Germaine. About Edmond. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: About Edmond
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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dans un salon pavé de joujoux. Le père et le fils formaient un groupe assez plaisant; un étranger en eût souri. Le comte maniait cette frêle créature avec une tendresse craintive: il tremblait qu'un mouvement de ses grands bras ne mit sa progéniture en morceaux. Le petit garçon était fort pour son âge, mais laid, disgracieux et farouche à l'excès. Depuis un an qu'on l'avait séparé de sa nourrice, il n'avait vu que deux êtres humains, son père et sa grand'mère, et il vivait entre ces deux colosses comme Gulliver dans l'île des Géants. La douairière s'était séquestrée auprès de lui; elle faisait et recevait fort peu de visites, de peur qu'une parole imprudente ne trahît le secret de la maison. Les seuls complices de cette éducation clandestine étaient cinq ou six vieux serviteurs blanchis sous la livrée, gens d'un autre âge et d'un autre pays. Vous auriez dit des débris de l'armée de Gonzalve ou des naufragés de l'Invincible Armada. A l'ombre de cette étrange famille, l'enfant grandissait tristement. Il n'avait pas la compagnie des petits êtres de son âge, et l'on prenait une peine inutile pour lui apprendre à jouer. On voit des enfants de deux ans qui savent tout dire; qu'il prononçait à grand'peine cinq ou six mots de deux syllabes. Don Diego l'adorait tel quel: un père est toujours père; mais il avait peur de don Diego. Il disait maman à la vieille comtesse, mais il ne l'embrassait pas souvent sans pleurer. Quant à sa mère, il la connaissait de vue; il la rencontrait de temps en temps au Bois, dans un carrefour écarté, loin des allées où la foule se promène. Mme Chermidy laissait son coupé à distance et venait à pied jusqu'à la voiture du comte; elle embrassait l'enfant à la dérobée, lui donnait des bonbons, et lui disait avec une tendresse sincère: «Mon pauvre chien, tu ne seras donc jamais à moi!» Il n'eût pas été prudent de le conduire chez elle, quand même la douairière l'aurait permis. Mme Chermidy sauvait les apparences. Tout Paris soupçonnait sa position. Mais le monde fait une grande différence entre une femme convaincue et une femme soupçonnée. Il se trouvait par ci par là quelques âmes assez naïves pour répondre de sa vertu.

      Mme de Villanera annonça à son fils que la demande était faite et agréée. Elle fit l'éloge de Germaine sans rien dire de la famille; elle dépeignit la misère où vivaient les La Tour d'Embleuse. Don Diego avisa aux moyens d'envoyer un prompt secours sans humilier personne. La comtesse voulait tout simplement ouvrir sa bourse au vieux duc, bien sûre qu'il ne refuserait pas d'y puiser; mais le comte trouva plus décent d'acheter immédiatement la corbeille et de glisser dans un des tiroirs mille louis pour la mariée. Cette aumône cachée sous les fleurs servirait à payer les dettes criardes et à nourrir la famille pendant quinze jours. Aussitôt fait que dit. La mère et le fils coururent aux emplettes. Avant de sortir, Mme de Villanera baisa les joues orangées de son petit-fils en disant: «Va, mon pauvre bâtard, tu auras un nom pour tes étrennes!»

      Rien n'est impossible à Paris: la corbeille fut improvisée en quelques heures. Tous les marchands envoyèrent dans la soirée des étoffes, des dentelles, des cachemires et des bijoux. La comtesse prit soin de tout ranger elle-même et de placer les rouleaux d'or dans le tiroir aux épingles. A dix heures, la corbeille partit pour l'hôtel de Sanglié, et le comte pour l'hôtel Chermidy.

      Germaine et la duchesse étalèrent avec une froide curiosité les trésors qu'on leur envoyait. Mme de La Tour d'Embleuse admirait les parures de sa fille comme Clytemnestre admira les bandelettes funèbres destinées au front d'Iphigénie. Germaine rappela à ses parents le chapitre de Bernardin de Saint-Pierre où Virginie dépense l'argent de sa tante en menus présents pour sa famille et ses amis. «Que ferons-nous de tout ceci, dit-elle, nous qui n'avons plus d'amis et plus de famille? Voilà beaucoup de bien perdu.» Le duc ouvrit les tiroirs avec un noble dédain, en homme à qui toutes les splendeurs ont été familières; mais son indifférence ne tint pas en présence de l'or. Ses yeux s'allumèrent. Ces mains aristocratiques, qui s'étaient ouvertes si souvent pour donner, se crispèrent avidement comme les serres d'un avare. Il prit plaisir à éventrer tous les rouleaux, à faire scintiller l'or fauve sous la lueur d'une lampe fumeuse; il fit tinter à son oreille ces disques frémissants, qui sonnaient joyeusement les funérailles de Germaine.

      La passion est un niveau brutal qui égalise tous les hommes. M. le duc de La Tour d'Embleuse aurait pu faire sa partie à neuf heures du matin, sous le vestibule de l'hôtel, dans le concert des domestiques. Cependant, l'éducation reprit le dessus. Le duc serra l'argent dans le tiroir et dit avec une froideur bien jouée: «C'est à Germaine; garde-le bien, ma fille. Tu nous en prêteras un peu pour faire bouillir la marmite. Nous avons dîné sommairement aujourd'hui. Si j'étais riche comme je le serai dans un mois, je vous mènerais souper au cabaret.» La malade et la mourante devinèrent la secrète convoitise du vieillard. Vous ne sauriez croire avec quel tendre empressement, avec quelle pitié respectueuse Germaine le força de puiser dans sa caisse, et de la duchesse lui fit sa toilette pour qu'il s'en allât souper à Paris. Il rentra vers deux heures du matin. Sa femme et sa fille entendirent un pas inégal dans le corridor qui longeait leur chambre. Mais ni l'une ni l'autre n'ouvrit la bouche, et chacune régla le bruit de sa respiration pour faire croire à l'autre qu'elle dormait.

      Don Diego et Mme Chermidy passèrent une soirée orageuse. La belle Arlésienne commença par débiter à son amant toutes ses objections contre le mariage. Le comte, qui ne discutait jamais, lui répondit par deux raisons sans réplique: L'affaire est faite, et c'est vous qui l'avez voulu. Elle changea de note, et essaya l'effet des menaces. Elle jura de rompre avec lui, de le quitter, de reprendre son enfant, de faire un éclat, de mourir. La petite dame était belle dans son courroux: elle avait des airs de mésange effarouchée, auxquels un amoureux ne pouvait rester insensible. Le comte demanda grâce, mais sans rien rabattre de sa résolution. Il pliait comme ces bons ressorts d'acier qu'on fléchit à grand effort, et qui se redressent avec la promptitude de l'éclair. Alors elle ouvrit l'écluse de ses larmes; elle épuisa l'arsenal de ses tendresses. Elle fut pendant trois quarts d'heure la plus malheureuse et la plus aimante des femmes. Vous auriez cru, à l'entendre, qu'elle était la victime, et Germaine le bourreau. Don Diego pleura avec elle: les larmes coulaient sur sa figure mâle comme la pluie sur une statue de bronze. Il fit toutes les lâchetés que l'amour commande. Il parla de la future comtesse avec une froideur qui frisait le mépris; il jura sur son honneur qu'elle ne vivrait pas longtemps. Il offrit à Mme Chermidy de lui montrer Germaine avant le mariage. Mais sa parole était donnée, et les Villanera ne reviennent jamais sur ce qu'ils ont dit. Tout ce que la dame put obtenir, c'est qu'il viendrait la voir jusqu'au jour de la cérémonie, clandestinement, à l'insu de tout le monde, et surtout de sa mère.

      Le lendemain, Mme de Villanera le conduisit à l'hôtel de Sanglié, et le présenta à sa nouvelle famille. Visite de cérémonie, qui dura un quart d'heure au plus. Germaine faillit s'évanouir en sa présence. Elle a dit plus tard que cette physionomie dure l'avait épouvantée, qu'elle avait cru voir entrer l'homme qui devait la mettre en terre. Quant à lui, il se sentait mal à l'aise. Cependant il trouva quelques paroles de politesse et de reconnaissance dont la duchesse fut touchée.

      Il revint tous les jours, sans sa mère, tandis que les bans se publiaient. Il apportait un bouquet, suivant la coutume établie. Germaine le pria de choisir des fleurs sans parfum. Elle supportait difficilement les odeurs. Ces entrevues quotidiennes le gênaient beaucoup et fatiguaient Germaine; mais il fallait se conformer à l'usage. M. Le Bris craignit un moment que la malade ne succombât avant le jour fixé. Les craintes du docteur gagnèrent Mme Chermidy. Lorsqu'elle vit que Germaine était bien condamnée, elle eut peur de la voir finir trop tôt, et elle s'intéressa à sa vie. Quelquefois elle conduisait le comte jusqu'à la rue de Poitiers, et l'attendait dans sa voiture.

      La duchesse avait compris qu'elle ne pouvait marier sa fille dans le galetas de l'hôtel de Sanglié. Elle loua pour mille francs par mois un bel appartement meublé dans une maison voisine. Germaine y fut portée sans accident, par un jour de soleil. C'est là que don Diego vint faire sa cour; la vieille comtesse y venait aussi souvent que lui, et elle y restait plus longtemps. Elle ne tarda pas à juger Mme de La Tour d'Embleuse, et la glace fut bientôt rompue. Elle admira les vertus de cette noble femme, qui avait cheminé pendant huit ans sous des portes basses sans courber la tête une seule fois. De son côté, la duchesse reconnut dans Mme de Villanera une de ces âmes d'élite que le monde n'apprécie point, parce qu'il s'arrête à l'enveloppe. Le lit de Germaine servit de trait d'union à ces deux mères. La vieille