Voyages en France pendant les années 1787, 1788, 1789. Arthur Young. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Arthur Young
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 4064066087883
Скачать книгу
se couronnent avant d'atteindre une taille convenable. Ici finit la Sologne pauvre. Le premier aspect de Verson (Vierzon) et de ses alentours est très beau: une vallée majestueuse s'ouvre à vos pieds; le Cheere (Cher) la suit, et l'oeil le retrouve plusieurs fois pendant quelques lieues; un soleil brillant faisait resplendir ses eaux comme une chaîne de lacs sous les ombrages d'une vaste forêt. On aperçoit Bourges sur la gauche. — 18 milles.

      Le 2. — Passé le Cher et la Lave. Ponts bien construits; belles rivières formant, avec les bois, les maisons, les bateaux, les collines adjacentes, une scène animée.

      Vierzon. — Plusieurs maisons neuves, édifices en belle pierre; la ville semble florissante et doit sans doute beaucoup à la navigation. Nous sommes actuellement en Berry, pays gouverné par une assemblée provinciale; par conséquent, les routes sont bonnes et faites sans corvées.

      La petite ville de Vatan s'occupe surtout de filature. Nous y avons bu d'excellent vin de Sancerre, généreux, haut en couleur, d'une saveur riche, à 20 sous la bouteille; dans la campagne, il n'en coûte que 10. Horizon étendu aux approches de Châteauroux. Vu les manufactures. — 40 milles.

      Le 3. — Nous sommes tombés, à environ 3 milles d'Argenton, sur un paysage admirable, malgré sa sévérité: c'est une vallée étroite entre deux rangs de collines boisées, se resserrant, de façon à être embrassées d'un coup d'oeil, pas un acre de sol uni, sauf le fond, que sillonne une petite rivière baignant les murs d'un vieux château placé à droite, de façon pittoresque; à gauche une tour s'élève au-dessus des bois.

      Argenton. — J'ai gravi les rochers qui surplombent la ville, et une scène délicieuse s'est offerte à mes regards: la vallée, qui a 1/2 mille de large, 2 ou 3 de long, fermée, à l'une de ses extrémités, par des collines, à l'autre par Argenton et les vignes qui l'entourent, présente des traits assez abruptes pour former un ensemble pittoresque; dans le fond, la rivière serpente gracieusement au milieu d'innombrables enclos d'une charmante verdure.

      Les vénérables ruines d'un château, situées près du spectateur, sont bien faites pour éveiller les réflexions sur le triomphe des arts de la paix sur les ravages barbares des âges féodaux, alors que chacune des classes de la société était plongée dans le désordre, et les rangs inférieurs dans un esclavage pire que celui de nos jours.

      De Vierzon à Argenton, plaine unie et semée de bruyères. Pas d'apparence de population, les villes mêmes sont distantes. Pauvre culture, gens misérables. Par ce que j'ai pu voir, je les crois honnêtes et industrieux; ils paraissent propres, sont polis et ont bonne façon. Je pense qu'ils amélioreraient volontiers leur pays, si la société dont ils font partie était réglée par des principes tendant à la prospérité nationale. — 18 milles.

      Le 4 — Traversé une suite d'enclos, qui auraient eu meilleure apparence si les chênes n'avaient perdu leurs feuilles, par suite des ravages d'insectes dont les toiles pendent encore sur leurs bourgeons. Il en repousse de nouvelles. Traversé un cours d'eau qui sépare le Berry de la Marche; on voit aussitôt paraître les châtaigniers; ils s'étendent sur les champs, et donnent la nourriture du pauvre.

      De beaux bois, des accidents de terrain, mais peu de signes de population. On voit aussi des lézards pour la première fois. Il semble y avoir une corrélation entre le climat, les châtaigniers et ces innocents animaux. Ils sont très nombreux, quelques-uns ont près d'un pied de long. Couché à la Ville-au-Brun. — 24 milles.

      La campagne devient plus belle. Passé un vallon où les eaux d'un petit ruisseau, retenues par une chaussée, forment un lac, principal ornement de ce tableau délicieux. Ses rives ondulées et les éminences couvertes de bois sont pittoresques; de chaque côté, les collines sont en harmonie; l'une d'elles, couverte maintenant de bruyères, peut se transformer en une pelouse pour l'oeil prophétique du goût. Rien ne manque, pour faire un jardin charmant, qu'un peu de soin.

      Pendant seize milles, le pays est de beaucoup le plus beau que j'aie vu en France. Bien clos, bien boisé; le feuillage ombreux des châtaigniers donne aux collines une éclatante verdure, comme les prairies arrosées (que je vois ici pour la première fois aujourd'hui) la donnent aux vallées. Des chaînes de montagnes lointaines forment l'arrière-plan du tableau dont elles rehaussent l'intérêt. La pente qui mène à Bassines offre une superbe vue; et, à l'approche de la ville, le paysage présente un mélange capricieux de rochers, de bois et d'eaux.

      Le long de notre route vers Limoges, nous avons rencontré un second lac artificiel entre deux collines; puis des hauteurs plus sauvages coupées de jolis vallons; un autre lac plus beau que le précédent, avec une belle ceinture de bois; nous avons ensuite passé une montagne revêtue d'un taillis de châtaigniers, d'où se découvrait un horizon comme je n'en avais pas encore vu, soit en France, soit en Angleterre, très accidenté, tout couvert de forêts, et bordé de montagnes éloignées. Pas une trace d'habitation humaine; ni village, ni maison, ni hutte, pas même une fumée indiquant la présence de l'homme; scène vraiment américaine, où il ne manquait que le tomahawk du sauvage. Halte à une exécrable auberge, appelée Maison-Rouge, où nous projetions de passer la nuit; mais, après examen, les apparences furent jugées si repoussantes, et il nous vint de la cuisine un rapport si misérable, que nous reprîmes le chemin de Limoges. La route, pendant tout ce trajet, est vraiment superbe, bien au delà de ce que j'ai vu en France ou autre part. — 44 milles.

      Le 6. — Visité Limoges et ses manufactures. C'était certainement une station romaine, et il y reste encore quelques traces de son antiquité. Elle est mal bâtie, les rues sont étroites et tortueuses, les maisons hautes et d'un aspect désagréable; les gros murs sont en granit ou en bois, revêtus avec des lattes et du plâtre, ce qui épargne la chaux article très cher ici, car on l'amène de douze lieues de distance; toits garnis de tuiles, très avancés et presque plats; preuve certaine que nous sommes hors de la région des neiges.

      Le plus bel édifice public est une fontaine dont l'eau, amenée de trois quarts de lieue par un aqueduc voûté, passe à soixante pieds sous un rocher pour arriver à l'endroit le plus élevé de la ville, d'où elle tombe dans un bassin de quinze pieds de diamètre, taillé dans un seul bloc de granit; de là elle se rend dans des réservoirs garnis d'écluses, que l'on ouvre pour l'arrosage des rues ou en cas d'incendie.

      L'antique cathédrale est en pierre; on y voit des arabesques sculptées avec autant de légèreté, de délicatesse, d'élégance, que ce que fait l'orgueil des maisons modernes décorées dans le même style.

      L'archevêque actuel s'est bâti un grand et beau palais, et son jardin est la chose la plus remarquable de Limoges, car il domine un paysage dont la beauté a peu d'égales; ce serait perdre son temps d'en donner d'autre description que juste ce qu'il faut pour engager les autres voyageurs à le voir. La rivière serpente dans une vallée entourée de coteaux, qui présentent l'assemblage le plus animé et le plus riant de villas, de fermes, de vignes, de prairies en pente, de châtaigneraies, s'harmonisant avec un tel bonheur, qu'il en résulte un spectacle vraiment délicieux. Cet évêque est un ami de la famille du comte de Larochefoucauld; il nous invita à dîner et nous reçut largement.

      Lord Macartney, amené en France après la prise des Grenadines, passa quelque temps avec lui: il y eut un exemple de politesse française à l'égard de Sa Seigneurie, qui montre l'urbanité de ce peuple: l'ordre était venu de la Cour de chanter le Te Deum, juste le jour où lord Macartney devait arriver. Sentant ce que des démonstrations de joie publique, pour une victoire qui avait enlevé sa liberté à cet hôte distingué, auraient de pénible pour lui, l'évêque proposa à l'intendant de remettre la cérémonie à quelques jours plus tard, afin qu'elle ne le surprît point à l'improviste; ce que fut convenu, et fait ensuite de manière à montrer autant d'attention pour les sentiments de lord Macartney que pour les leurs propres. L'évêque me dit que lord Macartney parlait mieux français qu'il ne l'aurait cru possible à un étranger, s'il ne l'avait entendu; mieux que beaucoup de Français bien élevés.

      La place d'intendant ici a été illustrée par un ami de l'humanité, Turgot, dont la réputation, bien gagnée dans cette province, le fit mettre à la tête des finances du royaume, comme