Toutes les Oeuvres Majeures de Cicéron. Ciceron . Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Ciceron
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066373825
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le plus avantageux. Dans une cause honnête, vous pouvez omettre l’exorde, ou si vous le jugez à propos, commencer par la narration, par la citation de la loi, ou par quelque raisonnement solide pour appuyer vos paroles ; ou, si vous voulez un préambule, employez les moyens de bienveillance pour achever de gagner votre auditoire. Dans une cause obscure, que l’exorde direct rende d’abord les esprits dociles et attentifs.

      XVI. Nous venons de montrer quel est le but de l’exorde ; enseignons maintenant les moyens d’en assurer le succès.

      L’orateur a quatre moyens de captiver la bienveillance : il parle de lui-même, de ses adversaires, de ses juges, enfin de la cause même. S’il parle de lui, il sera modeste en rappelant sa conduite et ses services ; il repoussera les accusations, les honteux soupçons répandus sur son compte ; il retracera les malheurs qu’il a éprouvés, ceux qui le menacent encore ; enfin, il aura recours aux prières les plus humbles et aux supplications les plus pressantes. Parle-t-il de ses adversaires, il répandra sur eux l’envie, la haine et le mépris. Pour les rendre odieux, il cite des preuves de leur turpitude, de leur orgueil, de leur cruauté, de leur méchanceté. Veut-il en faire un objet d’envie, qu’il mette au jour leurs violences, leur puissance, leur fortune, leurs alliances, leurs richesses : leur arrogance en abuse insolemment ; ils comptent bien plus sur tous ces moyens que sur la justice de leur cause. Rendez-les méprisables en dévoilant leur paresse, leur indolence, leur lâcheté, leurs frivoles occupations, leur molle et voluptueuse oisiveté. Pour tirer ses moyens de bienveillance de la personne des juges, l’orateur loue, sans montrer pourtant trop de complaisance, leur courage, leur sagesse, leur bonté ; il assure qu’ils répondront à la noble estime et à l’attente du public. Enfin, la cause elle-même devient une source de bienveillance, lorsqu’en montrant par ses éloges tout ce qu’elle a d’honorable et de juste, on fait ressortir par le contraste tout ce qui déshonore celle des adversaires.

      Voulez-vous rendre l’auditeur attentif, annoncez que vous allez traiter un sujet grand, neuf, incroyable, qui intéresse tous les citoyens, ou votre auditoire en particulier, ou quelques héros, ou les dieux immortels, ou la république tout entière. Promettez de développer bientôt votre cause, et d’abord faites connaître le point, ou, si par hasard il s’en trouve plusieurs, les points à juger. Soyez clair et concis dans l’exposé de la cause, c’est-à-dire, du point de discussion, et vous préparerez l’auditoire à vous entendre avec intérêt ; car je ne sépare point l’intérêt de l’attention, puisque le mieux disposé à vous entendre est celui qui promet le plus d’attention.

      XVII. Comment faut-il traiter l’exorde par insinuation ? voilà ce qui doit ensuite nous occuper. Il faut l’employer dans les causes extraordinaires, c’est-à-dire, comme nous l’avons établi plus haut, quand l’auditoire est indisposé contre nous. Cette prévention naît de trois motifs : ou la cause a quelque chose de honteux, ou l’auditoire paraît déjà convaincu par ceux qui ont parlé, ou nous prenons la parole lorsque son attention parait fatiguée ; circonstance qui parfois ne le dispose guère mieux que les deux autres pour l’orateur.

      Si la bassesse de la cause peut blesser l’auditoire, à la personne ou à la chose sur qui tombe le mépris, on peut substituer une personne ou une chose qui intéresse ; ou bien à la personne, substituez une chose, ou à la chose une personne, pour amener insensiblement l’auditeur de ce qui le blesse à ce qui lui plaît. Dissimulez d’abord l’intention de défendre ce qu’on vous reproche ; et quand l’auditoire sera calmé, commencez insensiblement votre justification ; dites que vous partagez l’indignation de vos adversaires contre l’action incriminée, et quand vous aurez adouci vos juges, montrez qu’aucun de ces reproches ne peut tomber sur vous. Protestez de vos égards pour vos accusateurs ; annoncez que vous ne voulez dire ni telle chose, ni telle autre ; enfin, sans blesser ouvertement des hommes environnés de la faveur publique, tâchez, par des attaques indirectes, de la leur enlever. Vous pouvez aussi rappeler un jugement rendu dans une affaire semblable, ou l’autorité de quelque précédent, et montrer que l’affaire était à peu près ou entièrement semblable à la vôtre, ou qu’elle était plus grave, ou qu’elle l’était moins.

      Le discours de votre adversaire a-t-il persuadé l’auditoire (ce qu’il est facile d’apercevoir quand on sait par quels moyens s’opère la conviction ), il faut promettre de détruire avant tout la preuve sur laquelle il a le plus insisté et qui a fait le plus d’impression sur l’auditoire. On pourra tirer encore son exorde des paroles mêmes de l’adversaire, surtout des dernières, ou paraître incertain sur ce qu’on doit répondre d’abord, ou embarrassé sur le choix des réfutations qui s’offrent de toutes parts. L’auditeur qui vous croyait vaincu et terrassé ne peut se persuader que tant de confiance n’ait aucun fondement, et s’accuse plutôt d’une folle crédulité.

      Si l’attention est fatiguée, on promettra d’abréger sa défense, de ne point imiter dans ses longs développements l’orateur qu’on vient d’entendre. Quand le sujet le permet, il n’est pas mal de commencer par quelque chose de neuf ou de singulier qui naisse de la circonstance, comme un cri, une exclamation ; ou même qui soit médité, comme un apologue, un conte, un sarcasme. Si la gravité du sujet vous ôte cette ressource, frappez d’abord les esprits de tristesse, d’étonnement ou de terreur. C’est un grand avantage ; car si la douceur ou l’amertume des mets flatte ou pique un palais engourdi par le dégoût et la satiété, la surprise ou la gaieté savent aussi réveiller l’attention déjà fatiguée.

      XVIII. Telles sont les règles particulières de l’exorde direct et de l’insinuation : celles qu’il me reste à tracer sont courtes et leur sont communes à tous deux. L’exorde se propose surtout de donner à l’auditoire une idée favorable de l’orateur : il sera donc plein de gravité, de noblesse, semé de sentences ; rien de brillant, rien de fleuri, rien d’affecté ; ce serait faire soupçonner qu’il y entre de l’art, de l’étude, du travail ; et c’est ôter au discours la persuasion, et à l’orateur toute confiance.

      Voici maintenant les défauts les plus communs de l’exorde : on doit les éviter avec soin. L’exorde est ou banal, ou commun, ou d’échange, ou trop long, ou étranger, ou d’emprunt, ou contraire aux préceptes. Il est banal, s’il s’applique indifféremment à plusieurs causes ; commun, quand il convient également aux deux parties ; d’échange, si l’adversaire, avec de légers changements, peut l’employer contre nous ; il est trop long, s’il renferme plus de mots ou de pensées qu’il n’est nécessaire ; étranger, s’il ne naît point de la cause même, et ne fait pas corps avec elle ; il est d’emprunt, quand il produit un effet différent de celui qu’exige le genre de la cause ; si, par exemple, il dispose seulement l’auditeur à écouter, quand il s’agit de se concilier sa bienveillance ; ou s’il est direct, quand l’insinuation est nécessaire. Enfin, il est opposé aux préceptes, s’il ne produit rien de ce qu’on attend de l’exorde, et s’il ne concilie ni l’attention, ni l’intérêt, ni la bienveillance de l’auditoire ; ou, ce qui est plus fâcheux encore, s’il l’indispose contre nous. Mais c’en est assez sur l’exorde.

      XIX. La Narration est l’exposé des faits tels qu’ils se sont passés, ou qu’ils ont pu se passer. Il y a trois sortes de narrations. La première renferme la cause même et le point de discussion. La seconde s’éloigne du sujet afin de l’agrandir, de l’orner, pour y ajouter mi moyen d’accusation, établir un rapprochement, sans toutefois s’écarter trop loin. La dernière, qui n’a point de rapport au barreau, est, pour apprendre à écrire ou à parler, un exercice aussi agréable qu’utile. Elle se partage en deux espèces, dont l’une regarde les choses et l’autre les personnes. Celle qui s’occupe des choses a trois parties, la fable, l’histoire, les hypothèses. On appelle fable, ce qui n’est vrai ni vraisemblable, comme :

      J’ai vu de grands serpents ailés attelés sous le joug.

      L’histoire est le récit de faits véritables, mais éloignés de notre siècle. Par exemple : Appius déclara la guerre à Carthage. L’hypothèse est une chose supposée, mais vraisemblable ; comme dans Térence :

      Aussitôt que mon fils fut sorti de l’enfance, mon cher Sosie.