Le Diable amoureux. Jacques Cazotte. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Jacques Cazotte
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066084516
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de l'escalier, me livre aux soins d'un valet de chambre, et se retire, après m'avoir demandé à quelle heure j'ordonnais qu'on entrât chez moi. À l'heure ordinaire, répondis-je, sans savoir ce que je disais, sans penser que personne n'était au fait de ma manière de vivre.

      Je me réveillai tard le lendemain, et me levai promptement. Je jetai par hasard les yeux sur les lettres de ma mère, demeurées sur la table. Digne femme! m'écriai-je: que fais-je ici? Que ne vais-je me mettre à l'abri de vos sages conseils? J'irai, ah! j'irai, c'est le seul parti qui me reste.

      Comme je parlais haut, on s'aperçut que j'étais éveillé: on entra chez moi, et je revis l'écueil de ma raison. Il avait l'air désintéressé, modeste, soumis, et ne m'en parut que plus dangereux. Il m'annonçait un tailleur et des étoffes. Le marché fait, il disparut avec lui jusqu'à l'heure du repas.

      Je mangeai peu et courus me précipiter à travers le tourbillon des amusements de la ville. Je cherchai les masques; j'écoutai, je fis de froides plaisanteries et terminai la scène par l'Opéra, surtout le jeu, jusqu'alors ma passion favorite. Je gagnai beaucoup plus à cette seconde séance qu'à la première.

      Dix jours se passèrent dans la même situation de cœur et d'esprit, et à peu près dans des dissipations semblables. Je trouvai d'anciennes connaissances, j'en fis de nouvelles. On me présenta aux assemblées les plus distinguées; je fus admis aux parties des nobles dans leurs casins.

      Tout allait bien, si ma fortune au jeu ne s'était pas démentie; mais je perdis au Ridotto, en une soirée, treize cents sequins que j'avais ramassés. On n'a jamais joué d'un plus grand malheur. À trois heures du matin, je me retirai, mis à sec, devant cent sequins à mes connaissances. Mon chagrin était écrit dans mes regards et sur tout mon extérieur, Biondetta me parut affectée; mais elle n'ouvrit pas la bouche.

      Le lendemain, je me levai tard. Je me promenais à grands pas dans ma chambre en frappant des pieds. On me sert, je ne mange point. Le service enlevé, Biondetta reste, contre son ordinaire. Elle me fixe un instant, laisse échapper quelques larmes: «Vous avez perdu de l'argent, don Alvare, peut-être plus que vous ne pouvez payer....—Et quand cela serait, ou trouverai-je le remède?....—Vous m'offensez; mes services sont toujours à vous au même prix; mais ils ne s'étendraient pas loin s'ils n'allaient qu'à vous faire contracter avec moi de ces obligations que vous vous croiriez dans la nécessité de remplir sur-le-champ. Trouvez bon que je prenne un siège; je sens une émotion qui ne me permettrait pas de me tenir debout. J'ai d'ailleurs des choses importantes à vous dire. Voulez-vous vous ruiner?... Pourquoi jouez-vous avec cette fureur, puisque vous ne savez pas jouer?...

      —Tout le monde ne sait-il pas les jeux de hasard? Quelqu'un pourrait-il me les apprendre?

      —Oui, prudence à part, on apprend les jeux de chance, que vous appelez mal à propos jeux de hasard. Il n'y a point de hasard dans le monde: tout y a été et sera toujours une suite de combinaisons nécessaires, que l'on ne peut entendre que par la science des nombres dont les principes sont, en même temps, et si abstraits et si profonds, qu'on ne peut les saisir si l'on n'est conduit par un maître; mais il faut avoir su se le donner et se l'attacher; je ne puis vous peindre cette connaissance que par une image. L'enchaînement des nombres fait la cadence de l'univers, règle ce qu'on appelle les événements fortuits et prétendus déterminés, les forçant, par des balanciers invisibles, à tomber chacun à leur tour, depuis ce qui se passe d'important dans les sphères éloignées jusqu'aux misérables petites chances qui vous ont aujourd'hui dépouillé de votre argent.»

      Cette tirade scientifique, dans une bouche enfantine, cette proposition un peu brusque de me donner un maître, m'occasionnèrent un léger frisson, un peu de cette sueur froide qui m'avait saisi sous la voûte de Portici. Je fixe Biondetta qui baissait la vue. «Je ne veux pas de maître, lui dis-je, je craindrais d'en trop apprendre, mais essayez de me prouver qu'un gentilhomme peut savoir un peu plus que le jeu, et s'en servir sans compromettre son caractère.» Elle prit la thèse: et voici, en substance, l'abrégé de sa démonstration:

      «La banque est combinée sur le pied d'un profit exorbitant, qui se renouvelle à chaque taille; si elle ne courait pas de risque, la république ferait un vol manifeste aux particuliers; mais les calculs que nous pouvons faire sont supposés, et la banque a toujours beau jeu, en tenant une personne instruite sur dix mille dupes.»

      La conviction fut poussée plus loin. On m'enseigna une seule combinaison, très simple en apparence; je n'en devinai pas les principes, mais, dès le soir même, j'en connus l'infaillibilité par le succès.

      En un mot, je regagnai, en la suivant, tout ce que j'avais perdu, payai mes dettes de jeu, et rendis, en rentrant, à Biondetta, l'argent qu'elle m'avait prêté pour tenter l'aventure.

      J'étais en fonds, mais plus embarrassé que jamais. Mes défiances s'étaient renouvelées sur les desseins de l'être dangereux dont j'avais agréé les services. Je ne savais pas décidément si je pourrais l'éloigner de moi: en tout cas, je n'avais pas la force de le vouloir. Je détournais les yeux pour ne pas le voir où il était, et le voyais partout où il n'était pas.

      Le jeu cessait de m'offrir une dissipation attachante. Le pharaon, que j'aimais passionnément, n'étant plus assaisonné par les risques, avait perdu tout ce qu'il avait de piquant pour moi. Les singeries du carnaval m'ennuyaient; les spectacles m'étaient insipides. Quand j'aurais eu le cœur assez libre pour désirer de former une liaison parmi les femmes du haut parage, j'étais rebuté d'avance par la langueur, le cérémonial et la contrainte de la sigisbéature. Il me restait la ressource des casins des nobles, où je ne voulais plus jouer et la société des courtisanes.

      Parmi les femmes de cette dernière espèce, il y en avait quelques-unes plus distinguées par l'élégance de leur faste et l'enjouement de leur société, que par leurs agréments personnels. Je trouvais dans leur maison une liberté réelle dont j'aimais à jouir, une gaieté bruyante qui pouvait m'étourdir, si elle ne pouvait me plaire; enfin un abus continuel de la raison, qui me tirait pour quelques moments des entraves de la mienne. Je faisais des galanteries à toutes les femmes de cette espèce chez lesquelles j'étais admis, sans avoir de projets sur aucune; mais la plus célèbre d'entre elles avait des desseins sur moi, qu'elle fit bientôt éclater.

      On la nommait Olympia. Elle avait vingt-six ans, beaucoup de beauté, de talents et d'esprit. Elle me laissa bientôt apercevoir du goût qu'elle avait pour moi; et, sans en avoir pour elle, je me jetai à sa tête pour me débarrasser en quelque sorte de moi-même.

      Notre liaison commença brusquement; et, comme j'y trouvais peu de charmes, je jugeai qu'elle finirait de même, et qu'Olympia, ennuyée de mes distractions auprès d'elle, chercherait bientôt un amant qui lui rendît plus de justice, d'autant plus que nous nous étions pris sur le pied de la passion la plus désintéressée; mais notre planète en décidait autrement. Il fallait sans doute, pour le châtiment de cette femme superbe et emportée, et pour me jeter dans des embarras d'une autre espèce, qu'elle conçût un amour effréné pour moi.

      Déjà je n'étais plus le maître de revenir le soir à mon auberge, et j'étais accablé, pendant la journée, de billets, de messages et de surveillants.

      On se plaignait de mes froideurs. Une jalousie qui n'avait pas encore trouvé d'objet s'en prenait à toutes les femmes qui pouvaient attirer mes regards, et aurait exigé de moi jusqu'à des incivilités pour elles, si l'on eût pu entamer mon caractère. Je me déplaisais dans ce tourment presque perpétuel; mais il fallait bien y vivre. Je cherchais de bonne foi à aimer Olympia, pour aimer quelque chose, et me distraire du goût dangereux que je me connaissais; cependant une scène plus vive se préparait.

      J'étais sourdement observé dans mon auberge, par les ordres de la courtisane. «Depuis quand, me dit-elle un jour, avez-vous ce beau page qui vous intéresse tant, à qui vous témoignez tant d'égards, et que vous ne cessez de suivre des yeux quand son service l'appelle dans votre appartement? Pourquoi lui faites-vous observer cette retraite austère? car on ne le voit jamais dans Venise.

      —Mon page, répondis-je, est un jeune homme bien né, de l'éducation duquel je suis chargé par