C'est que l'étude de l'univers exerce d'elle-même, sur tous ceux qui l'entreprennent, un charme profond et captivant. C'est qu'on éprouve d'intenses jouissances à s'élancer, sur les ailes de l'imagination, vers ces mondes qui gravitent, de concert avec nous, dans l'immensité des cieux, vers ces comètes, mystérieuses messagères de l'infini, vers ces étoiles scintillant radieuses à notre zénith.
Que de questions à résoudre dans ce parcours à travers les immensités béantes de l'espace!
Quelles sont les causes des changements produits à la surface de la Lune? Qu'est-ce que cette tache rouge, plus large que la terre, apparue sur Jupiter? Et ces canaux reliant toutes les Méditerranées de Mars entre elles, qui les a creusés? Quelle est la constitution physique de ces pâles nébuleuses, perdues au fond des cieux, et de la transparente queue des comètes? Quels mondes, quelles humanités éclairent les soleils de rubis, d'émeraude et de saphir qui constituent les systèmes d'étoiles doubles?
Que de points à élucider encore!
Que les personnes, donc, qui veulent se rendre compte, sans fatigue, de la constitution générale de l'Univers et comprendre ce que notre terre et ses habitants sont dans l'espace, vous suivent dans votre audacieuse et féconde tentative, ô vous qui avez choisi pour mission de les transporter à travers les magnifiques panoramas des Cieux. Il est doux de vivre dans la contemplation des beautés de la nature; il est agréable de planer dans les hauteurs éthérées, dans la sphère de l'esprit, d'oublier quelquefois les choses vulgaires de la vie, pour voyager quelques instants parmi les inénarrables merveilles de cet Infini dont le centre est partout, la circonférence nulle part.
Camille Flammarion.
Observatoire de Juvisy, novembre 1888.
AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR
Loin de nous la pensée de vouloir ajouter aux lignes qu'on vient de lire et d'arrêter le lecteur au seuil de cet ouvrage, maintenant que le célèbre astronome et écrivain, signataire de cette préface, lui en a ouvert la porte avec sa haute compétence et son autorité incontestée.
Mieux que nous, il a mis en lumière les points par lesquels l'œuvre présente diffère des tentatives faites; mieux que nous, il a dit,—et son affirmation vaut garantie,—que dans les Aventures extraordinaires d'un Savant russe, le lecteur soucieux des vérités scientifiques pourra, en parcourant des pages dramatiques quelquefois, spirituelles souvent, intéressantes toujours, se mettre au niveau des découvertes astronomiques dont les plus récentes ont, au courant de cette année même, stupéfié le monde savant.
Mais le point sur lequel nous voulons insister est celui-ci:
Jusqu'à ce jour, les romans plus ou moins scientifiques qui ont traité d'astronomie n'ont guère parlé que de la lune; aucun d'eux n'a conduit ses héros à travers l'ensemble des mondes célestes, sans en omettre aucun, depuis notre humble satellite, première station du voyage, jusqu'aux resplendissantes étoiles, et par delà encore, en passant par le soleil et les planètes télescopiques, moyennes ou géantes de notre système.
MM. Le Faure et de Graffigny ont entrepris cette tâche difficile et nous avons le droit d'affirmer, après M. Camille Flammarion, qu'ils l'ont menée à bien, car ils ont réussi à encadrer dans leur récit, sous une forme des plus originales, toutes les données scientifiques qu'en Astronomie il est indispensable de connaître aujourd'hui.
Deux artistes connus et aimés du public, L. Vallet et Henriot, ont concouru, avec tout l'esprit et le talent de leur crayon, à faire de ce livre une merveille d'édition qui laisse loin derrière elle ce qui a paru jusqu'à présent en publications du même ordre—nous entendons de celles destinées aux gens de goût.
Est-il besoin d'ajouter que par la forme et par le fond, cet ouvrage s'adresse à tous, aux jeunes gens amateurs d'aventures attrayantes et instructives comme aux grandes personnes que la science aimable captive.
Notre dernier mot sera pour remercier ici publiquement la haute personnalité scientifique qui a bien voulu accepter le parrainage des Aventures extraordinaires d'un Savant russe.
G. Edinger.
Aventures Extraordinaires D'UN SAVANT RUSSE
CHAPITRE PREMIER
DANS LEQUEL IL EST PARLÉ UN PEU DE MARIAGE ET BEAUCOUP DE LA LUNE.
Au dehors, il neigeait; les blancs flocons, tombant mollement et sans bruit, poudrederisaient les arbres et les toits des maisons, feutrant la chaussée d'un épais tapis sur lequel les traîneaux glissaient silencieusement.
Seules, les sonnettes des rares attelages qui passaient dans ce quartier écarté de Saint-Pétersbourg mettaient dans l'air épais un tintinnabulement joyeux, coupé parfois par le claquement sec d'un fouet.
Au dedans, un profond silence régnait, que troublaient seuls le ronflement d'un énorme poêle de faïence occupant tout le milieu de la pièce et le tic-tac monotone d'une horloge enfermée dans un cadre de bois sculpté et accrochée au mur, vis-à-vis la porte.
Dans l'embrasure de la fenêtre, enfoncée en un vaste fauteuil, une jeune fille, les mains abandonnées sur un ouvrage de broderie qu'elle avait laissé tomber sur ses genoux, rêvait.
Avec son visage pâle et d'un ovale régulier que deux grands yeux bleus, à fleur de tête, éclairaient, son nez fin et droit, aux narines roses et palpitantes, sa bouche petite et ourlée de lèvres un peu fortes peut-être, mais d'une adorable couleur purpurine, son menton bien dessiné et que creusait une mignonne fossette, ses cheveux d'un blond de lin crépelés naturellement sur le front, et tombant sur ses épaules en deux nattes longues et épaisses, réunies à l'extrémité par un ruban de soie bleue, cette jeune fille représentait dans toute sa pureté le type féminin russe.
Ses épaules étroites, sa poitrine à peine accusée, sa taille mince et flexible, ses bras un peu grêles indiquaient de seize à dix-sept ans; mais à voir son front grave et le pli qui se creusait à la commissure des lèvres, on lui en eût donné vingt.
Soudain, l'horloge sonna cinq heures; la jeune fille tressaillit, passa sa main sur ses yeux, du geste d'un dormeur qui s'éveille, et murmura:
—Cinq heures... il ne viendra plus maintenant... Mme Bakounine m'avait cependant bien promis...
Ses regards se fixèrent un moment sur la neige, dont les flocons tourbillonnaient dans l'espace et venaient mollement s'aplatir sur les vitres.
—C'est peut-être le temps qui l'a effrayé, ajouta-t-elle, cherchant ainsi à se donner à elle-même les excuses que pourrait bien invoquer le retardataire.
Ses lèvres s'avancèrent dans une moue charmante.
—Si cependant il m'aime autant qu'il l'a dit à Mme Bakounine, balbutia-t-elle, la neige ne devrait pas l'arrêter...
Comme