La voix de Larry Mullins tremblait. Alors qu’il terminait son allocution aux familles des victimes, il semblait au bord des larmes.
— J’ai eu quinze ans pour y réfléchir, dit Mullins. Pas un jour ne passe sans que je regrette. Je ne peux pas revenir en arrière. Je ne peux pas ramener Nathan Betts et Ian Harter à la vie. Mais j’ai encore le temps de me racheter aux yeux de la société. Je vous supplie de me laisser une chance de le faire…
Mullins s’assit. Son avocat lui tendit un mouchoir et il s’essuya les yeux, bien que Riley ne vit aucune larme.
Les officiels échangèrent des murmures.
Ce serait bientôt au tour de Riley de témoigner. Elle dévisagea Mullins.
Elle se rappelait bien de lui. Il n’avait pas beaucoup changé. Quand elle l’avait arrêté, elle l’avait trouvé propre sur lui et éloquent. La prison l’avait endurci, mais il se cachait derrière les sanglots. Il avait travaillé comme nounou.
Il avait si peu vieilli ! Il avait été arrêté à vingt-cinq ans, mais il avait toujours le même visage poupin.
Les parents des victimes, eux, avaient vieilli, brisés prématurément. Le cœur de Riley se serra.
Si seulement elle avait mieux géré cette affaire… Jake Crivaro, son premier partenaire, partageait ses regrets. C’était un des premiers dossiers de Riley. Jake l’avait bien instruite.
Larry Mullins avait été arrêté pour le meurtre d’un petit garçon dans un terrain de jeu. En investiguant, Riley et Jake avaient découvert qu’un autre enfant était mort dans des circonstances similaires.
Quand Riley avait arrêté Mullins et lui avait lu ses droits avant de le menotter, il avait presque admis sa culpabilité en lui adressant un sourire triomphal.
« Bonne chance. », lui avait-il glissé.
En effet, la chance avait tourné très vite. Mullins avait nié avec force. Malgré tous les efforts de Riley et de Jake, les preuves étaient dangereusement minces. Il avait été impossible de déterminer comment les enfants avaient été étouffés. On n’avait découvert aucune arme du crime. Mullins admettait les avoir perdus de vue, mais pas de les avoir tués.
Riley se souvenait encore de ce que lui avait dit le procureur.
— Il va falloir jouer serré. On ne peut pas prouver que Mullins était le seul à avoir accès aux gamins quand ils ont été tués.
Ça s’était terminé sur une négociation de peine. Riley détestait les négociations de peine depuis ce jour. L’avocat de Mullins avait proposé un accord. Mullins plaiderait coupable, mais sans préméditation, et les sentences pour les deux meurtres défileraient en même temps.
Un accord minable. Cela n’avait même pas de sens. Si Mullins avait bien tué les deux enfants, comment aurait-il pu être aussi négligent ? C’était contradictoire, mais le procureur n’avait pas eu le choix et il avait accepté. Mullins s’en était tiré avec trente ans de prison et la possibilité de sortir plus tôt pour bon comportement.
Les familles avaient été horrifiées. Elles avaient accusé Riley et Jake de ne pas avoir fait leur travail. Jake avait rapidement pris sa retraire après ça. Il était devenu amer.
Riley avait promis aux parents des deux garçons qu’elle ferait tout pour garder Mullins derrière les barreaux. Quelques jours plus tôt, les parents de Nathan Betts l’avaient appelée pour lui rappeler sa promesse.
Les murmures se turent. Le conseiller-auditeur Julie Simmons se tourna vers Riley.
— L’agent spécial Riley Paige aimerait parler, dit-elle.
Riley avala sa salive. Voilà le moment qu’elle préparait depuis quinze ans. Elle savait que tout le monde dans la salle connaissait le dossier, même s’il était incomplet. Inutile de revenir dessus. Elle allait faire un discours plus personnel.
Elle se leva et prit la parole.
— C’est le « comportement exemplaire » de Larry Mullins qui lui vaut cette audience, je ne me trompe pas ?
Elle ajouta avec une pointe d’ironie.
— Monsieur Mullins, je vous félicite.
Mullins hocha la tête, le visage dénué d’expression. Riley poursuivit.
— « Comportement exemplaire », qu’est-ce que cela signifie, concrètement ? Cela n’a rien à voir avec ce qu’il a fait, mais plutôt avec ce qu’il n’a pas fait. Il n’a pas enfreint les règles de la prison. Il a surveillé son comportement. C’est tout.
Elle fit une pause pour reprendre le contrôle de sa voix.
— Sincèrement, je ne suis pas surprise. En prison, il n’y a pas beaucoup d’enfants à tuer.
Des hoquets et des murmures se firent entendre. Le sourire de Mullins se crispa.
— Excusez-moi, dit Riley. Je sais bien que Mullins n’a jamais admis qu’il avait prémédité les meurtres. Le procureur n’a pas choisi cette voie. Mais Mullins a bel et bien plaidé coupable. Il a tué deux enfants. Il me parait impossible qu’il ait pu le faire sans avoir eu de mauvaises intentions.
Elle se tut, le temps de choisir ses mots. Elle voulait pousser Mullins a montré sa colère. Bien sûr, Mullins savait qu’il n’avait pas le droit à l’erreur. La meilleure stratégie à adopter, c’était de convaincre les membres de la commission de l’énormité de ses crimes.
— J’ai vu le corps de Ian Harter, quatre ans, le jour de sa mort. Il avait l’air de dormir les yeux ouverts. La vie avait effacé l’expression de son visage, mais pas celle de ses yeux. Il a vécu ses derniers moments dans une terreur sans nom. La même chose est arrivée à Nathan Betts.
Les deux mères s’étaient mises à pleurer. Riley n’avait pas le choix. Elle était obligée de remuer les terribles souvenirs.
— Nous ne devons pas oublier cette terreur, dit Riley. Et nous ne devons pas oublier que Mullins n’a montré aucune émotion lors de son procès. Pas un geste de remords. Ses remords sont apparus beaucoup, beaucoup plus tard… En admettant que ce ne soit pas une comédie.
Riley prit une grande inspiration.
— Combien d’années a-t-il pris à ces garçons, si on les additionne ? Combien d’années de vie a-t-il volées ? Plus de cent, il me semble. Il a été condamné à trente ans. Il n’est resté que quinze ans en prison. Ce n’est pas suffisant. Il ne vivra jamais assez longtemps pour purger la peine qui devrait être la sienne.
Maintenant, la voix de Riley tremblait. Il fallait qu’elle se reprenne. Elle ne pouvait pas exploser de rage, ni éclater en sanglots.
— L’heure est-elle venue de pardonner Larry Mullins ? C’est aux familles des garçons de le dire. Mais le pardon n’est pas le sujet de cette audience. Le plus important, c’est le danger qu’il représente. Nous ne pouvons pas mettre en danger des enfants.
Quelques membres de la commission regardaient leurs montres. Riley paniqua. Ils avaient déjà assisté à deux audiences ce matin. Quatre autres suivraient. Ils s’impatientaient. Riley devait terminer. Elle les regarda droit dans les yeux, un à un.
— Mesdames et messieurs de la commission, je vous supplie de ne pas lui accorder sa libération.
Elle ajouta :
— Quelqu’un veut peut-être ajouter quelque chose au nom du prisonnier.
Riley s’assit. Elle était satisfaite de sa conclusion. Elle savait pertinemment que personne ici ne parlerait en faveur de Mullins. Il n’avait aucun ami et il n’en méritait aucun.
— Quelqu’un souhaite ajouter quelque chose ? demanda le conseiller-auditeur.
— J’aimerais ajouter quelques