Cette troisième branche de la Géométrie, qui constitue aujourd'hui ce que nous appelons la Géométrie récente, est exempte de calculs algébriques, quoiqu'elle fasse un aussi heureux usage des relations numériques des figures que de leurs relations de situation; mais elle ne considère que des rapports de distance rectiligne, d'un certain genre, qui n'exigent ni les symboles, ni les opérations de l'Algèbre. Cette Géométrie est la continuation de l'Analyse géométrique des Anciens, sur laquelle elle offre d'immenses avantages par la généralité, l'uniformité et l'abstraction de ses méthodes.
La méthode par le calcul a le merveilleux privilège de négliger les propositions intermédiaires dont la méthode géométrique a toujours besoin, et qu'il faut créer quand la question est nouvelle. Mais cet avantage si beau et si précieux de l'Analyse a son côté faible, comme toutes les conceptions humaines: c'est que cette marche pénétrante et rapide n'éclaire pas toujours suffisamment l'esprit; elle laisse ignorer les vérités intermédiaires qui rattachent le point de départ à la vérité trouvée, et qui doivent former avec l'un et l'autre, un ensemble complet et une véritable théorie. Car, est-ce assez dans l'étude philosophique et approfondie d'une science, de savoir qu'une chose est vraie, si l'on ignore comment et pourquoi elle l'est, et quelle place elle occupe dans l'ordre des vérités auquel elle appartient?
Chasles.
Il est certain que l'analyse de situation est une chose qui manque à l'algèbre ordinaire: c'est ce défaut qui fait qu'un problème paraît souvent avoir plus de solutions qu'il n'en doit avoir dans les circonstances où on le considère. Il est vrai que cette abondance de l'algèbre, qui donne ce qu'on ne lui demande pas, est admirable à plusieurs égards; mais aussi elle fait souvent qu'un problème qui n'a réellement qu'une solution, en prenant son énoncé à la rigueur, se trouve renfermé dans une équation de plusieurs dimensions et, par là, ne peut en quelque manière être résolu. Il serait fort à souhaiter que l'on trouvât moyen de faire entrer la situation dans le calcul des problèmes.
d'Alembert.
La géométrie et l'algèbre ont entre elles des relations nécessaires sur lesquelles il importe d'être fixé.
Faut-il ériger en principe les vues de Pythagore sur les nombres, puis essayer d'y rattacher les vues géométriques?
Faut-il, au contraire, suivre la voie tracée par Descartes et déduire les éléments de l'algèbre des premières données de la géométrie pure?
De ces deux méthodes, la seconde semble être la plus rationnelle.
En effet, si peu qu'elle interroge l'expérience, la Géométrie n'en est pas moins une science d'observation. Elle considère les corps, leurs parois, leurs arêtes afin d'en abstraire les solides, les surfaces et les lignes; puis elle commence par étudier ces figures et finit par les mesurer pour en faciliter la comparaison. Descartes est donc autorisé par là même à fonder l'Algèbre sur la considération des droites et des opérations qu'elles comportent. Mais, ce qui fait surtout le mérite de sa méthode, c'est qu'elle se guide uniquement sur les allures de la grandeur continue pour en conclure toutes les propriétés du nombre et les lois qui le régissent; tandis qu'en suivant la loi contraire, on est bien vite réduit à ne raisonner que sur de purs symboles.
Mouchot.
LES NOMBRES, LES SYMBOLES
ET LES FONCTIONS
L'apparition d'un nombre suppose l'existence d'une grandeur mathématique soumise à une opération simple qu'on nomme sa mesure. S'il n'y avait pas de grandeurs mathématiques, il n'y aurait pas de nombres, tandis que les grandeurs mathématiques existent, même pour celui qui n'a pas l'idée de nombre. L'emploi des nombres tire principalement son utilité de ce que ceux-ci ne conservent pas la trace des grandeurs qui leur ont donné naissance; d'où il résulte que les combinaisons qu'on peut en faire, et les conséquences qu'on tire de leurs combinaisons, ont un certain degré de généralité, qui permet de les appliquer à toutes les espèces de grandeurs et que ne sauraient avoir les opérations effectuées directement sur les grandeurs mêmes.
J. F. Bonnel.
Aucun nombre entier élevé au carré ne donne 2, et l'on démontre qu'aucun nombre fractionnaire ne le donne non plus.
Nous résignerons-nous à conclure que 2 n'a pas de racine carrée?
Si nous nous bornons à dire que V2 est incommensurable, nous n'en donnerons pas une définition.
Dirons-nous que V2 est le nombre qui multiplié par lui-même produit 2? Ce serait faire un cercle vicieux, puisque pour comprendre la multiplication par V2, il faut avoir préalablement défini V2.
Nous définissons d'abord la racine carrée de 2 à un dixième près, le plus grand nombre de dixièmes dont le carré est contenu dans 2; nous définissons ensuite de même la racine carrée de 2 à un centième, à un millième près, etc.
La racine carrée de 2 est maintenant pour nous la limite de ses racines carrées à un dixième, à un centième près, etc.
Voici la définition rigoureuse: «La racine carrée d'un nombre est la limite des nombres dont les carrés ont pour limite le nombre proposé.»
On prouve, bien entendu, que la limite existe et qu'elle est unique.
Cournot a rapproché l'extension de l'idée de multiplication aux fractions et l'extension des règles de calcul aux nombres négatifs. Ces deux généralisations permettent de rendre les relations entre les grandeurs, indépendantes de l'unité et du zéro-origine choisis.
Les nombres incommensurables donnent déjà de la généralité à l'arithmétique. Le vrai passage à l'algèbre se fait lorsqu'apparaissent les nombres négatifs, permettant de généraliser davantage les règles et les formules. Viennent ensuite les imaginaires et les autres symboles qui étendent de plus en plus la généralisation.
Les signes + et - modifient la quantité devant laquelle ils sont placés, comme l'adjectif modifie le substantif.
Cauchy.
Il convient de considérer le signe-précédant un coefficient comme soudé au coefficient.
Le signe-s'explique en géométrie en rétrogradant et les solutions par-reculent là où les solutions par + avançaient.