Les Indes Noires. Jules Verne. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Jules Verne
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066078898
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d'Aberfoyle, continuaient à enrichir le comté, tandis que les gisements voisins, épuisés depuis tant d'années, ne comptaient plus un seul ouvrier !

      Le steam-boat, en quittant Alloa, s'enfonça dans les nombreux détours que fait le Forth sur un parcours de dix-neuf milles. Il circulait rapidement entre les grands arbres des deux rives. Un instant, dans une éclaircie, apparurent les ruines de l'abbaye de Cambuskenneth, qui date du XIIe siècle. Puis, ce furent le château de Stirling et le bourg royal de ce nom, où le Forth, traversé par deux ponts, n'est plus navigable aux navires de hautes mâtures.

      A peine le Prince de Galles avait-il accosté, que l'ingénieur sautait lestement sur le quai. Cinq minutes après, il arrivait à la gare de Stirling. Une heure plus tard, il descendait du train à Callander, gros village situé sur la rive gauche du Teith.

      Là, devant la gare, attendait un jeune homme, qui s'avança aussitôt vers l'ingénieur.

      C'était Harry, le fils de Simon Ford.

      [1] Principale et célèbre rue du vieil Édimbourg.

      III

      Le sous-sol du Royaume-Uni

      Il est convenable, pour l'intelligence de ce récit, de rappeler en quelques mots quelle est l'origine de la houille.

      Pendant les époques géologiques, lorsque le sphéroïde terrestre était encore en voie de formation, une épaisse atmosphère l'entourait, toute saturée de vapeurs d'eau et largement imprégnée d'acide carbonique. Peu à peu, ces vapeurs se condensèrent en pluies diluviennes, qui tombèrent comme si elles eussent été projetées du goulot de quelques millions de milliards de bouteilles d'eau de Seltz. C'était, en effet, un liquide chargé d'acide carbonique qui se déversait torrentiellement sur un sol pâteux, mal consolidé, sujet aux déformations brusques ou lentes, à la fois maintenu dans cet état semi-fluide autant par les feux du soleil que par les feux de la masse intérieure. C'est que la chaleur interne n'était pas encore emmagasinée au centre du globe. La croûte terrestre, peu épaisse et incomplètement durcie, la laissait s'épancher à travers ses pores. De là, une phénoménale végétation, — telle, sans doute, qu'elle se produit peut-être à la surface des planètes inférieures, Vénus ou Mercure, plus rapprochées que la terre de l'astre radieux.

      Le sol des continents, encore mal fixé, se couvrit donc de forêts immenses; l'acide carbonique, si propre au développement du règne végétal, abondait. Aussi les végétaux se développaient-ils sous la forme arborescente. Il n'y avait pas une seule plante herbacée. C'étaient partout d'énormes massifs d'arbres, sans fleurs, sans fruits, d'un aspect monotone, qui n'auraient pu suffire à la nourriture d'aucun être vivant. La terre n'était pas prête encore pour l'apparition du règne animal.

      Voici quelle était la composition de ces forêts antédiluviennes. La classe des cryptogames vasculaires y dominait. Les calamites, variétés de prêles arborescentes, les lépidodendrons, sortes de lycopodes géants, hauts de vingt-cinq ou trente mètres, larges d'un mètre à leur base, des astérophylles, des fougères, des sigillaires de proportions gigantesques, dont on a retrouvé des empreintes dans les mines de Saint-Étienne — toutes plantes grandioses alors, auxquelles on ne reconnaîtrait d'analogues que parmi les plus humbles spécimens de la terre habitable —, tels étaient, peu variés dans leur espèce, mais énormes dans leur développement, les végétaux qui composaient exclusivement les forêts de cette époque.

      Ces arbres noyaient alors leur pied dans une sorte d'immense lagune, rendue profondément humide par le mélange des eaux douces et des eaux marines. Ils s'assimilaient avidement le carbone qu'ils soutiraient peu à peu de l'atmosphère, encore impropre au fonctionnement de la vie, et on peut dire qu'ils étaient destinés à l'emmagasiner, sous forme de houille, dans les entrailles mêmes du globe.

      En effet, c'était l'époque des tremblements de terre, de ces secouements du sol, dus aux révolutions intérieures et au travail plutonique, qui modifiaient subitement les linéaments encore incertains de la surface terrestre. Ici, des intumescences qui devenaient montagnes; là, des gouffres que devaient emplir des océans ou des mers. Et alors, des forêts entières s'enfonçaient dans la croûte terrestre, à travers les couches mouvantes, jusqu'à ce qu'elles eussent trouvé un point d'appui, tel que le sol primitif des roches granitoïdes, ou que, par le tassement, elles formassent un tout résistant.

      En effet, l'édifice géologique se présente suivant cet ordre dans les entrailles du globe : le sol primitif, que surmonte le sol de remblai, composé des terrains primaires, puis les terrains secondaires dont les gisements houillers occupent l'étage inférieur, puis les terrains tertiaires, et au-dessus, le terrain des alluvions anciennes et modernes.

      A cette époque, les eaux, qu'aucun lit ne retenait encore et que la condensation engendrait sur tous les points du globe, se précipitaient en arrachant aux roches, à peine formées, de quoi composer les schistes, les grès, les calcaires. Elles arrivaient au dessus des forêts tourbeuses et déposaient les éléments de ces terrains qui allaient se superposer au terrain houiller. Avec le temps — des périodes qui se chiffrent par millions d'années —, ces terrains se durcirent, s'étagèrent et enfermèrent sous une épaisse carapace de poudingues, de schistes, de grès compacts ou friables, de gravier, de cailloux, toute la masse des forêts enlisées.

      Que se passa-t-il dans ce creuset gigantesque, où s'accumulait la matière végétale, enfoncée à des profondeurs variables ? Une véritable opération chimique, une sorte de distillation. Tout le carbone que contenaient ces végétaux s'agglomérait, et peu à peu la houille se formait sous la double influence d'une pression énorme et de la haute température que lui fournissaient les feux internes, si voisins d'elle à cette époque.

      Ainsi donc un règne se substituait à l'autre dans cette lente, mais irrésistible réaction. Le végétal se transformait en minéral. Toutes ces plantes, qui avaient vécu de la vie végétative sous l'active sève des premiers jours, se pétrifiaient. Quelques-unes des substances enfermées dans ce vaste herbier, incomplètement déformées, laissaient leur empreinte aux autres produits plus rapidement minéralisés, qui les pressaient comme eût fait une presse hydraulique d'une puissance incalculable. En même temps, des coquilles, des zoophytes tels qu'étoiles de mer, polypiers, spirifères, jusqu'à des poissons, jusqu'à des lézards, entraînés par les eaux, laissaient sur la houille, tendre encore, leur impression nette et comme « admirablement tirée [1*] ».

      La pression semble avoir joué un rôle considérable dans la formation des gisements carbonifères. En effet, c'est à son degré de puissance que sont dues les diverses sortes de houilles dont l'industrie fait usage. Ainsi, aux plus basses couches du terrain houiller apparaît l'anthracite, qui, presque entièrement dépourvue de matière volatile, contient la plus grande quantité de carbone. Aux plus hautes couches se montrent, au contraire, le lignite et le bois fossile, substances dans lesquelles la quantité de carbone est infiniment moindre. Entre ces deux couches, suivant le degré de pression qu'elles ont subie, se rencontrent les filons de graphites, les houilles grasses ou maigres. On peut même affirmer que c'est faute d'une pression suffisante que la couche des marais tourbeux n'a pas été complètement modifiée.

      Ainsi donc, l'origine des houillères, en quelque point du globe qu'on les ait découvertes, est celle-ci : engloutissement dans la croûte terrestre des grandes forêts de l'époque géologique, puis, minéralisation des végétaux obtenue avec le temps, sous l'influence de la pression et de la chaleur, et sous l'action de l'acide carbonique.

      Cependant, la nature, si prodigue d'ordinaire, n'a pas enfoui assez de forêts pour une consommation qui comprendrait quelques milliers d'années. La houille manquera un jour, — cela est certain. Un chômage forcé s'imposera donc aux machines du monde entier, si quelque nouveau combustible ne remplace pas le charbon. A une époque plus ou moins reculée, il n'y aura plus de gisements carbonifères, si ce n'est ceux qu'une éternelle couche de glace recouvre au Grœnland, aux environs de la mer de Baffin, et dont l'exploitation est à peu près impossible. C'est le sort inévitable. Les bassins houillers de l'Amérique, prodigieusement riches encore,