Contes de bord. Edouard Corbiere. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Edouard Corbiere
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066087784
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que le navire périra par son gréement.

      —Qu'est-ce que cela signifie? lui demanda l'empereur.

      —Tu l'apprendras en temps et lieu.

      —Et moi, qu'est-ce que je deviendrai?

      —Tu veux le savoir, grand empereur?

      —Tiens, puisque je te le demande, est-ce pour ne le savoir pas!

      —Le navire périra par son gréement.

      —Ah ça, tu n'as donc que la même chose à me dire? Attends un peu; puisque tu devines tout ce qui doit arriver au tiers comme au quart, je vais bien voir si tu as l'esprit de Nostradamus dans le ventre. Sais-tu, par exemple, ce que tu vas devenir toi-même dans dix minutes d'horloge?

      —Je deviendrai ce qu'il plaira à Votre Majesté, grand empereur.

      —Mais qu'est-ce qui me plaira dans dix minutes d'ici?

      —Il vous plaira ce que vous voudrez.

      —Puisque c'est comme ça, il me plaît de te faire pendre.

      —Je l'avais deviné, reprend la vieille sorcière, pour ne pas perdre sa réputation de devinage.

      —En ce cas, pour qu'il ne soit pas dit que tu n'as pas dit la vérité, j'ordonne et je commande que tu sois accrochée à une potence pour y voir de plus haut.»

      L'empereur fut obéi, comme on le pense bien. La flotte, après ce beau coup de manoeuvre, partit pour l'île inconnue; la v'là en mer.

      Nasica Ier, qui n'était pas une bête, comme il y a certains rois, à ce que je me suis laissé dire, avait remarqué que la pleine lune se levait toujours sur l'île ancienne. Il partit donc au lever du soleil le jour de pleine lune, parce qu'il se dit à lui-même: «Je n'ai pas de boussole pour pouvoir gouverner au compas; mais en ayant soin de gouverner à avoir le soleil levant sur l'arrière de ma pirogue, j'arriverai dans quelques heures à vue de l'île, et ensuite j'attendrai la nuit pour l'accoster, en gouvernant sur la pleine lune qui se lèvera du bord de cette terre que je veux voir pour m'amuser, par manière d'acquit.»

      Un autre prince qui aurait mal pointé sa carte, se serait mis dedans, royalement, comme on dit; mais le Roi-Matelot ne se blousa pas, je vous en fiche ma parole. Le particulier vit la terre le premier à l'heure dite, et vers les six ou sept heures du soir, quand la lune se leva large comme un pain de munition et rouge comme la figure d'un capitaine hollandais, il fit signal, avec un fanal de poupe, à toutes les pirogues de nager droit sur la lune levante. Le coup ne manqua pas, et la flotte mal montée de sauvages accosta l'île inconnue, en donnant un bon coup d'aviron. Les habitans de ces parages, qui étaient à danser dans le moment de la descente, commencèrent tous par jouer des jambes d'abord. Mais l'empereur Nasica, qui le premier avait sauté à terre, se mit à dire aux mal-blanchis qui battaient en retraite: «Il n'y a pas d'affront, vous autres; je ne veux pas vous faire du mal. C'est une visite de ma part tout bonnement. Avez-vous un roi?

      —Oui, répondirent les habitans. Car il est bon de vous apprendre que, par le plus grand des hasards, dans les deux îles on parlait le même langage, ou pour mieux dire le même baragouin.

      «A la bonne heure, reprit Nasica; car si vous n'aviez pas eu de roi, j'aurais fait votre affaire. Allez me chercher cet individu.»

      On alla en rognonnant chercher le roi de l'île inconnue.

      Le monarque arriva tout essouflé, car il était gros et il avait joliment peur.

      «Qu'y a-t-il pour votre service? demanda-t-il à l'empereur.

      —Mais rien, mon ami; je suis venu, en qualité de voisin et de confrère, saluer Ta Majesté.

      —Oserai-je demander à la vôtre d'où elle vient?

      —Ose, oui, ose, mon camarade; je ne vois pas pourquoi tu n'oserais pas. Je viens de mon île, qui est à peu près à quinze lieues de la tienne. Comment se porte Ta Majesté?

      —Bien, et vous? je vois avec plaisir que vous paraissez jouir d'une bonne santé.

      —Ça ne va pas trop mal comme ça. Mais voilà assez de cérémonies. J'invite Ta Majesté à conduire la mienne dans ta maison, pour nous rafraîchir, car j'ai soif.»

      Les deux monarques allèrent amicalement se rafraîchir dans la case royale:

      Or, il est temps de vous dire que le roi de l'île inconnue avait la plus belle femme de tous ses états. C'était un vrai colosse: cinq pieds huit à neuf pouces; une peau comme une peau d'orange, mais douce comme un gant, et des appas relevés en bosses d'or, et à coups de palan, jusqu'au menton. Aussitôt que Nasica Ier eut vu la reine, il dit au mari de cette aimable princesse: «Voilà qui n'est pas mal, et je ferais bien mon affaire de votre femme.

      —Vous êtes trop bon, lui répondit le roi; mais j'en fais moi-même mon affaire aussi, et tout seul.

      —C'est dommage. Je voudrais dire un mot en particulier à la reine sur la politique des deux états.

      —Mon épouse, répondit le roi, n'entend pas la politique, et je l'entends bien mieux qu'elle.

      —C'est égal, je la lui apprendrai. Sors pour un instant, mon ami, tu me feras plaisir.»

      Le roi, qui ne voulait pas trop se fâcher avec l'empereur, sortit pour un instant, en faisant une mine à faire trembler tout son royaume.

      Une fois que l'empereur fut seul avec la princesse, il voulut prendre des libertés, à la bonne matelotte. Mais la princesse, qui était bien élevée, lui dit avec modestie, et en lui donnant une tape à poing fermé: «Est-ce que tu voudrais nous embêter, beau prince?»

      Le prince rengaîna pour l'instant son compliment d'ouverture et ses libertés.

      Après avoir donc été repoussé avec perte, l'empereur changea la conversation. La princesse fit tomber l'entretien sur les nez.

      «Beau prince, dit-elle, voilà le premier nez de cette façon que je vois dans ma vie. Voulez-vous me permettre de le toucher?

      —Avec plaisir, princesse. Il est de taille; mais, comme on dit, jamais grand nez n'a défiguré un beau visage.

      —Ce que vous me dites là, bel empereur, est méchant, et c'est peut-être parce que je n'ai pas de nez moi-même, que vous me récitez ce compliment. Mais il m'est avis que vous avez la peau blanche.

      —Oui, c'est un agrément que je me suis donné en naissant.

      —Cela vous plaît sans doute à dire, car on n'est pas maître de se faire la peau soi-même.

      —Pardonnez-moi, et si vous le désiriez, je vous blanchirais la vôtre.

      —C'est une plaisanterie, sans doute; mais pour la farce, je serais bien aise d'en essayer.»

      Voilà-t-il pas, mes amis, que cette princesse, qui avait commencé par bégueularder, par donner une taloche à Nasica, se mit, pour avoir la peau blanche, à se laisser aller avec le courant.

      Dans cette entrefaite arrive le roi son époux, qui s'ennuyait de tenir la chandelle à la porte de sa maison.

      «Je voudrais bien savoir ce que vous faites là avec mon épouse? demanda-t-il à l'empereur.

      —Mais j'étais occupé à faire quelque chose à la princesse.

      —C'est bon, répond le roi; mais, selon les lois du pays, il faut que je rende la pareille à Votre Majesté. Avez-vous une femme dans votre île?

      —J'en ai cinquante, mon camarade, et tout ce demi-cent de femelles est à ta disposition.

      —En ce cas-là, partons pour votre empire, car mon honneur ne sera vengé que lorsque j'aurai fait aux femmes de Votre Majesté ce qu'elle vient de faire à la mienne.

      —Partons, dit l'empereur, je ne demande