille! Ce n’est pas ma fille!» hurla-t-elle.
Elisa lissa méticuleusement des plis imaginaires sur sa jupe. Elle fit encore quelques fois le tour de la pièce, reprenant sa litanie silencieuse, s’arrêta et défia Elga d’un froncement de sourcils combattif. «J’ai compris que tu ne veux pas collaborer, admit-elle. Dans ce cas, faisons ainsi : je prends la petite chez moi quelques jours, pour que tu puisses te soigner, te reposer et t’éclaircir les idées. J’attendrai patiemment que tu reprennes tes esprits avant de te la rendre, mais essaie de ne pas trop te la couler douce. Tu sais que je suis très occupée et que la paroisse a besoin de moi. Il y a une vente de charité à organiser, j’ai les tours pour la récitation du rosaire et les cours de formation continue pour les catéchistes. Je n’ai pas beaucoup de temps à consacrer à Rea, donc agis en conséquence.»
La femme n’y réfléchit qu’un instant. Un peu de temps pour rassembler ses idées et découvrir ce qu’il se passait réellement était exactement ce dont elle avait besoin. D’autre part, elle ne pourrait tolérer la présence de cette étrangère qui se faisait passer pour sa fille et c’était bien que sa mère l’emmène, même provisoirement.
«J’accepte, répondit-elle simplement. On fera comme tu dis.»
D’un coup, les traits crispés d’Elisa se détendirent en un sourire radieux.
«Viens ici, dit-elle joyeusement, embrasse-moi, ma petite. Tu verras qu’avec l’aide du Seigneur, on résoudra tout.»
Elle serra Elga dans ses bras. «Sur la table, il y a les médicaments que t’a prescrits le docteur Abruzzo. Je te les ai achetés après avoir accompagné Rea à l’école. Promets-moi de les prendre et d’aller le voir pour la visite de contrôle dans deux jours. Je t’ai noté la date et l’heure du rendez-vous, j’ai collé un post-it sur le frigo.»
«Je te le promets» affirma sa fille d’une voix atone. Le fait que sa mère ait utilisé un post-it signifiait qu’elle avait fouillé dans ses tiroirs pour trouver le bloc, ce qui l’ennuyait beaucoup. Elle ne commenta pas toutefois, ayant des questions plus importantes dont se préoccuper.
«Si nous sommes d’accord, je m’en vais dans ce cas. Je suis très inquiète pour Fernando, tu sais qu’il n’est pas habitué à rester avec des étrangers.»
«Bien sûr, pas de problème.» Vu les circonstances, l’inquiétude de sa mère pour son perroquet lui sembla presque grotesque, mais elle l’envia un instant. Bien qu’un temps elle aurait vendu son âme pour bénéficier des mêmes attentions, elle devait reconnaître qu’elle ne pouvait pas rivaliser avec sa diligence. Quoi qu’il en soit, Fernando connaissait par cœur plus de prières qu’elle.
«Je vais dans la chambre de Rea prendre quelques vêtements, ils lui seront utiles dans les prochains jours» reprit Elisa en changeant de sujet.
«Non!» explosa Elga en se raidissant. La chambre de Martina était un lieu sacré, inviolable. Je ne veux pas que cette enfant porte les vêtements de ma fille.
L’autre haussa les épaules, consternée.
«En effet, j’oubliais que tu es encore en proie aux hallucinations. Ça ne fait rien, laisse tomber, conclut-elle. Je lui achèterai de nouveaux vêtements, elle aura ainsi l’occasion de se changer les idées avec la