Je me tournai et remarquai ses yeux bleu glacier fixés sur moi.
Je m’éloignai de la fille et me dirigeai vers lui, dans l’espoir d’avoir face à moi un des fils du compagnon de ma mère.
Mon regard glissa sur lui. Il faisait sûrement vingt centimètres de plus que moi et ne portait qu’un bermuda bleu sur son corps élancé et sculpté.
J’étais fascinée par sa peau bronzée, si différente de la mienne, blanche comme du lait, mais surtout par le tatouage qui lui couvrait le bras droit jusqu’à l’épaule. C’était une reproduction de la lithographie ‘Relativité’ d’Escher, une succession d’escaliers qui partent dans différentes directions et donnent une impression d’irréalité et de paradoxe. Cependant, les personnages étaient remplacés par des dragons qui survolaient la scène, jusqu’à son épaule sur laquelle s’agrippait un dragon encore plus grand, aux griffes tellement longues et acérées qu’elles semblaient pouvoir pénétrer la chair. Des blessures sanglantes, tatouées à la base des pattes de l’animal, rendaient l’effet encore plus réaliste.
Qu’est-ce qui peut bien pousser une personne à se faire tatouer des blessures et autres délires ?
Perturbée par cette image, je me concentrai sur son visage à la mâchoire carrée, aux pommettes hautes, au nez droit et à la bouche charnue incurvée dans un sourire énigmatique et insolent qui lui donnait un air arrogant.
Toutes les cellules de mon corps me criaient que ce garçon n’allait m’apporter que des ennuis.
Quand il fut à un pas de moi, je remarquai les gouttes d’eau qui continuaient à couler de ses cheveux châtains ondulés pour descendre sur son visage, et terminer leur course sur ses pectoraux parfaits et son ventre plat.
Il y avait quelque chose d’intimidant chez ce garçon. Ou c’était juste la fatigue du voyage.
Je n’étais pas une chiffe molle mais le fait est que je ne réussis pas à prononcer un mot.
Je restai là à attendre d’entendre le son de sa voix, tandis que l’espace entre nous était complètement aspiré par sa présence.
Il se pencha sur moi.
Nos regards restèrent enchaînés et, pendant un instant, j’eus le sentiment de ne plus pouvoir m’échapper.
J’aurais voulu réagir mais j’étais si fatiguée que je cédai à cette proximité qui me rendait vulnérable et mal à l’aise.
– Tu dois être Alice Preston, murmura-t-il. Le volume de la musique m’empêchait presque de l’entendre et je dus me rapprocher davantage de lui.
Je compris avec soulagement qu’il était plus que probablement un des fils du compagnon de ma mère.
J’ébauchai un sourire et acquiesçai, reconnaissante d’avoir rencontré quelqu’un qui pouvait m’aider.
Quelque chose changea brusquement.
D’un geste rapide, sa main droite se posa sur mon visage tandis que son bras gauche m’entourait la taille, me collant à lui.
Je ne fus pas assez rapide pour reculer. J’eus juste le temps de lever les mains et de les plaquer sur son torse mouillé et frais.
Ce saut de température du chaud au froid me fit frissonner.
Je tentai de comprendre ce qu’il se passait, mais sa main m’obligeait à garder le visage tourné vers lui, les yeux fixés sur les siens et notre respiration qui fusionnait.
Je fis un pas en arrière mais mon geste intensifia sa prise sur mon corps, sa main gauche grande ouverte dans mon dos. Je sentais son corps humide mouiller mes vêtements à chaque point de contact. Cette fraîcheur me fit du bien mais le contact physique inattendu m’effrayait, me poussant à chercher de l’espace et de l’oxygène.
– Mais qu’est-ce que … ? je murmurai intimidée, essayant de comprendre la situation. Mais mes mots se perdirent sur ses lèvres soudainement collées aux miennes.
Ce garçon m’embrassait !
Je tentai de le repousser mais autant essayer de déplacer un mur, et je me retrouvai le dos contre la paroi, sa main en train de descendre vers mes fesses.
En colère et déstabilisée par ce qu’il m’arrivait, je lui bloquai la main. Pour toute réponse, il se colla encore plus à moi, ses lèvres obligeant les miennes à s’entrouvrir et à répondre à son baiser.
Ce qui me chamboula le plus fut que, pendant tout ce temps, il continuait à me fixer comme s’il voulait contrôler mes réactions et comprendre combien de temps je mettrais à céder.
Malgré la fatigue, je ne m’avouai pas vaincue et restai raide sous ses assauts.
Je ne sais combien de temps nous sommes restés enlacés à nous embrasser.
Quand il se détacha de moi, j’étais chancelante, les jambes en coton.
Ce fut son bras autour de mes épaules qui me tint debout, alors qu’il était tourné vers ses invités qui nous observaient, curieux et amusés.
– Mes amis, je vous présente Alice, ma nouvelle sœur ! hurla-t-il euphorique, provoquant une explosion de rire parmi les personnes présentes, qui le complimentèrent sur l’accueil qu’il m’avait réservé.
Ils étaient excités d’avoir vu un des leurs embrasser de cette façon une fille qui était sa sœur. Apparemment, ce geste incestueux, loin de les choquer et de susciter leur mépris, avait au contraire fait monter de cent points la cote de popularité et l’ego de…
Comment s’appelle-t-il ?
– Easton, tu n’en rates jamais une, hein ? s’exclama un garçon blond en topant dans la main de celui qui venait de m’embrasser et était retourné se jeter dans la piscine.
Easton.
Je regardai furieuse ce demi-frère acquis il y a moins d’une minute.
Le sourire insolent et arrogant qu’il me retourna resta imprimé dans ma mémoire.
Je n’oublierais jamais cette expression triomphante et présomptueuse.
Une part de moi aurait voulu le gifler et le noyer dans la piscine mais j’étais trop habituée à tolérer et à garder mon sang-froid. J’étais en outre épuisée par le voyage, et je me sentais seule sans ma famille et ma maison.
Éprouvée et anéantie par ce que je venais de subir, je pris mon trolley et me dirigeai vers la sortie, sans même accorder un regard à Easton et ses amis qui commencèrent à se moquer de ma fuite.
J’avais envie de pleurer et je sentais grandir en moi la peur d’avoir commis une terrible erreur en acceptant cette proposition de venir en Oregon.
J’étais déjà dehors et sur le point d’appeler un taxi quand je vis ma mère arriver au volant d’une nouvelle voiture. Et quelle voiture ! Une Maserati de la dernière génération, l’absolu opposé de l’épave que mon père prenait pour aller travailler, quand elle démarrait.
– Alice, excuse-moi de ne pas être venue te prendre à la gare des bus, s’excusa-t-elle de suite en me serrant fort dans ses bras.
Je ne répondis pas et elle comprit immédiatement que je n’étais pas d’humeur à lui pardonner.
– Tu es déjà entrée ? me demanda-t-elle.
– Oui. J’ai rencontré Easton, ton beau-fils, répondis-je irritée, prête à lui révéler l’accueil humiliant et obscène auquel il m’avait contrainte au moment même où le garçon en question arrivait et nous interrompait.
– Easton, encore une fête ? Tu as