Les vivants et les morts. Anna de Noailles. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Anna de Noailles
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066084769
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vu sous le soleil d'un antique rivage

       Qui subit la chaleur comme un céleste affront,

       Des squelettes légers au fond des sarcophages,

       Et j'ai touché leurs faibles fronts.

      Et je savais que moi, qui contemplais ces restes,

       J'étais déjà ce mort, mais encor palpitant,

       Car de ces ossements à mon corps tendre et preste

       Il faut le cours d'un peu de temps…

      Je l'accepte pour moi ce sort si noir, si rude,

       Je veux être ces yeux que l'infini creusait;

       Mais, palmier de ma joie et de ma solitude,

       Vous avec qui je me taisais,

      Vous à qui j'ai donné, sans même vous le dire,

       Comme un prince remet son épée au vainqueur,

       La grâce de régner sur le mystique empire

       Où, comme un Nil, s'épand mon coeur,

      Vous en qui, flot mouvant, j'ai brisé tout ensemble,

       Mes rêves, mes défauts, ma peine et ma gaîté,

       Comme un palais debout qui se défait et tremble

       Au miroir d'un lac agité,

      Faut-il que vous aussi, le Destin vous enrôle

       Dans cette armée en proie aux livides torpeurs,

       Et que, réduit, le cou rentré dans les épaules,

       Vous ayez l'aspect de la peur?

      Que plus froid que le froid, sans regard, sans oreille,

       Germe qui se rendort dans l'oeuf universel,

       Vous soyez cette cire âcre, dont les abeilles

       Ecartent leur vol fraternel!

      N'est-il pas suffisant que déjà moi je parte,

       Que j'aille me mêler aux fantômes hagards,

       Moi qui, plus qu'Andromaque et qu'Hélène de Sparte,

       Ai vu guerroyer des regards?

      Mon enfant, je me hais, je méprise mon âme,

       Ce détestable orgueil qu'ont les filles des rois,

       Puisque je ne peux pas être un rempart de flamme

       Entre la triste mort et toi!

      Mais puisque tout survit, que rien de nous ne passe,

       Je songe, sous les cieux où la nuit va venir,

       A cette éternité du temps et de l'espace

       Dont tu ne pourras pas sortir.

      —O beauté des printemps, alacrité des neiges,

       Rassurantes parois du vase immense et clos

       Où, comme de joyeux et fidèles arpèges,

       Tout monte et chante sans repos!…

      J'AI TANT RÊVE PAR VOUS…

      J'ai tant rêvé par vous, et d'un coeur si prodigue,

       Qu'il m'a fallu vous vaincre ainsi qu'en un combat;

       J'ai construit ma raison comme on fait une digue,

       Pour que l'eau de la mer ne m'envahisse pas.

      J'avais tant confondu votre aspect et le monde,

       Les senteurs que l'espace échangeait avec vous,

       Que, dans ma solitude éparse et vagabonde,

       J'ai partout retrouvé vos mains et vos genoux.

      Je vous voyais pareil à la neuve campagne,

       Réticente et gonflée au mois de mars; pareil

       Au lis, dans le sermon divin sur la montagne;

       Pareil à ces soirs clairs qui tombent du soleil;

      Pareil au groupe étroit de l'agneau et du pâtre,

       Et vos yeux, où le temps flâne et semble en retard,

       M'enveloppaient ainsi que ces vapeurs bleuâtres

       Qui s'échappent des bois comme un plus long regard.

      Si j'avais, chaque fois que la douleur s'exhale,

       Ajouté quelque pierre à quelque monument,

       Mon amour monterait comme une cathédrale

       Compacte, transparente, où Dieu luit par moment.

      Aussi, quand vous viendrez, je serai triste et sage,

       Je me tairai, je veux, les yeux larges ouverts,

       Regarder quel éclat a votre vrai visage,

       Et si vous ressemblez à ce que j'ai souffert…

      L'AMITIE

      «Je t'apporte le prix de ton bienfait…»

      Mon ami, vous mourrez, votre pensive tête

       Dispersera son feu,

       Mais vous serez encor vivant comme vous êtes

       Si je survis un peu.

      Un autre coeur au vôtre a pris tant de lumière

       Et de si beaux contours,

       Que si ce n'est pas moi qui m'en vais la première,

       Je prolonge vos jours.

      Le souffle de la vie entre deux coeurs peut être

       Si dûment mélangé,

       Que l'un peut demeurer et l'autre disparaître

       Sans que rien soit changé;

      Le jour où l'un se lève et devant l'autre passe

       Dans le noir paradis,

       Vous ne serez plus jeune, et moi je serai lasse

       D'avoir beaucoup senti;

      Je ne chercherai pas à retarder encore

       L'instant de n'être plus;

       Ayant tout honoré, les couchants et l'aurore,

       La mort aussi m'a plu.

      Bien des fronts sont glacés qui doivent nous attendre,

       Nous serons bien reçus,

       La terre sera moins pesante à mon corps tendre

       Que quand j'étais dessus.

      Sans remuer la lèvre et sans troubler personne,

       L'on poursuit ses débats;

       Il règne un calme immense où le rêve résonne,

       Au royaume d'en-bas.

      Le temps n'existe point, il n'est plus de distance

       Sous le sol noir et brun;

       Un long couloir, uni, parcourt toute la France,

       Le monde ne fait qu'un;

      C'est là, dans cette paix immuable et divine

       Où tout est éternel,

       Que nous partagerons, âmes toujours voisines,

       Le froment et le sel.

      Vous me direz: «Voyez, le printemps clair, immense,

       C'est ici qu'il naissait;

       La vie est dans la mort, tout est, rien ne commence.»

       Je répondrai: «Je sais.»

      Et puis, nous nous tairons; par habitude ancienne

       Vous direz: «A demain.»

       Vous me tendrez votre