Aventures extraordinaires d'un savant russe: La lune. H. de Graffigny. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: H. de Graffigny
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066075507
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juge continua:

      —La maison dans laquelle nous nous trouvons est bien la vôtre?

      —C'est la mienne.

      —Cette pièce est votre laboratoire, n'est-ce pas?

      —Effectivement.

      —Vous reconnaissez comme étant vôtres tous les objets qui sont ici?

      Ossipoff abaissa la tête affirmativement.

      —Comme aussi vous déclarez avoir été fabriquées par vos mains toutes les substances qui se trouvent dans votre laboratoire?

      —Assurément.

      Ce mot, le vieux savant l'avait prononcé avec une assurance où perçait une pointe d'orgueil.

      Sharp le sentit et involontairement baissa les yeux.

      Le juge s'était tu et surveillait les transcriptions que faisait le greffier, des réponses d'Ossipoff.

      —Maintenant, fit celui-ci avec beaucoup de courtoisie, que j'ai répondu docilement à toutes vos demandes, me sera-t-il permis de vous poser une question?

      —Parlez, répliqua Mileradowich.

      —Pourquoi suis-je ici, chez moi, les mains liées et gardé à vue comme un malfaiteur, tandis que vous, des étrangers, siégez devant moi, semblables à des juges, après avoir tout bouleversé dans ma maison?

      Le gros Mileradowich tourna vers Sharp sa ronde figure qu'égayait un sourire narquois, il haussa légèrement les épaules en signe de commisération, puis s'adressant au vieux savant:

      —Bien que cette question n'ait aucune raison d'être, dit-il, puisque tout comme nous vous y pouvez répondre, sachant parfaitement à quoi vous en tenir sur votre cas, comme aussi bien il est d'usage de faire connaître,—pour la forme,—à un accusé ce dont on l'accuse, sachez donc, Mickhaïl Ossipoff, que vous êtes accusé de crime de haute trahison.

      L'ébahissement du vieillard fut si grand qu'il garda le silence, la langue clouée au palais, les yeux démesurément agrandis, les lèvres entr'ouvertes par une exclamation étranglée dans sa gorge.

      Mileradowich se méprit à cette attitude et continua en détachant chaque syllabe qui tombait sur la cervelle du prisonnier aussi lourdement qu'un coup de massue:

      —Vous conspirez contre la sûreté de l'État et contre la vie du Tzar.

      Ossipoff avait les membres comme brisés par ces paroles.

      Lui, accusé de vouloir bouleverser l'État!... lui, accusé de vouloir mettre à mort l'empereur Alexandre!... en un mot, lui, nihiliste!... Il fallait que les gens qui l'accusaient fussent atteints de folie ou qu'il fût victime lui-même de la plus grossière des méprises.

      Ce fut à cette dernière supposition que son esprit, un moment dérangé par cette effroyable accusation, s'arrêta, après quelques secondes de réflexion.

      Il recouvra l'usage de ses membres, sa langue se délia et il éclata d'un rire franc et large, en étendant la main vers Sharp qui le regardait par-dessous ses lunettes, sévère et raide sur son siège, semblable à un bonhomme en bois.

      —Monsieur le juge, dit Ossipoff, lorsque son hilarité fut un peu calmée, à votre accusation je ne répondrai qu'un mot: Il y a erreur, je n'en prends pour témoin que M. Sharp, ici présent, mon excellent collègue de l'Académie des sciences, qui va vous dire si Mickhaïl Ossipoff peut être vraisemblablement accusé de nihilisme.

      Contre l'attente du pauvre savant, le secrétaire perpétuel de l'Académie scientifique de Pétersbourg demeura immobile et muet.

      Mileradowich prit la parole.

      —Le très honorable monsieur Sharp, dit-il d'un ton sec, n'a rien à voir en tout ceci; l'accusation qui pèse sur vous ne le regarde nullement.

      —Alors, riposta Ossipoff que l'impatience commençait à gagner, si M. Sharp n'a rien à voir ici, qu'y vient-il faire?

      —Il a été désigné par le grand maître de la police pour m'aider de ses lumières dans la perquisition que j'ai dû faire céans, perquisition qui, je dois vous l'avouer, établit nettement votre culpabilité et le bien-fondé de l'accusation.

      Ossipoff courba la tête, les oreilles bourdonnantes de ces deux mots:

      Culpabilité... accusation... accusation... culpabilité.

      —Depuis plusieurs mois, poursuivit Mileradowich, vos voisins se sont émus de vos allées et venues mystérieuses, de vos allures singulières; vous vivez ici enfermé presque tout le temps dans votre laboratoire, sortant peu, excepté la nuit, pour faire dans Pétersbourg des courses dont nul ne connaît le but.

      Le savant releva la tête et ouvrit la bouche pour répliquer; mais le juge continua:

      —On a entendu à plusieurs reprises de sourdes détonations qui partaient de votre maison... Les habitations avoisinantes ont été maintes fois ébranlées par des secousses formidables qui ont même lézardé profondément le sol; on a vu des flammes briller par les soupiraux de cette cave... tout cela est étrange, incompréhensible.

      —Cela suffit-il pour me traiter comme un voleur, comme un assassin! demanda Ossipoff indigné.

      Sans répondre, Mileradowich lui dit brutalement:

      —Mickhaïl Ossipoff, dans votre intérêt même, je vous engage à changer de système de défense... un aveu complet peut détourner de votre tête la sévérité du Tzar.

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      —Je ne crains point la sévérité du Tzar, s'écria le savant, je ne demande que sa justice.

      Mileradowich haussa les épaules en coulant un regard du côté de M. Sharp, puis il continua:

      —Quelles étaient vos occupations?

      Sharp, à ces mots, releva la tête et regarda fixement l'accusé.

      —Je faisais des recherches chimiques, répondit Ossipoff.

      —Sur des explosifs, n'est-ce pas? demanda le juge.

      —Je reconnais, en effet, que mes études avaient principalement pour objet les compositions fulminantes.

      Mileradowich se frotta les mains et se pencha vers son greffier pour bien constater qu'il transcrivait fidèlement les réponses de l'accusé.

      —Et dans quel but, demanda-t-il d'un ton insinuant, recherchiez-vous avec tant d'ardeur un fulminate?

      —Dans un but scientifique, vous le pensez bien... Quel autre pourrais-je avoir?

      Le juge ricana en hochant la tête.

      —Vous oubliez que la fabrication des explosifs est le monopole de l'Etat et par conséquent formellement interdite aux particuliers.

      —Mais il ne s'agit pas de fabrication... seulement de recherches...

      Mileradowich asséna sur la table un formidable coup de poing.

      -Si vous continuez à donner ainsi de continuels démentis à la justice, gronda-t-il, je vous fais bâillonner...

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      Donc pour vous livrer aussi secrètement que vous le faisiez à la fabrication d'un engin de destruction aussi puissant, la sélénite, comme vous l'appelez...

      Ossipoff fit un mouvement.

      —... Vous aviez un but terrible, et ce but vous n'étiez pas loin de l'atteindre, car en consultant vos registres, M. Sharp a relevé à la date d'hier la formule de cette poudre indispensable aux projets de l'association dont vous faites partie.

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