Albert. Dumur Louis. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumur Louis
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066078744
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tout travaille, sans relâche, sans repos, pressé par une incompréhensible nécessité. On croirait que tout court après un futur qui ne devient jamais le présent, mécontent de l’heure actuelle, espérant mieux. Mais, tout meurt. Puisque tout meurt, à quoi sert de vivre? C’est se donner beaucoup de peine pour rien.»

      Le vieux curé se redressa sur son séant, désorienté, lâchant, dans sa stupéfaction, sa pipe d’écume qui tomba sur la pierre et se brisa.

      «Malheureux Albert!» murmura-t-il.

      L’enfant riait, inconscient de la grande portée de ses paroles, presque glorieux du scandale.

      «Alors?...» demanda le vieux curé avec l’air de chercher une conclusion.

      —«Alors, je trouve le monde inutile» dit Albert.

      Le vieux curé ébaucha un signe de croix, qui fut interrompu par une douleur.

       Table des matières

      POURTANT ALBERT PREND LE MONDE AU SÉRIEUX

      Quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, quoi qu’on suppose, de quoi qu’on se targue, l’instinct demeure, et, le plus fort, domine les théories, les contredit et les accule.

      Quoi qu’on fasse, rien ne l’efface: car il est greffé par d’innombrables cultures ancestrales, héréditaires et naturées. Quoi qu’on dise, on l’attise: car on reconnaît en des vocables sa vitalité, et le combattant, on l’excite. Quoi qu’on suppose, il dispose: car une hypothèse autre que lui le rend évident et détermine sa victoire. De quoi qu’on se targue, sa réalité nargue: car elle se fait sentir à chaque heure, à chaque minute, à chaque seconde, implacable comme une loi, comme un arrêt, comme une condamnation.

      Déjà, de petits orgueils taraient les franchises de ce rare cœur. Ce monde «inutile» lui paraissait l’être moins, venant à réfléchir qu’il s’y trouvait. Des ardeurs, point d’ailleurs extraordinaires, agissaient en lui et forçaient ses moelles au désir. Désir de quoi? désir vers où? Désir inachevé des luttes, désir vers l’espoir, désir en lequel s’amalgamaient les imaginations d’enfance, qui peignent chez les plus graves avec de rutilantes et infatuées couleurs, et les latentes élasticités de nerfs et de muscles qui croissent, se développent, cherchent l’espace et s’émancipent. Le soleil, quand il brillait, versait de chaudes pluies stimulantes. La victuaille quotidienne gonflait d’alimenteuse et substantielle sève les vaisseaux écarlates du sanguin réseau. Des joies s’épanchaient au contact de mille riens: images d’Epinal, chevaux de bois, contes bleus, pêche aux écrevisses. De très nettes rivalités entre camarades recélaient le presque voluptueux frisson du combat. De curieux mystères à éclaircir, des ignorances à sonder, devinées, mais imprégnées encore de doutes, des attentes, des explorations commandaient l’intérêt et palpitaient. Albert ne pouvait échapper à l’instinct de vivre.

      Pourquoi n’aurait-il pas vécu?

      Nullement plus mal que les autres, en somme! Une intelligence mieux que commune, d’indiscutables supériorités prenaient jour en lui; on le distinguait, on le citait. Fréquemment, il lui arrivait de recevoir des compliments, qui faisaient ampoule à son amour-propre et chatouillaient sa sensualité vaniteuse. Il n’était ni bossu, ni boiteux, ni manchot, ni faible, ni délicat, ni sujet aux rhumes ou aux rages de dents. De corps et d’esprit, c’était bien. En ce qui concerne la fortune, certes, son père ne possédait pas le Pactole: mais eu égard à tant de faméliques qui, formant de grosses masses au sein des nations barbares et civilisées, détiennent les bas-fonds des sociétés, Albert eût eu tort d’être plaint. A tout peser, sa portion était congrue; il pouvait se croire parmi les privilégiés.

      Il faut penser qu’un ressort étonnant joue au centre de tout biologique individu. Il faut calculer que bien des circonstances et de longs laps sont nécessaires pour parvenir à user, fausser, casser ce ressort. D’où, clairement, la conséquence appert que, malgré la raison, malgré le bon sens, Albert dut, téméraire, se décider à faire figure au monde et à s’enrégimenter dans la parade des fatuités.

      Aux après-midi sèches, il coiffait son chapeau marin (le bleu ruban portait en lettres dorées un nom dont il rêvait: «le Vainqueur») et, le nez aux brises, l’œil agile, rôdait. Les enseignes appendues attiraient ses réflexions: «charcuterie», «étude», «ferblantier». Dans la charcuterie, de grasses salaisons roses se dandinant découvraient un horizon de pensées. Le porc saigné pour fournir à la consommation devait avoir coûté quelque somme; or, cette somme était, sans doute, minime en comparaison de celle que retirait le charcutier de son débit. Justement, le charcutier, rose et gras comme sa marchandise, la large barbe blonde en éventail, les manches de chemise retroussées sur ses bras épilés, s’affairait à l’intérieur, découpant, tailladant, environné de pratiques. Il encaissait, il devenait riche. Empli de respect, l’enfant s’enthousiasmait pour le commerce, et, complaisamment, songeait à de gigantesques charcuteries. Devant l’étude, nouvelles méditations. Là trônait un avoué, un avoué corpulent, débordant, suintant, flanqué de trois clercs, au milieu d’un chaos de cartons, de dossiers et de parchemins. Toute la ville rampait à ses pieds; il était mêlé à tout, connaissait tout, dirigeait tout. Son énorme voix grasseyante passait à volonté aux inflexions câlines les plus mielleuses. Elle amadouait, alléchait, affriandait, amorçait, appâtait les moins dociles. Clients d’entrer, clients de sortir: des sieurs bombés, des favoris sentencieux, des moustaches cirées, des femmes. Un éblouissement frappait Albert; sans oublier le charcutier, l’étude s’imposait à son admiration. Plus loin, un tintamarre d’objets, des éclats, d’assourdissantes sonorités: l’industrie encombrante et tapageuse accaparant le trottoir. D’ouvrières suées s’essoraient en ferveurs de travail, mouvementées et rudes, farcies de violences brutales à la poursuite de l’existence. Les blouses braillaient l’apothéose du labeur. C’était donc bien important, le monde, que les foules y peinaient si passionnément! Contemplant leurs poils mouillés, leurs creuses rides, Albert béait. Et au continu roulement de ces activités, il convoitait, ému d’émulation, sa part dans le grabuge, se promettant même d’en emporter une des bonnes.

      A l’instar d’un simple qui en un parterre pour la prime fois s’installe et suit, fasciné, la comédie. Son obtuse cervelle qu’illusionne la scène, trébuche dans le leurre des fables représentées. Il les opine sérieuses: assiste horriblement aux conciliabules du traître avec sa lame, scandaleusement aux séductions du suborneur de la vierge, comminatoirement aux outrages de l’ennemi envers le drapeau de la patrie, dolemment aux plaintes susurrées par l’amoureux transi, jovialement aux cocasseries que prononce le mari déçu, narquoisement aux amphibologies de la marquise et approbativement aux tirades du personnage probe. Il interrompt. Il prend fait et cause pour l’un ou pour l’autre. Peu s’en faut qu’il n’escalade la rampe et ne donne tête baissée au fort de l’action. Il veut, lui aussi, revêtir un costume, mettre ses airs, s’empanacher et décocher aux oreilles une brasillante et tintinnabulante phrase.

       Table des matières

      JACINTHE

      Dans la mesquine ville de province où, lymphatiquement, s’en allaient les jours avec une morose indolence, sans être comptés, et tranquilles, tracassés seulement par des cogitations dont personne ne se doutait, habitait en même temps que lui, de quelques mois plus âgée, une pâlotte fillette qui était sa cousine et dont le nom de Jacinthe le berçait d’une harmonie de tendresse.

      Parfois, quelque soir bourgeois de dimanche, après vêpres,