Le Secret du chevalier de Médrane. Adolphe Granier de Cassagnac. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Adolphe Granier de Cassagnac
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066331849
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de lui qu’il s’en est bien trouvé; encore, pour lui, ne s’agissait-il que de correction dans le style; pour moi, c’est bien différent. J’ai tenté une esquisse de souffrance et de joie intimes, et une étude du cœur, à un point de vue qui m’est personnel. Je désire votre sentiment sur le tout.

      On peut être tenté de voir dans mon étude une autobiographie, et je ne veux pas être un sujet de railleries pour le Club, où l’on professe sur les engagements du cœur des théories fort différentes des miennes. J’accepte le reproche d’étrangeté pour les sentiments que j’exprime, parce qu’en effet ils ne sont pas communs; mais je voudrais avoir l’esprit en repos sur la langue et sur le style qui m’ont servi à les exprimer. Or, ce repos, c’est à vos bons conseils que je le demande.

      De Grandfay me quitta sur ces mots.

      C’était un esprit d’élite, réfléchi, original, orné. Je le croyais en état de réussir dans tout ce qu’il tenterait; et je me promettais un véritable régal de la lecture d’une étude sur le cœur, tracée par une telle main.

      Mérimée avait fait rire de l’amour; Balzac en avait fait rougir; tel que je connaissais de Grandfay, j’avais la confiance qu’il en pourrait faire pleurer.

      Il était quatre heures; je m’habillai avec le projet d’aller faire une courte visite à l’amirale du Guénic, une plus longue à la contessine; et s’il me restait du temps disponible, j’avais la pensée d’aller enfin éclaircir mes doutes sur l’identité du chevalier de Médrane.

      L’amirale, qui demeurait rue de la Ville-l’Evêque, en face de la modeste maison de M. Guizot, ne recevait pas. On me la dit même très-souffrante. La contessine Accaiolo occupait, assez près de là, rue de Duras, un petit hôtel égayé par un jardin.

      La contessine Laura Accaiolo avait cette beauté puissante et correcte dont la force race des Toscanes et des Romaines offre de si splendides modèles. Suivant l’usage de son pays, elle portait dans le monde le titre de contessina, ou de petite comtesse, ce qui voulait dire que la comtesse douairière, mère de son mari, vivait encore.

      Comme beaucoup d’Italiennes appartenant aux grandes familles, la contessine était lettrée, écrivait bien sa langue et faisait des vers italiens qui avaient de l’agrément. Les trois années qu’elle avait passées au Sacré-Cœur, à Paris, l’avaient mise en état de parler le français sans trop d’accent; mais elle n’était pas encore parvenue, à son grand regret, à l’écrire avec la correction, la tenue et la netteté qu’exige notre langue.

      Elle paraissait en proie à une sorte de fièvre du travail, et s’occupait avec ardeur d’une traduction de la Divine Comédie.

      C’est un fait curieux, quoique naturel, que les Italiens et les Espagnols apprennent assez vite et assez bien écrire en français. Fiorentino et Donoso Cortès en sont Il preuve. L’Allemand Henri Heine, un homme de tan d’esprit, ne put y parvenir, et il eut toujours besoir d’un traducteur pour les articles qu’il livra à nos revues Hamilton, l’auteur des Mémoires du chevalier de Gramont, est, à ma connaissance, le seul Anglais qui se soi bien rendu maître de notre langue, parce qu’il avait et le temps de l’apprendre aux cours de Versailles et de Saint-Germain, pendant l’exil des Stuarts.

      La contessine, qui avait passé son enfance à Florence et dans le val d’Arno, avait sur Fiorentino, qui venait de publier une traduction de Dante, mais qui était Napolitain, l’avantage d’être familière avec les anciens et divers patois de la Toscane, auxquels Dante a beaucoup emprunté.

      Sûre de son texte, elle n’avait besoin d’être guidée que pour en faire passer les beautés dans notre langue. et elle voulait bien me demander le concours que, deux années auparavant, j’avais donné à Fiorentino.

      Cette collaboration m’avait naturellement créé des rapports à demi familiers et charmants avec ma belle colière, expansive et démonstrative comme la plupart des Italiennes. J’espérais que ce caractère et ces relations m’ouvriraient peut-être un jour nouveau sur les parties encore obscures du roman qui me préoccupait, et dans lequel je la supposais intéressée.

      Lui ayant dit que je venais de déposer ma carte chez l’amirale, son amie, qu’on m’avait assuré être souffrante: –«C’est vrai, répondit-elle avec vivacité, et très-souffrante.»

      –Cette folle de Louise, continua-t-elle, n’a-t-elle pas eu la bonté de s’émouvoir jusqu’à la fièvre, de ce pari de l’autre soir? Que pouvaient lui faire, je vous le demande, des lettres venues de Pondichéry, eussent-elles été aussi remplies qu’elles étaient vides?

      Mais j’ai eu beau lui dire de réserver sa sympathie pour les douleurs réelles, que la vie ne nous ménage guère; elle a donné des pleurs à l’héroïne inconnue et persécutée, objet du pari de l’autre soir, comme elle en eût donné à une victime de théâtre. Je vais aller la voir, et tâcher de lui faire entendre raison.

      J’avais bien compris, dès les premiers mots de la contessine, que son amie lui avait laissé ignorer son engagement avec M. de Moraines; et je pâlis à l’idée de l’angoisse que la pauvre femme avait dû éprouver, durant la terrible épreuve du pari, supportée par elle avec tant de calme extérieur.

      En ce moment, la porte s’ouvrit; et Oliva, qui avait repris son service auprès de l’amirale, vint de sa part apporter de ses nouvelles. Un mieux soudain, dont le docteur faisait honneur à des globules d’éther, venait de se déclarer depuis une heure, et elle faisait prier la contessine de venir diner et passer la soirée avec elle.

      J’avais deviné, sans hésiter, le véritable remède qui avait guéri l’amirale;–c’était la sécurité.

      M’étant approché d’Oliva, pendant que la contessine passait, pour un instant, dans son cabinet, nous échangeàmes rapidement ces mots, à voix basse:

      –Lui a-t-on restitué ses cinq lettres?

      –Oui, monsieur; elle les a reçues par la poste, en paquet cacheté, sans savoir d’où elles lui viennent.

      –C’est égal, dit la contessine en rentrant, je vais la sermonner de la bonne manière. Si vous saviez, monsieur, la peur qu’elle m’a faite avec son évanouissement et sa fièvre, aussitôt après sa rentrée à l’hôtel du Guénic! Le pauvre amiral en perdait la tête, et je n’étais pas beaucoup plus rassurée que lui.

      Eh bien! c’est une raison de plus de réaliser un vieux projet et de nous en aller loin de Paris. Nous avons choisi le Roussillon, où, à l’aide de la température printanière de la côte, l’amiral va essayer l’influence de la brise de mer, et même tenter quelques bains à Canet ou à Port-Vendres.

      Nous avions, ajouta-t-elle, l’espoir d’y respirer en liberté, et absolument seules, l’air embaumé des Albères; mais ne voilà-t-il pas que nous sommes menacées d’une invasion de jeunes désœuvrés, qui veulent tàter de l’ennui de province, après avoir succombé sous l’ennui de Paris!

      Tenez, dit-elle, en me tendant le Figaro, voyez ce que raconte le journal de ce matin. Je le pris de sa main, et je lus ce qui suit:

      «On s’occupe déjà de villégiature, pour réparer l’effet désastreux des bals. Les provisions de beauté et de fraîcheur vont s’épuisant chaque semaine, et les maris sont déjà invités à préparer un budget, pour en opérer le renouvellement, en quelque pays que ce puisse être; mais la Suisse, Dieppe et Trouville auront cette année un rival redoutable: c’est le Roussillon.

      «Le succès extraordinaire et mérité obtenu, dans les soirées du faubourg Saint-Honoré et de la Chaussée-d’Antin, par une étrangère splendidement belle, lui a attiré tous les regards et tous les hommages. On s’est naturellement demandé en quel pays on avait d’aussi beaux yeux et un teint aussi pur, sans parler de la distinction; on a su que cette reine de la saison appartient à une ancienne famille catalane, et qu’elle habile, en Roussillon, quelque ancienne commanderie de Templiers, nommée