Le Cabinet des Fées. Anonyme. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Anonyme
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066075071
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mortifia beaucoup la reine: mais elle eut, quelques moments après, un bien plus grand chagrin; car sa seconde fille se trouva extrêmement laide.

      --Ne vous affligez pas tant, madame, lui dit la fée: votre fille sera récompensée d'ailleurs, et elle aura tant d'esprit, qu'on ne s'apercevra presque pas qu'il lui manque de la beauté.

      --Dieu le veuille, répondit la reine; mais n'y aurait-il point un moyen de faire avoir un peu d'esprit à l'aînée qui est si belle?

      A mesure que ces deux princesses devinrent grandes, leurs perfections crûrent aussi avec elles; et on ne parlait partout que de la beauté de l'aînée et de l'esprit de la cadette.

      Il est vrai que leurs défauts augmentèrent beaucoup avec l'âge. La cadette enlaidissait à vue d'oeil, et l'aînée devenait plus stupide de jour en jour: ou elle ne répondait rien à ce qu'on lui demandait, ou elle disait une sottise. Elle était avec cela si maladroite, qu'elle n'eût pu ranger quatre porcelaines sur le bord de la cheminée sans en casser une, ni boire un verre d'eau sans en répandre la moitié sur ses habits.

      Quoique la beauté soit un grand avantage dans une jeune personne, cependant la cadette l'emportait presque toujours sur son aînée dans toutes les compagnies.

      D'abord on allait du côté de la plus belle, pour la voir et pour l'admirer; mais bientôt après on allait à celle qui avait le plus d'esprit, pour lui entendre dire mille choses agréables; et on était étonné qu'en moins d'un quart d'heure l'aînée n'avait plus personne auprès d'elle et que tout le monde s'était rangé autour de la cadette.

      L'aînée, quoique fort stupide, le remarqua bien; et elle eût donné sans regret toute sa beauté pour avoir la moitié de l'esprit de sa soeur.

      Un jour qu'elle s'était retirée dans un bois pour y plaindre son malheur, elle vit venir à elle un petit homme fort laid et fort désagréable, mais vêtu très-magnifiquement.

      C'était le jeune prince Riquet à la Houppe, qui, étant devenu amoureux d'elle, sur ses portraits qui couraient par tout le monde, avait quitté le royaume de son père pour avoir le plaisir de la voir et de lui parler.

      Ravi de la rencontrer ainsi toute seule, il l'aborde avec tout le respect et toute la politesse imaginables.

      Ayant remarqué, après lui avoir fait les compliments ordinaires, qu'elle était fort mélancolique, il lui dit:

      --Je ne comprends point, madame, comment une personne aussi belle que vous l'êtes peut être aussi triste que vous le paraissez; car, quoique je puisse me vanter d'avoir vu une infinité de belles personnes, je puis dire que je n'en ai jamais vu dont la beauté approche de la vôtre.

      --Cela vous plaît à dire, monsieur, lui répondit la princesse, et elle en demeura là.

      --La beauté, reprit Riquet à la Houppe, est un si grand avantage, qu'il doit tenir lieu de tout le reste; et quand on le possède, je ne vois pas qu'il y ait rien qui puisse vous affliger beaucoup.

      --J'aimerais mieux, dit la princesse, être aussi laide que vous, et avoir de l'esprit, que d'avoir de la beauté comme j'en ai, et être bête autant que je le suis.

      --Il n'y a rien, madame, qui marque davantage qu'on a de l'esprit, que de croire n'en pas avoir; et il est de la nature de ce bien-là, que plus on en a, plus on croit en manquer.

      --Je ne sais pas cela, dit la princesse; mais je sais bien que je suis fort bête, et c'est de là que vient le chagrin qui me tue.

      --Si ce n'est que cela, madame, qui vous afflige, je puis aisément mettre fin à votre douleur.

      --Et comment ferez-vous? dit la princesse.

      --J'ai le pouvoir, madame, dit Riquet à la Houppe, de donner de l'esprit autant qu'on en saurait avoir à la personne que je dois aimer le plus; et comme vous êtes, madame, cette personne, il ne tiendra qu'à vous que vous n'ayez autant d'esprit qu'on en peut avoir, pourvu que vous vouliez bien m'épouser.

      La princesse demeura tout interdite, et ne répondit rien. --Je vois, reprit Riquet à la Houppe, que cette proposition vous a fait de la peine, et je ne m'en étonne pas; mais je vous donne un an tout entier pour vous y résoudre.

      La princesse avait si peu d'esprit, et en même temps une si grande envie d'en avoir, qu'elle s'imagina que la fin de cette année ne viendrait jamais; de sorte qu'elle accepta la proposition qui lui était faite. Elle n'eut pas plus tôt promis à Riquet à la Houppe qu'elle l'épouserait dans un an à pareil jour, qu'elle se sentit tout autre qu'elle n'était auparavant: elle se trouva une facilité incroyable à dire tout ce qui lui plaisait, et à le dire d'une manière fine, aisée et naturelle. Elle commença dès ce moment une conversation galante et soutenue avec Riquet à la Houppe, où elle brilla d'une telle force, que Riquet à la Houppe crut lui avoir donné plus d'esprit qu'il ne s'en était réservé pour lui-même.

      Quand elle fut retournée au palais, toute la cour ne savait que penser d'un changement si subit et si extraordinaire; car autant on lui avait ouï dire d'impertinences auparavant, autant lui entendait-on dire de choses bien sensées et infiniment spirituelles.

      Le roi se conduisait par ses avis, et allait même quelquefois tenir le conseil dans son appartement.

      Cependant il en vint un si puissant, si riche, si spirituel et si bien fait, qu'elle ne put s'empêcher d'avoir de la bonne volonté pour lui.

      Comme plus on a d'esprit, et plus on a de peine à prendre une ferme résolution sur cette affaire, elle demanda, après avoir remercié son père, qu'il lui donnât du temps pour y penser.

      Elle alla par hasard se promener dans le bois où elle avait trouvé Riquet à la Houppe, pour rêver plus commodément à ce qu'elle avait à faire.

      Dans le temps qu'elle se promenait, rêvant profondément, elle entendit un bruit sourd sous ses pieds, comme de plusieurs personnes qui vont et viennent, et qui agissent.

      Ayant prêté l'oreille plus attentivement, elle ouït que l'un disait:--Apporte-moi cette chaudière; l'autre:--Mets du bois dans ce feu.