Le Journal d'une Femme de Chambre. Octave Mirbeau. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Octave Mirbeau
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066087357
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aurait joliment tort de ne pas venir, ce soir, car, rien qu'à voir Madame, sûr que Monsieur ne s'embêterait pas... ce soir!

      —Ah! taisez-vous... taisez-vous!... frissonnait-elle.

      Naturellement, le lendemain, c'étaient des tristesses, des plaintes, des pleurs...

      —Ah! Célestine!... Monsieur n'est pas venu, cette nuit... Toute la nuit, je l'ai attendu... et il n'est pas venu... Et il ne viendra jamais plus!

      Je la consolais de mon mieux:

      —C'est que Monsieur est sans doute trop fatigué avec ses travaux... Les savants, ça n'a pas toujours la tête à ça... Ça pense à on ne sait quoi... Si Madame essayait des gravures, avec Monsieur?... Il paraît qu'il y a de belles gravures, auxquelles les hommes les plus froids ne résistent pas...

      —Non... non... à quoi bon?...

      —Et si Madame faisait, tous les soirs, servir à Monsieur... des choses très épicées... des écrevisses?...

      —Non! non!...

      Elle secouait tristement la tête:

      —Il ne n'aime plus, voilà mon malheur... Il ne m'aime plus...

      Alors, timidement, sans haine, d'un regard plutôt implorant, elle m'interrogeait:

      —Célestine, soyez franche avec moi... Monsieur ne vous a jamais poussée dans un coin?... Il ne vous a jamais embrassée?... Il ne vous a jamais...?

      Non... cette idée!

      —Dites-le moi, Célestine?...

      Je m'écriais:

      —Bien sûr que non, Madame... Ah! Monsieur se moque bien de ça!... Et puis, est-ce que Madame s'imagine que je voudrais faire de la peine à Madame?...

      —Il faudrait me le dire... suppliait-elle... Vous êtes une belle fille... Vos yeux sont si amoureux... vous devez avoir un si beau corps!...

      Elle m'obligeait à lui tâter les mollets, la poitrine, les bras, les hanches. Elle comparait les parties de son corps aux parties correspondantes du mien, avec un tel oubli de toute pudeur que, gênée, rougissante, je me demandais si cela n'était pas un truc de la part de Madame et si, sous cette affliction de femme délaissée, elle ne cachait point l'arrière-pensée d'un désir pour moi... Et elle ne cessait de gémir.

      —Mon Dieu! mon Dieu!... Pourtant... voyons... je ne suis pas une vieille femme... Et je ne suis pas laide... N'est-ce pas que je n'ai point un gros ventre?... N'est-ce pas que mes chairs sont fermes et douces?... Et j'ai tant d'amour... si vous saviez... tant d'amour au coeur!...

      Souvent, elle éclatait en sanglots, se jetait sur le divan et la tête enfouie dans un coussin, pour étouffer ses larmes, elle bégayait:

      —Ah! n'aimez jamais, Célestine... n'aimez jamais... On est trop... trop... trop malheureuse!

      Une fois qu'elle pleurait plus fort qu'à l'ordinaire, j'affirmai brusquement:

      —Moi, à la place de Madame, je prendrais un amant... Madame est une trop belle femme pour rester comme ça...

      Elle fut comme effrayée de mes paroles:

      —Taisez-vous... oh! taisez-vous... s'écria-t-elle.

      J'insistai:

      —Mais toutes les amies de Madame en ont, des amants...

      —Taisez-vous... Ne me parlez jamais de cela...

      —Mais puisque Madame est si amoureuse!...

      Avec une impudence tranquille, je lui citai le nom d'un petit jeune homme très chic qui venait souvent à la maison... Et j'ajoutai:

      —Un amour d'homme!... Et comme il doit être adroit, délicat avec les femmes!...

      —Non... non... Taisez-vous... Vous ne savez pas ce que vous dites...

      —Comme Madame voudra... Moi, ce que j'en fais, c'est pour le bien de Madame...

      Et obstinée dans son rêve, pendant que Monsieur, sous la lampe de la bibliothèque, alignait des chiffres et traçait des ronds avec des compas, elle répétait:

      —Il viendra, peut-être, cette nuit?...

      Tous les jours à l'office, durant le petit déjeuner, c'était l'unique sujet de notre conversation... On s'informait auprès de moi...

      —Eh bien?... Quoi?... Est-ce que Monsieur a marché enfin?

      —Rien, toujours...

      Vous pensez si c'était là un thème admirable pour les grasses plaisanteries, les allusions obscènes, les rires insultants... On faisait même des paris sur le jour où Monsieur se déciderait enfin à «marcher».

      A la suite d'une discussion futile où j'avais tous les torts, j'ai quitté Madame. Je l'ai quittée salement, en lui jetant à la figure, à sa pauvre figure étonnée, toutes ses lamentables histoires, tous ses petits malheurs intimes, toutes ses confidences par quoi elle m'avait livré son âme, sa petite âme plaintive, bébête et charmante, assoiffée de désirs... Oui, tout cela, je le lui ai jeté à la figure, comme des paquets de boue... Et j'ai fait pire... Je l'ai accusée des plus sales débauches... des passions les plus ignobles... Ce fut quelque chose de hideux...

      Il y a des moments où c'est en moi comme un besoin, comme une folie d'outrage... une perversité qui me pousse à rendre irréparables des riens... Je n'y résiste pas, même quand j'ai conscience que j'agis contre mes intérêts, et que j'accomplis mon propre malheur...

      Cette fois-là, j'allai beaucoup plus loin dans l'injustice et dans l'insulte ignominieuse. Voici ce que je trouvai... Quelques jours après être sortie de chez Madame, je pris une carte postale et, de façon à ce que tout le monde pût la lire dans la maison, j'écrivis cette jolie missive... oui, j'eus l'aplomb d'écrire ceci:

      «Je vous préviens, Madame, que je vous renvoie, en port payé, tous les soi-disant cadeaux que vous m'avez faits... Je suis une fille pauvre, mais j'ai trop de dignité—et j'aime trop la propreté—pour conserver les sales nippes dont vous vous êtes débarrassée, en me les donnant, au lieu de les jeter—comme elles le méritaient—aux ordures de la rue. Il ne faut pas que vous vous imaginiez, parce que je n'ai pas un sou, que je consente à porter sur moi, vos dégoûtants jupons, par exemple, dont l'étoffe est mangée et toute jaune, à force que vous y avez pissé dedans... J'ai l'honneur de vous saluer.»

      C'était tapé, soit!... Mais c'était bête aussi, d'autant plus bête que, comme je l'ai déjà dit, Madame s'était toujours montrée généreuse envers moi, au point que ces affaires—que je me gardai bien de lui renvoyer d'ailleurs,—je les vendis le lendemain quatre cents francs à une marchande à la toilette...

      N'était-ce point seulement la forme irritée du dépit où je me trouvais d'avoir quitté une place exceptionnellement agréable, comme on n'en rencontre pas beaucoup dans une existence de femme de chambre, une maison où il y avait tant de coulage... où l'on nous donnait tout à gogo... comme des princes?...

      Et puis, zut!... on n'a pas le temps d'être juste avec ses maîtres... Et tant pis, ma foi! Il faut que les bons paient pour les mauvais...

      Avec tout cela, que vais-je faire ici?... Dans ce trou de province, avec une pimbêche comme est ma nouvelle maîtresse, je n'ai pas à rêver de pareilles aubaines, ni espérer de semblables distractions... Je ferai du ménage embêtant... de la couture qui m'assomme... rien d'autre... Ah! quand je me rappelle les places où j'ai servi, cela rend ma situation encore plus triste, plus insupportablement triste... Et j'ai bien envie de m'en aller, de tirer ma révérence une bonne fois, à ce pays de sauvages...

      Tantôt, j'ai croisé Monsieur dans l'escalier. Il partait pour la chasse... Monsieur m'a regardée d'un air polisson... Il m'a encore demandé:

      —Eh bien, Célestine...