L'automne d'une femme. Marcel Prevost. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Marcel Prevost
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066084851
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il demeure avec nous, naturellement... ou du moins avec M. Esquier, et prend ses repas à la maison... Pauvre enfant, ajouta-t-elle attendrie au rappel de ses souvenirs, si vous l'aviez vu à ce moment-là! On ne pouvait pas ne pas en avoir pitié. Du jour au lendemain la perte du père et la ruine, à vingt-quatre ans...

      —La ruine complète?

      —Non, heureusement. Nous l'avions tous cru d'abord... Mais les créances ont été payées en partie. Il reste à Maurice douze mille francs de rente.

      —Douze mille francs! s'écria l'abbé, mais c'est presque la richesse pour un jeune homme qui travaille.

      —Oh! songez qu'il avait été élevé princièrement, qu'il se croyait destiné à cent mille francs de rente. On ne lui a pas enseigné de métier... C'est un artiste... Il compose de la musique, il écrit des vers... Enfin, désespéré, il est tombé malade dangereusement. Une méningite... Sa convalescence a été longue. Sans y prendre garde, je me suis attachée à lui, à ce moment-là. Quand il fut mieux, nous avons commencé à sortir ensemble, à passer des après-midi ensemble... Maintenant... il va tout à fait bien... un peu de nervosité, d'irritabilité, seulement; mais l'habitude est prise, nous ne nous quittons guère.

      Elle s'interrompit. Sa pensée errait autour des souvenirs de ces promenades à deux, Maurice assis contre sa robe, sur la banquette du coupé, le coupé suivant au pas les allées du Bois découronnées par l'automne ou fendant droit la foule affairée et gaie, aux abords des boulevards. La voix de l'abbé Huguet, obscurcie par un vrai chagrin, interrogea:

      —Et alors, ma pauvre enfant, vous avez succombé?

      Mme Surgère releva sur lui ses yeux innocents, élargis par la surprise.

      —Succombé, mon père?

      —Vous vous êtes... abandonnée... à ce jeune homme?

      Elle répondit: «Oh! non!» avec un élan si violent, une défense des mains jetées en avant si instinctive, que le prêtre pensa aussitôt: «Elle dit vrai.» Les confesseurs, du reste, doutent rarement de la sincérité d'un pénitent; ils savent que, seul à seul, et sûr du secret, le pécheur aime à crier sa faute.

      L'abbé prit les mains de Mme Surgère et les serra.

      —Ah! mon enfant, je suis heureux de ce que vous me dites là!... Mais alors, si vous n'avez pas succombé, si vous n'avez pas même été tentée, ce que je crois comprendre, pourquoi ces larmes... pourquoi?...

      Elle, rassérénée maintenant, pesait ses mots pour bien préciser sa pensée.

      —Mon Dieu, mon père... c'est vrai que je n'ai pas été absolument tentée... Voyez-vous, il me semble impossible que je succombe jamais de cette façon-là, impossible... (elle chercha une comparaison) impossible, comme de prendre chez une de mes amies un billet de banque oublié sur une table... comme de faire souffrir quelqu'un... tout à fait impossible. Mais en conscience, ce que je ressens pour Maurice me paraît mal tout de même, m'inquiète et me chagrine. Oh! dire pourquoi, je ne saurais pas, et c'est pour cela, justement, que je m'adresse à vous... Je souffre de ne pas distinguer mon devoir... vraiment, je souffre.

      —Vous aimez ce jeune homme? dit le prêtre.

      —Est-ce l'aimer?... je ne suis pas bien habile à démêler ce qui se passe en moi... Il y a des moments où je me dis: «Quelle folie de me tourmenter! j'aime Maurice comme j'aimerais un fils, si j'avais eu le bonheur d'en avoir un» (et je pourrais presque en avoir un de son âge).—À d'autres moments, je trouve qu'il y a tout de même dans mon affection quelque chose de... pas permis; quelque chose de pareil à ce que je rêvais de ressentir, étant jeune fille, pour mon futur mari... Et puis, Maurice surtout m'inquiète. Il n'est pas raisonnable; il me demande des choses que je ne dois pas lui accorder.

      —Quelles choses? questionna l'abbé.

      —Mais, fit Mme Surgère en inclinant son visage où une buée rose s'évapora... il veut, par exemple, garder ma main dans sa main, ou sa tête sur ma poitrine, ou bien...

      Elle hésitait; l'abbé suggéra:

      —Des baisers?

      Elle fit un signe de tête affirmatif.

      —Même sur les lèvres?

      —Non... Jusqu'à hier, du moins... Hier, pour la première fois... Et c'est ce qui a réveillé mes scrupules, je crois.

      Il n'insista pas. Ils furent silencieux quelques instants.

      —Et ces... contacts vous énervent... physiquement?

      —Oui.

      Encore une fois le silence plana dans la pièce lourdement chauffée. L'abbé Huguet s'essuya le visage, posa son mouchoir sur la table. Mme Surgère attendait, les yeux attachés à terre.

      —Ma chère fille, dit-il après un instant de méditation, vous avez une âme droite, et elle vous a inspiré de venir me trouver à temps... Certes, dans votre tendresse pour ce jeune homme, vos intentions sont pures, j'en suis certain; mais les siennes ne le sont point, n'est-ce pas? et alors, ou bien vous aurez à soutenir une lutte de plus en plus difficile, une de ces luttes dans lesquelles une honnête femme laisse à chaque fois un peu de sa pudeur... ou bien vous succomberez... Oui, mon enfant, vous succomberez, répéta-t-il en accentuant le mot pour répondre à un tressaillement de Mme Surgère... Vous me dites aujourd'hui que c'est impossible... vous le croyez, vous avez raison. C'est effectivement impossible aujourd'hui, mais un peu moins qu'hier, et cela le sera encore un peu moins demain,—jusqu'à ce qu'il suffise d'un rien, d'un choc imperceptible pour vous faire tomber.

      Il arrangea symétriquement quelques porte-plumes sur son bureau, puis il reprit, non sans émotion dans la voix:

      —Vous tomberez, et ce sera un grand malheur, ma chère fille. Vous avez su traverser le monde sans rien perdre de votre pureté, ce qui est rare. Vous êtes parmi les âmes confiées à ma direction une de celles à qui je pense volontiers pour me reposer de toutes sortes de tristes choses que je vois ou que j'entrevois autour de moi... Je me dis alors: «Celle-là, au moins, est tout à fait intacte,» et j'en rends grâce à Dieu. Vous êtes restée parfaitement pure et vous y avez eu du mérite, puisque votre mari n'a pas été pour vous un compagnon fidèle, d'abord, et que depuis sa maladie c'est un infirme dans votre maison... Si j'apprenais un jour que vous avez cédé, comme les autres, il me semblerait qu'on m'annonce la mort de votre âme.

      Il avait volontiers ces paroles enveloppantes, ces sortes de caresses spirituelles, qui troublent les femmes dans leurs nerfs. Mme Surgère pleurait. Il lui prit la main:

      —J'aurais beaucoup de chagrin... Ne croyez pas que vous serez heureuse, vous non plus. Vous aurez une fièvre qui vous obscurcira les yeux; vous voudrez vous persuader que c'est du bonheur, parce que vous aurez peur de vous avouer à vous-même que votre déchéance n'est pas, au moins, payée par du bonheur. Mais vous connaîtrez de cruels retours sur vous-même. Toutes les femmes qui tombent les éprouvent, les plus folles même. Elles ont beau se monter la tête, s'étourdir, elles se rendent compte qu'elles font mal, à certains moments. Ah! j'en ai vu qui raisonnaient, qui se rebellaient contre cet arrêt de leur conscience, qui se disaient: «Mais, enfin, qu'est-ce que je fais de coupable?... Je suis libre;» ou bien: «Mon mari me trompe, ma conduite lui est indifférente... J'aime un homme qui m'aime, je lui suis fidèle... Où est le mal?...» Et leur raison n'a pas d'argument à opposer. Seulement, au fond de leur conscience, une voix un peu sourde, mais opiniâtre, réplique: «C'est mal, c'est mal!...» et l'on dirait d'un tic-tac d'horloge qu'on oublie le jour parmi le bruit ambiant, mais qui s'exaspère dans le silence et l'obscurité de la nuit jusqu'à chasser le sommeil... C'est que, malgré tous les raisonnements du monde, il y a ici-bas quelque chose de mal dans l'amour, dès qu'il est à lui-même son but. L'humanité devine cela vaguement et ne se l'explique point. L'Église seule tranche la question en disant: «C'est mal parce que c'est interdit...» Et des philosophes comme Pascal, après