Toutes les Oeuvres Majeures de Cicéron. Ciceron . Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Ciceron
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066373825
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tutélaire. On fit venir à grands frais Zeuxis d’Héraclée, regardé comme le premier peintre de son siècle. Après avoir peint plusieurs tableaux, dont le respect des peuples pour ce temple a conservé une partie jusqu’à nos jours, l’artiste, pour donner dans un tableau le modèle d’une beauté parfaite, résolut de faire le portrait d’Hélène. Ce projet flatta les Crotoniates qui avaient entendu vanter le talent singulier de Zeuxis pour peindre les femmes ; et ils pensèrent que s’il voulait développer tous ses moyens et tout son talent, dans un genre où il excellait, il ne pouvait manquer d’enrichir leur temple d’un chef-d’œuvre.

      Leur attente ne fut point trompée. D’abord Zeuxis demanda s’ils avaient de jeunes vierges remarquables par leur beauté. On le conduisit aussitôt au gymnase, où il vit, dans un grand nombre de jeunes gens, la figure la plus noble et les plus belles proportions : car il fut un temps où les Crotoniates se distinguèrent par leur vigueur, par l’élégance et la beauté de leurs formes, et remportèrent les victoires les plus éclatantes et les plus glorieuses dans les combats gymniques. Comme il admirait les grâces et la beauté de toute cette jeunesse : Nous avons leurs soeurs, vierges encore, lui dit-on ; ce que vous voyez peut vous donner une idée de leurs charmes. — Que l’on me donne les plus belles pour modèles dans le tableau que je vous ai promis, s’écria l’artiste, et l’on trouvera dans une image muette toute la vérité de la nature.

      Alors un décret du peuple rassembla dans un même lieu toutes les jeunes vierges, et donna au peintre la liberté de choisir parmi elles. Il en choisit cinq ; les poètes se sont empressés de nous transmettre les noms de celles qui obtinrent le prix de la beauté, au jugement d’un artiste qui devait savoir si bien l’apprécier. Zeuxis ne crut donc pas pouvoir trouver réunies dans une seule femme toutes les perfections qu’il voulait donner à son Hélène. En effet, la nature en aucun genre ne produit rien de parfait : elle semble craindre d’épuiser ses perfections en les prodiguant à un seul individu, et fait toujours acheter ses faveurs par quelque disgrâce.

      II. Et nous aussi, dans le dessein que nous avons formé d’écrire sur l’éloquence, nous ne nous sommes point proposé un modèle unique, pour nous faire un devoir d’en calquer servilement tous les traits, mais nous avons réuni et rassemblé tous les écrivains, pour puiser dans leurs ouvrages ce qu’ils renferment de plus parfait, pour en prendre en quelque sorte la fleur. Car si, parmi les écrivains dont le nom mérite d’être conservé, il n’en est aucun qui n’offre quelque chose d’excellent, il n’en est aucun aussi qui nous semble réunir toutes les parties. Il nous a donc paru que ce serait une folie de rejeter ce qu’il y a de bon dans un écrivain, à cause de quelques défauts, ou de le suivre dans ses erreurs, quand nous avons reçu de lui d’utiles préceptes.

      Que si l’on voulait suivre cette marche dans les autres arts ; si, au lieu de s’asservir opiniâtrement à un seul maître, on voulait prendre de chacun ce qu’il a de meilleur, on verrait parmi les hommes moins de présomption, moins d’entêtement dans leurs erreurs et moins d’ignorance. Si j’avais pour l’éloquence le même talent que Zeuxis pour la peinture, peut-être mon ouvrage serait-il dans son genre supérieur au chef-d’œuvre sorti de son pinceau ; car j’ai eu à choisir parmi un plus grand nombre de modèles. Il n’a pu choisir, lui, que parmi les vierges d’une seule ville, et parmi celles qui vivaient à cette époque ; et moi, j’avais à ma disposition tous les écrivains qui, depuis l’origine de l’éloquence jusqu’à nos jours, ont donné des préceptes sur la rhétorique.

      Aristote rassembla tous les anciens rhéteurs depuis Tisias, le premier inventeur de l’art, et recueillit avec le plus grand soin toutes leurs leçons. II les développe avec tant de détail et de netteté, l’élégance et la précision de son style lui donnent une telle supériorité sur les inventeurs eux-mêmes, que personne n’étudie plus les premiers rhéteurs dans leurs propres écrits,et que, pour connaître leurs préceptes, on s’adresse à ce philosophe, comme à un interprète plus clair et plus facile. Ce grand homme, en mettant sous nos yeux et son opinion et celle de ses prédécesseurs, nous apprend à les connaître en se faisant connaître lui-même ; et quoique les disciples sortis de son école aient, à l’exemple de leur maître, consacré presque tous leurs soins à l’étude des plus hautes questions de la philosophie, ils nous ont néanmoins laissé, comme lui, beau coup de préceptes sur l’éloquence. D’autres rhéteurs, sortis d’une autre école, ont aussi beaucoup contribué aux progrès de l’éloquence, si l’art y contribue en quelque chose ; car Isocrate, rhéteur habile et célèbre, était contemporain d’Aristote. Nous avons perdu ses leçons ; mais ses disciples et les imitateurs qui s’empressèrent de marcher sur leurs traces et sur celle de leur maître, nous ont transmis une foule de préceptes qui venaient de lui.

      IlI. De ces deux écoles différentes, l’une, livrée à la philosophie, accordait aussi quelques moments à l’étude de l’art oratoire, et l’autre s’appliquait tout entière à la théorie et à la pratique de l’éloquence ; elles ont plus tard donné naissance à une troisième qui a emprunté des deux autres tous les secours qu’elles lui offraient. Pour moi, j’ai tâché de suivre en même temps, autant que je l’ai pu, et les plus anciens et ceux qui sont venus après eux, en mêlant quelquefois mes observations à celles de mes devanciers.

      Si les préceptes que nous exposons dans cet ouvrage méritent tout le soin que nous avons apporté à les recueillir, nous ne saurions regretter un travail qui ne trouvera point d’improbateurs. Si pourtant nous avions dans notre empressement omis quelque chose, ou adopté quelque opinion peu fondée, il suffira de nous avertir de notre erreur pour que nous nous hâtions de la corriger ; car ce qui fait la honte, ce n’est pas l’erreur, mais la sotte opiniâtreté avec laquelle on s’y attache. L’une tient à la faiblesse humaine, l’autre est un vice particulier de caractère. Ainsi, sans rien affirmer, nous parlerons de chaque objet avec la circonspection du doute ; et si nous ne pouvons obtenir le petit avantage de passer pour avoir tracé nos préceptes avec assez de facilité et d’élégance, nous éviterons du moins l’écueil bien plus dangereux de donner à quoi que ce soit une approbation téméraire et arrogante. C’est un système que nous suivrons toujours, autant que possible, et aujourd’hui et dans tout le cours de notre vie. Maintenant, pour ne pas trop prolonger ces réflexions préliminaires, nous allons donner la suite des préceptes.

      Avec la définition de la nature de l’éloquence, de son devoir, de sa fin, de sa matière et de ses parties, le premier Livre renfermait les différents genres de causes, l’art de trouver les moyens qu’elles renferment, les questions, les points à juger, enfin les parties de la composition oratoire, et des préceptes sur chacune d’elles. Tous ces sujets sont traités à part ; mais les règles de la confirmation et de la réfutation sont éparses parmi les autres. Nous allons donc donner, pour chaque genre de cause, des lieux distincts de confirmation et de réfutation ; et comme nous avons développé avec assez de soin, dans le premier Livre, la manière de traiter les preuves, nous nous contenterons d’exposer ici, avec simplicité et sans ornement, les raisons que chaque cause peut offrir. Ainsi on trouvera ici le fond des choses, et plus haut l’art de les développer. Ce que nous allons dire se rattache donc aux différentes parties de la confirmation et de la réfutation.

      IV. Toute cause, ou démonstrative, ou délibérative, on judiciaire, doit nécessairement se rapporter à un ou à plusieurs des genres de questions établis plus haut. Quoiqu’on puisse donner pour tous des principes généraux, chaque genre a néanmoins des règles différentes et particulières ; car on ne saurait employer la même méthode pour louer, blâmer, accuser, défendre, ou pour énoncer une opinion. Dans le genre judiciaire, on cherche ce qu’exige la justice ; dans le démonstratif, ce que commande l’honneur ; dans le délibératif, l’honneur et l’intérêt, du moins à notre avis ; car d’autres veulent qu’en persuadant ou dissuadant, on n’ait d’autre but que de chercher et d’exposer ce qui est conforme à l’intérêt.

      Des genres qui ont une fin, un but différents, ne peuvent donc avoir la même méthode. Ce n’est pas que nous prétendions qu’ils ne peuvent offrir des questions semblables ; mais le fond même et le genre de la cause est quelquefois de faire connaître la vie d’un homme ou d’énoncer une opinion.