Voyages en France pendant les années 1787, 1788, 1789. Arthur Young. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Arthur Young
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 4064066087883
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l'air d'un jardin placé plus bas, le tout dans une belle esplanade très élevée au-dessus du reste de la ville et entourée d'une balustrade et d'autres décorations en pierre; au centre se trouve une belle statue équestre de Louis XIV. Il y a dans cet ouvrage d'utilité publique un air de vraie grandeur qui me fit plus d'impression que quoi que ce soit à Versailles. La vue aussi est singulièrement belle. Au sud, l'oeil se promène avec délices sur une riche vallée parsemée de villas et se terminant à la mer. Au nord s'étend une chaîne de hauteurs en culture. D'un côté, la magnifique chaîne des Pyrénées va se perdre dans le lointain, de l'autre, les neiges éternelles des Alpes brillent au- dessus des nuages. C'est un des spectacles les plus sublimes que l'on puisse contempler, lorsqu'un ciel clair permet de l'embrasser dans son ensemble. — 32 milles.

      Le 26. — La foire de Beaucaire met en mouvement tout le pays; j'ai rencontré beaucoup de charrettes chargées, et neuf diligences allant ou revenant. — Hier et aujourd'hui sont les jours les plus chauds que j'aie sentis; nous n'avions rien de semblable en Espagne. — Les mouches sont plus désagréables encore que la chaleur. — 30 milles.

      Le 27. — L'amphithéâtre de Nîmes est un édifice merveilleux, montrant combien les Romains savaient adapter ces lieux aux abominables fêtes auxquelles ils étaient destinés. La bonne disposition d'un théâtre pouvant recevoir sans embarras 17 000 personnes, sa masse, la manière inébranlable dont ces énormes pierres sont posées sans ciment, les ravages du temps, et plus encore des barbares qui l'ont à peine entamé dans les révolutions de seize siècles, tout captive l'attention.

      J'ai visité hier la Maison-Carrée, je l'ai revue ce matin et deux fois dans la journée: c'est, sans comparaison, l'édifice le plus léger, le plus élégant, le plus charmant que j'aie jamais vu. Quoiqu'il n'ait aucune masse qui surprenne, ni aucune magnificence extraordinaire qui éblouisse, le regard ne peut s'en détacher. Il y a dans les proportions une harmonie magique qui charme les yeux. Aucun détail ne ressort par une beauté particulière, c'est un tout parfait de grâce et de symétrie Quelle infatuation des architectes modernes, de dédaigner la pure et élégante simplicité pour élever ces chefs-d'oeuvre d'extravagance et de lourdeur si communs en France! Le Temple de Diane, comme on l'appelle, les bains dernièrement restaurés et la promenade, forment les parties d'un même tableau qui orne magnifiquement la cité. Par malheur pour moi, on avait retiré l'eau des bains et des canaux pour les nettoyer. Les pavés (mosaïques) romains sont fort beaux et très bien conservés.

      L'hôtel du Louvre, excellente maison, vaste et commode, où j'étais descendu à Nîmes, ressemblait, depuis le matin jusqu'à la nuit, autant à une foire que le champ de Beaucaire lui-même.

      Je dînais et soupais à table d'hôte; le bon marché de ces tables convient à mes finances et l'on peut y étudier les habitudes du pays; nous étions de vingt à quarante à chaque repas, compagnie mêlée de Français, d'Italiens, d'Espagnols et d'Allemands, avec un Grec et un Arménien. On me dit qu'il y avait à peine une nation d'Europe ou d'Asie qui n'ait pas son représentant à cette grande foire, principalement pour le commerce des soies grèges, dont il se fait des affaires de millions en quatre jours; on y trouve également tous les autres produits du monde.

      À propos de cette nombreuse table d'hôte, je dois noter un fait dont j'ai été souvent frappé: l'humeur taciturne des Français. J'arrivai dans ce royaume, m'attendant à avoir constamment les oreilles rompues par la vivacité et la volubilité infinie de ces gens, que tant de personnes ont décrits, au coin de leur feu en Angleterre, sans doute. À Montpellier, quoiqu'il y eût quinze personnes à table parmi lesquelles plusieurs dames, il me fut impossible de leur faire rompre ce silence inflexible par plus d'un monosyllabe, et la société ressemblait plutôt à une assemblée de quakers muets qu'à la réunion des deux sexes chez un peuple fameux par sa loquacité. Ici il en était de même à chaque repas, aucun Français n'ouvrait la bouche. Aujourd'hui, à dîner, désespérant des gens de cette nation, et dans la peur de perdre l'usage d'un organe dont ils semblaient si peu disposés à se servir, je m'assis à côté d'un Espagnol, et comme j'arrivais récemment de son pays, je le trouvai en humeur de parler et assez communicatif. Nous eûmes, à nous seuls, plus de conversation que les trente autres personnes.

      Le 28. — Parti de bon matin pour le pont du Gard, en traversant une grande plaine couverte, vers la gauche, de vastes plants d'oliviers au milieu de beaucoup de rochers arides. À première vue, je fus désappointé, je me figurais quelque chose d'autrement grandiose, mais je découvris bientôt mon erreur, et restai convaincu, après l'avoir examiné de plus près, qu'il ne lui manque aucune des qualités qui commandent l'admiration. C'est un travail prodigieux; la grandeur et la solidité massive de l'architecture, qui peut encore défier deux ou trois mille ans, unies à l'incontestable utilité de l'entreprise, nous donnent une haute idée de la hardiesse qui l'a fait exécuter, pour fournir aux besoins d'une ville de province: la surprise cesse toutefois en voyant que ce furent les nations enchaînées qui fournirent au travail. Sur le chemin de Nîmes, j'ai rencontré beaucoup de marchands de retour de la foire; chacun portait un tambour d'enfant attaché à son porte-manteau; j'avais trop ma petite-fille en tête pour ne pas les aimer, pour cette preuve d'attention envers leurs enfants; mais pourquoi un tambour? N'y a-t-il pas assez d'esprit militaire dans ce royaume, où eux-mêmes sont exclus des honneurs, de la considération et des bénéfices venant du sabre? J'aime beaucoup Nîmes; et si les habitants étaient le moins du monde au niveau de leur ville, je la préférerais comme résidence à la plupart, si ce n'est à toutes les villes de France sous le rapport du théâtre, point fort important, on dit que Montpellier l'emporte. — 24 milles.

      Six lieues de pays très désagréable jusqu'à Sauve; vignes et oliviers. Le château de M. Sabattier se remarque dans une contrée si sauvage; il a enclos une partie de sa propriété de murs en pierres sèches, planté beaucoup de mûriers et d'oliviers qui semblent jeunes et bien venants, surtout bien défendus, cependant le sol est si pierreux, qu'on n'y voit pas de terre: quelques-uns de ses murs ont quatre pieds d'épaisseur, l'un même atteint douze pieds sur cinq de hauteur, d'où il semble qu'il prenne à tâche d'enlever les pierres, amélioration sur laquelle j'ai des doutes. Il a bâti trois ou quatre nouvelles fermes; je suppose qu'il a l'intention de résider sur ses terres pour les mettre en bon état. J'espère qu'il n'a aucune charge dont les vains tracas puissent le détourner d'une conduite aussi honorable pour lui que bienfaisante pour le pays. Au sortir de Sauve, j'ai été très frappé de voir au grand espace qui ne paraissait être qu'un amas d'énormes rochers, enclos et planté avec le soin le plus industrieux. Chacun a un mûrier, un olivier, un amandier, un pêcher ou quelques vignes répandus çà et là; de sorte que le terrain forme le plus bizarre mélange de plantes et de quartiers de roches que l'on puisse concevoir. Les habitants de ce village méritent d'être encouragés pour leur industrie, et, si j'étais ministre, ils le seraient. Ils changeraient bientôt en jardins les déserts qui les entourent. Un tel centre d'agriculteurs actifs, qui transforment leurs rochers en une scène de fertilité, parce que, je le suppose, ces rochers leur appartiennent, feraient de même pour les solitudes environnantes, en vertu du même principe tout-puissant. Dîné à Saint-Hippolyte avec huit marchands protestants, retournant chez eux, dans le Rouergue, après la foire de Beaucaire. Comme nous partîmes en même temps, je voyageai dans leur compagnie et je sus d'eux plusieurs choses dont je désirais être informé; ils m'apprirent aussi que les mûriers s'étendent au-delà du Vigan, mais là et surtout à Milhau les amandiers prennent leur place et sont très abondants.

      Mes amis de Rouergue me pressèrent de les accompagner à Milhau et à Rodez, m'assurant que le bon marché était si grand dans leur province, que je serais tenté de me fixer quelque temps parmi eux. Je pourrais trouver à Milhau un logement garni, composé de quatre pièces ordinaires, de plain-pied, pour 12 louis par an, et vivre avec ma famille, si je la faisais venir, dans la plus grande abondance, pour 100 louis; il y avait des familles nobles, vivant d'un revenu de 50 et même de 25 louis. De tels récits, considérés au point de vue de la politique, ont leur intérêt; ce bon marché contribue, d'un côté au bien-être des individus; de l'autre, à la prospérité, à la richesse, à la puissance du royaume. Si je rencontrais beaucoup d'exemples semblables ou d'autres directement opposés, il deviendrait nécessaire d'y réfléchir plus longuement. — 30 milles.

      Le