Les mystères d'Udolphe. Анна Радклиф. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Анна Радклиф
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066080297
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une longue pause, Voisin reprit: Il y a environ dix-huit ans que, pour la première fois, j'entendis cette musique; c'était, je m'en souviens, par une belle nuit d'été comme celle-ci, mais il était plus tard. Je me promenais dans les bois, j'étais seul; je me souviens aussi que j'étais fort affecté, j'avais un de mes enfants malade, et nous craignions beaucoup de le perdre; j'avais veillé près de son lit toute la soirée pendant que sa mère dormait, car elle l'avait veillé toute la nuit précédente. Je sortis pour prendre un peu l'air: la journée avait été fort chaude; je me promenais sous ces arbres, et je rêvais; j'entendis une musique dans l'éloignement, et je pensai que c'était Claude qui jouait de son chalumeau; il s'en amusait fort souvent. Quand la soirée était belle, il restait à jouer sur sa porte; mais quand je vins à un endroit où les arbres s'ouvraient (de ma vie je ne l'oublierai), je regardais les étoiles du nord qui alors étaient fort élevées: j'entendis tout à coup des sons, mais des sons que je ne puis décrire; c'était comme un concert d'anges. Je regardais attentivement, et je croyais toujours les voir monter au ciel. Quand je revins à la maison, je dis ce que j'avais entendu; ils se moquèrent tous de moi, et me dirent que c'étaient des bergers qui avaient joué du flageolet: je ne pus jamais leur persuader le contraire. Peu de soirées après, ma femme entendit la même chose, et fut aussi surprise que je l'avais été moi-même. Le père Denis l'effraya beaucoup; il lui dit que le ciel envoyait cet avertissement pour annoncer la mort de son enfant, et que cette musique venait aux maisons qui renfermaient quelques personnes mourantes.

      Emilie, en écoutant ces paroles, se sentit frappée d'une crainte superstitieuse tout à fait nouvelle pour elle; elle eut peine à dissimuler son trouble à Saint-Aubert.

      —Mais l'enfant vécut, monsieur, en dépit du père Denis.

      —Le père Denis, dit Saint-Aubert qui écoutait avec attention tous les récits du bon vieillard, nous sommes donc près d'un couvent?

      —Oui, monsieur, le couvent de Sainte-Claire n'est pas loin; il est sur le rivage de la mer.

      —Ah! ciel, dit Saint-Aubert, comme frappé d'un souvenir subit, le couvent de Sainte-Claire! Emilie observa qu'aux nuages de douleur répandus sur son front se mêlait un sentiment d'horreur. Il devint immobile; la blancheur argentine de la lune donnait alors sur son visage; il ressemblait à ces statues de marbre qui, placées sur un monument, semblent veiller sur les cendres froides, et s'affliger sans espérance.

      —Mais, cher papa, dit Emilie qui voulait le distraire de ses pensées, vous oubliez combien vous avez besoin de repos; si notre bon hôte veut bien me le permettre, je préparerai votre lit, je sais comment vous aimez qu'il soit fait. Saint-Aubert se recueillit, et lui souriant avec affection, la pria de ne point augmenter sa fatigue en y ajoutant cette peine. Voisin, dont l'attention avait été suspendue par l'intérêt que ses récits avaient excité, s'excusa de n'avoir point encore fait venir Agnès, et sortit pour l'aller prendre.

      Peu de moments après il revint; il ramena sa fille, jeune femme d'une jolie figure. Emilie apprit d'elle ce qu'elle n'avait pas encore soupçonné; c'est que pour les recevoir il fallait qu'une partie de la famille cédât ses lits. Elle s'affligea de cette circonstance; mais Agnès, dans sa réponse, montra la même grâce et la même hospitalité que son père. On décida qu'une partie des enfants et Michel iraient coucher dans le voisinage.

      —Si je suis mieux demain, ma chère, dit Saint-Aubert à Emilie, nous partirons de bonne heure, pour pouvoir nous reposer pendant la chaleur du jour, et nous retournerons à la maison. Dans l'état de ma santé et celui de mes idées, je ne puis songer qu'avec peine à un plus long voyage, et je me sens le besoin de regagner la vallée. Emilie désirait ce retour, mais elle se troubla d'une résolution aussi soudaine. Son père sans doute se trouvait bien plus mal qu'il n'en voulait convenir. Saint-Aubert se retira pour prendre un peu de repos. Emilie ferma sa petite chambre, mais elle ne put trouver le sommeil. Ses pensées la reportèrent à la dernière conversation relative à l'état des âmes après la mort. Ce sujet la touchait sensiblement, depuis qu'elle ne pouvait plus se flatter de conserver longtemps son père. Elle s'appuyait toute pensive sur une petite fenêtre ouverte. Absorbée dans ses réflexions, elle levait les yeux au ciel; elle voyait cette voûte céleste semée d'innombrables étoiles, habitées peut-être par des esprits dégagés de leurs corps; ses yeux erraient dans les plaines éthérées, ses pensées s'élevaient, comme auparavant, vers la sublimité d'un Dieu et la contemplation de l'avenir. La danse avait cessé, les chaumières étaient paisibles, l'air semblait à peine effleurer le sommet des bois; quelques brebis égarées, de temps en temps le son d'une clochette éloignée, le bruit d'une porte qui se fermait, interrompaient seuls le silence et la nuit. A la fin même, ces sons qui lui rappelaient la terre et ses occupations, cessèrent tout à fait; les yeux mouillés de larmes, pénétrée d'une dévotion respectueuse, elle resta à la fenêtre jusqu'à ce que vers minuit l'obscurité se fût étendue sur la terre, et que la planète indiquée par Voisin eût disparu derrière le bois. Elle se souvint alors de ce qu'il avait dit à ce sujet, et se rappela la mystérieuse musique; elle restait à la fenêtre, espérant et craignant à la fois de l'entendre revenir; elle était occupée de l'extrême émotion de son père, quand on avait annoncé la mort du marquis de Villeroi et rappelé le sort de la marquise; elle se sentait vivement intéressée à en connaître la cause. Sa curiosité à cet égard était d'autant plus vive, que jamais son père n'avait prononcé devant elle le nom de Villeroi: aucune musique ne se fit entendre. Emilie s'aperçut que les heures la ramenaient à de nouvelles fatigues; elle pensa qu'il faudrait se lever de bonne heure, et se décida à gagner son lit.

       Table des matières

      Emilie, appelée de bonne heure comme elle l'avait désiré, se réveilla. Le sommeil l'avait peu rafraîchie, des songes pénibles l'avaient obsédée, et la plus douce consolation des malheureux avait été perdue pour elle. Elle ouvrit sa fenêtre, regarda les bois, vit le soleil levant, respira l'air pur, et se sentit plus calme. Tout le paysage avait cette fraîcheur qui semble apporter la santé. On n'entendait que des sons doux, que des sons pittoresques, si l'on peut s'exprimer ainsi, tels que la cloche d'un couvent lointain, le murmure des vagues, le chant des oiseaux, le mugissement du bétail, qu'elle voyait cheminer lentement entre les buissons et les arbres.

      Emilie entendit un mouvement dans la salle basse; elle reconnut la voix de Michel qui parlait à ses mules, et sortait avec elles d'une cabane voisine; elle sortit aussi, et trouva Saint-Aubert qui venait lui-même de se lever, et que le sommeil n'avait pas mieux rétabli qu'elle. Elle le conduisit de l'escalier dans la petite pièce où ils avaient soupé la veille. Ils y trouvèrent un déjeuner proprement servi, et leur hôte et sa fille qui les attendaient pour leur souhaiter le bonjour.

      Je vous envie cette chaumière, mes bons amis, dit Saint-Aubert en les voyant; elle est si agréable, si paisible, si propre, et cet air qu'on respire! Si quelque chose pouvait rendre la santé, ce serait bien sûrement cet air-là.

      Voisin le salua honnêtement, et lui répondit avec la politesse française: On peut envier cette chaumière, depuis que vous et mademoiselle l'avez honorée de votre présence.—Saint-Aubert sourit amicalement à ce compliment, et se mit à table. Elle était couverte de crème, de fruits, de beurre et de fromage frais. Emilie, qui avait soigneusement examiné son père, et qui le trouvait bien mal portant, l'engageait vivement à remettre son départ jusqu'au soir; mais Saint-Aubert semblait impatient d'être chez lui, et exprimait cette impatience avec une chaleur qui ne lui était pas ordinaire. Il assurait que depuis longtemps il ne s'était pas trouvé mieux, et qu'il voyagerait avec moins de peine à la fraîcheur du matin qu'à toute autre heure de la journée. Mais tandis qu'il causait avec son respectable hôte, et le remerciait pour ses procédés obligeants, Emilie le vit changer et tomber sur sa chaise avant qu'elle eût pu le soutenir. En peu de moments il se remit de cette faiblesse soudaine; mais il était si mal, qu'il se vit incapable de voyager; et après avoir lutté quelques instants contre la violence de ses maux, il demanda qu'on vînt l'aider à remonter l'escalier et à se remettre