Le catalogue officiel de la section allemande est lui-même, en quelque sorte, un manifeste impérial, une proclamation urbi et orbi, expliquant et commentant le grand Œuvre allemand, et cela avec une vigueur, une netteté et une précision singulièrement démonstratives et éloquentes.
En voici l’exorde:
«L’Empire d’Allemagne offre, au tournant du XIXe siècle, le spectacle d’un État bien ordonné qui se trouve dans une période d’heureux développement. Contrastant singulièrement avec le déclin du siècle précédent, qui fut témoin de l’écroulement des derniers jours d’un Empire, dix fois séculaire, l’année1900marque une étape importante sur la voie de la consolidation intérieure de l’État relevé, et fort dans son unité reconquise.»
A deux pas du tombeau de Napoléon Ier, et à quelques lieues du palais de Versailles, ces allusions historiques avaient une très nette intention et une formelle signification, que l’instinct de la courtoisie la plus élémentaire aurait fait écarter instantanément par tout autre hôte de la France, mais qui en prenaient l’allure d’une véritable injure à l’égard de la nation vaincue en1870, à laquelle avait été réservée la douleur de la restauration de l’Empire germanique dans la résidence même de Louis XIV. Cette allure était encore accentuée, en façon de défi, par la fin de l’avant-propos de ce catalogue:
«La prospérité économique et politique de l’Allemagne ne repose point sur un développement accidentel de forces capricieuses, mais bien sur un travail sérieux et réfléchi, s’étayant sur le système bien ordonné d’une instruction et d’une éducation richement ramifiées; loin de chercher le complément de son développement dans la seule jouissance de vulgaires biens matériels, la nation, d’un pas robuste et sain, suit la route qui conduit vers des conquêtes de la plus noble essence: l’intelligence de l’art, le goût artistique, la culture intellectuelle.»
C’était déjà, sur un théâtre mondial, l’affirmation solennelle de la supériorité de la «kultur» allemande, et de l’ambition de l’Allemagne de régénérer le monde en lui imposant ses idées et ses vertus, en même temps que les produits de ses industries multiples et diverses.
Viennent ensuite dans ce catalogue de nombreuses pages de statistiques et de renseignements, destinés à faire la preuve des progrès incessants, accomplis dans tous les domaines:
L’accroissement continu de la population de l’Empire, doublée depuis l’année1815, et augmentée, chaque année, d’un million depuis la Guerre de1870, malgré les immigrations transocéaniques, présentées non point comme un affaiblissement, mais bien, au contraire, comme un affermissement de la nation;
Le développement constant de l’industrie, témoigné par une augmentation de71% des classes industrielles et commerciales, dont la production générale, triplée de quantité et doublée de valeur en douze ans, dépasse le chiffre de10milliards de marks, et dont plus du tiers s’exporte à l’étranger;
Le chiffre prodigieux des capitaux allemands engagés dans le monde entier, dépassant14milliards de marks;
L’extension de l’instruction publique reçue par le5e de la population totale de l’Allemagne dans 59.300écoles populaires fréquentées par près de9millions d’enfants, dans1.400écoles secondaires réunissant360.000jeunes gens, 2.200écoles d’agriculture de divers degrés, 26écoles supérieures techniques et professionnelles comptant plus de 100.000élèves, et22universités dont la population scolaire dépasse32.000étudiants: le tout doté d’un budget d’un demi-milliard de marks. Et, dans ces chiffres divers ne sont pas comprises, ajoute-t-on soigneusement, «les innombrables institutions privées déversant à flots l’instruction et l’éducation aux artistes et aux ouvriers».
En ce qui concerne particulièrement les Industries d’art, le catalogue signalait, en des chapitres nombreux, leurs progrès immenses et leur évidente supériorité sur les industries des autres nations.
Par exemple, on y pouvait lire ceci:
«L’Impression allemande est arrivée à un tel degré de perfectionnement que ses produits supportent la concurrence de tous les autres pays du monde;
«L’Impression des illustrations est arrivée à une très grande perfection, surtout celle des journaux illustrés, qui est si parfaite qu’aucun autre pays ne l’atteint;
«La Lithographie et la Chromolithographie occupent un grand nombre d’ateliers, dont les excellents produits sont répandus dans tous les pays; quelques maisons mêmes ne travaillent que pour l’étranger, surtout pour l’Amérique et l’Angleterre;
«La Photomécanique (héliogravure, phototypie, autotypie, zincographie) s’est constamment développée depuis des années, de sorte qu’aujourd’hui ses produits comptent parmi les meilleurs sur le marché international;
«La Papeterie est la plus importante du monde entier; elle s’est rendue presque complètement indépendante de l’étranger en ce qui concerne la matière première et les machines dont elle se sert.»
Pour les industries de la Céramique, de la Verrerie, de l’Orfèvrerie et de la Bijouterie, le catalogue publiait avec fierté les chiffres de leurs ateliers et de leurs ouvriers:
288.072céramistes, répartis en12.567ateliers, dont la production annuelle atteint près de114millions de marks, le tiers exporté;
65.231verriers, fabriquant pour115millions de marchandises diverses, dont le cinquième est acheté par l’étranger;
40.836orfèvres et bijoutiers employés dans 6.859ateliers;
50.000ouvriers dans l’industrie des jouets, dont les deux tiers de la production dépassant50millions de marks sont exportés;
43.674personnes–dont31.561femmes–occupées à faire des dentelles et des broderies, qui pour le plus grand nombre sont vendues à l’étranger, qui paye annuellement de ce fait à l’Allemagne près de34millions de marks.
Les optimistes n’ont cessé de répéter, pendant et après l’Exposition universelle de1900, que la participation si brillante, et si habilement organisée, de l’Allemagne n’était qu’un simple bluff destiné à jeter de la poudre aux yeux de l’univers; et ils ajoutaient même que l’érection d’un pavillon impérial allemand aussi somptueux et aussi imposant avait été décidée simplement pour faire honneur à une Exposition que le Kaiser désirait inaugurer au côté du Président de la République française, pour témoigner de son ardente volonté de maintenir la paix de l’Europe.
Malheureusement, les statistiques officielles des années qui vont suivre l’Exposition démentent cet optimisme béat, et prouvent qu’il n’était rien moins que l’expression, naïve, de la sottise et de l’ignorance, sinon de la duplicité, de ceux qui faisaient le métier de le professer publiquement et de le propager.
IV
L’ÉLOQUENCE BRUTALE DES CHIFFRES
Les chiffres ont une éloquence brutale, mais sincère; il faut les consulter pour savoir exactement où l’on en est. Une étude comparative de nos exportations et de nos importations, pendant la période décennale qui a suivi l’Exposition universelle de1900, soit de1904à1913, fournira quelques indications précises, utiles à