Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 2. Charles Athanase Walckenaer. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Charles Athanase Walckenaer
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Биографии и Мемуары
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cette aventure, les penchants du jeune roi pour les femmes, que ses jeux d'enfance avaient donné lieu de soupçonner, ne furent plus un secret pour personne. La reine avait une femme de chambre nommée mademoiselle de Beauvais, qu'elle affectionnait beaucoup, à cause de sa dextérité, de son exquise propreté, du zèle et de l'intelligence qu'elle mettait à la servir. Dans l'âge du retour, laide et borgne, et peu scrupuleuse, mademoiselle de Beauvais épiait depuis longtemps les premiers effets de la puberté dans le jeune roi. Elle savait qu'à cet âge, si le cœur sait déjà choisir ses affections, les sens obéissent sans discernement à une première surprise. Elle s'en prévalut; et le souvenir des instructions que Louis reçut d'elle lui devint par la suite un moyen d'élévation pour sa famille178.

      Dès que le jeune roi eut appris qu'on pouvait goûter les jouissances de la volupté sans avoir besoin d'éprouver le sentiment de l'amour, la violence de ses passions l'emporta sur ses scrupules, mais non pas encore sur sa pudeur. Il n'osa pas s'attaquer à ces fleurs qui brillaient éminentes autour de lui, mais qui se trouvaient placées sous les regards et sous la protection de sa mère; les plus humbles et les plus cachées lui devinrent préférables, et il s'embarrassa peu d'avoir à se baisser pour les cueillir. Une jardinière, fraîche et jolie, devint enceinte de ses œuvres, et en eut une fille. Madame de Sévigné et les Mémoires du temps, qui nous entretiennent si souvent des enfants naturels de Louis XIV, ne parlent pas de celui-ci. Le profond mystère dont le jeune roi enveloppait à cette époque ses aventures galantes ne pouvait lui permettre d'en déclarer le premier fruit; l'obscurité de la condition de celle à laquelle il était dû l'en empêcha par la suite. Mais sa fille lui ressemblait trop pour qu'il pût la méconnaître. Bontemps, son valet de chambre et son homme de confiance, fut chargé de la marier à un gentil-homme nommé Laqueue, seigneur du lieu qui porte ce nom, à six lieues de Versailles. Ce gentilhomme se promettait une fortune d'une telle alliance, dont le secret, dit Saint-Simon, lui fut dit à l'oreille; mais il ne parvint jamais au delà du grade de capitaine de cavalerie. Sa femme était grande et bien faite; elle savait de qui elle tenait le jour, et enviait le sort de ses trois sœurs (comme elle filles naturelles), princesses magnifiquement mariées. Elle vécut ainsi vingt ans, sans sortir de son village, plus heureuse que si elle avait été admise à la cour. Sans l'exact Saint-Simon, si bien instruit des détails de ce grand règne, on eût ignoré jusqu'à l'existence de cette aînée de tous les enfants du plus illustre de nos rois179.

      CHAPITRE X.

      1658

      Partis qui se forment à la cour parmi les courtisans.—Commencement de la faveur du prince de Marsillac.—Politique de Mazarin dans l'intérieur.—Il gouverne pendant la régence, par son influence sur la reine.—Depuis la majorité du roi, par l'ascendant qu'il sut prendre sur lui.—Il l'occupe des deux choses qu'il aimait le plus, la guerre et la galanterie.—Il le force avec autorité de s'occuper d'affaires.—Adresse que Mazarin met dans sa conduite envers les autres membres de la famille royale.—Il se concilie Gaston et MADEMOISELLE.—Il accorde un passe-port au médecin Guenaud pour aller soigner Condé, malade.—Procédés de Mazarin envers la princesse de Longueville.—Détails sur cette princesse et sur le prince de Conti.—Mazarin n'a plus d'autres ennemis à l'intérieur que les amis de Retz et les jansénistes.—Politique de Mazarin à l'extérieur.—Moyens qu'il emploie pour abattre la puissance de la maison d'Autriche.—L'ennemi s'empare de Rocroi.—Cette circonstance donne lieu à l'épître de La Fontaine à une abbesse.—Madame de Sévigné en entend la lecture chez Fouquet, et en fait l'éloge.—Madrigal de La Fontaine à ce sujet, adressé à madame de Sévigné.—Grandes richesses de Fouquet.—Il construit Vaux.—Protège les beaux esprits.—De mademoiselle de Scudéry et de ses romans, et de l'influence qu'elle exerçait.—Madame de Sévigné allait fréquemment à Vaux.—Madame Scarron, encore plus souvent.—Phrase d'une de ses lettres à madame Fouquet, au sujet des jardins de Vaux.—Madame de Sévigné va à sa terre des Rochers, et y passe l'automne avec ses trois oncles et son cousin de Coulanges.

      Les plus légères préférences du jeune roi pour quelques-uns de ses courtisans n'étaient pas remarquées avec moins de soin que ses plus petites attentions envers les femmes. L'ambition, qui toujours veille, épiait avec une jalousie inquiète, ou avec une secrète joie, ses amitiés comme ses amours. Sa prédilection pour le prince de Marsillac n'avait échappé à personne, et la faveur naissante de ce fils du duc de La Rochefoucauld, cet ancien chef de la Fronde, était appuyée par la reine: tant sur le théâtre mouvant des cours les combinaisons de l'intérêt font varier rapidement les ligues et les hostilités, les ressentiments et les affections! Le marquis de Vardes et quelques autres jeunes courtisans, comme lui intimement liés avec le prince de Marsillac, le secondaient dans ses efforts pour s'assurer de plus en plus les bonnes grâces de Louis; mais les comtes de Soissons, de Guiche, de Villequier, l'abbé Fouquet, formaient, avec plusieurs autres dans la jeune noblesse, un parti qui lui était opposé. Mazarin soutenait ce parti, afin de diviser les courtisans, de les empêcher de se réunir contre lui, et de tenir les fils de leurs intrigues180.

      Pendant la régence, Mazarin gouverna par son influence sur la reine. Il établit sur cette base le fondement de sa puissance; c'est par là qu'il parvint à triompher des parlements, de la cour et de la Fronde. Depuis la majorité, c'est par l'ascendant qu'il sut acquérir sur le jeune monarque qu'il assura la continuation de son autorité. Par ce moyen, il se rendit indépendant d'une reine qui n'était pas exempte de cette versatilité trop ordinaire à son sexe. Il est vrai qu'ainsi il mécontentait fortement celle à laquelle il devait son élévation, et qu'il se faisait taxer d'ingratitude par tous ceux qui étaient attachés à sa personne et reconnaissants de ses faveurs181. Mais le rusé ministre savait qu'Anne d'Autriche lui avait sacrifié trop de monde pour pouvoir se séparer de lui; qu'elle tenait à lui par trop de liens pour oser même le désirer. En gouvernant seul et sans son appui, il flattait Louis, qui, ainsi affranchi de cette tutelle maternelle, ne se crut vraiment roi que lorsqu'il vit que son gouvernement n'était plus la proie des intrigues des femmes et des exigences des courtisans, mais qu'il reposait tout entier dans son ministre.

      Mazarin occupait sans cesse Louis des deux choses pour lesquelles la jeunesse se passionne le plus facilement: la guerre et la galanterie. Mais en flattant ainsi les penchants de gloire et d'amour du jeune monarque, il savait s'en faire estimer, et lui imprimer une haute idée de ses talents et de sa capacité. Bien loin, comme on l'a prétendu, de lui dérober le secret des affaires, il cherchait, au contraire, à lui faire surmonter l'ennui que toute occupation sérieuse cause à cet âge, où le temps semble manquer au plaisir, où toutes les heures qui s'écoulent sans lui semblent pénibles et fatigantes. Mazarin savait, d'autorité, forcer le jeune roi à contracter l'habitude de fixer son attention sur les détails de son gouvernement. Un jour, Louis XIV s'absenta à l'heure où le conseil se tenait. Il s'était amusé, pendant ce temps, à répéter avec Motteville les scènes d'un ballet où ils devaient jouer ensemble. Mazarin fit à ce sujet au roi une verte réprimande; il éloigna Motteville de la cour, et donna des ordres sévères à tous les jeunes courtisans de ne point chercher à distraire le roi lorsque son devoir l'appelait au conseil182. Depuis lors, Louis XIV ne manqua pas d'y assister régulièrement et de prêter toute son attention aux affaires qui s'y traitaient.

      La conduite de Mazarin envers les autres membres de la famille royale ne fut pas moins adroite. Il parvint par ses cajoleries, ses promesses et ses négociations, à rallier à lui Gaston183 et MADEMOISELLE184, et à faire cesser leur correspondance avec Condé. Envers ce prince, son ennemi, et alors aussi celui de la France, Mazarin sut montrer de la grandeur d'âme et de la générosité. On apprit que Condé était tombé dangereusement malade à Bruxelles; Mazarin se souvint seulement que Condé était Français et prince du sang royal, qu'il avait rendu d'éminents services à son pays et à son roi; il s'empressa d'accorder un passeport au médecin Guenaud, pour qu'il pût aller donner ses soins à l'illustre


<p>178</p>

SAINT-SIMON, Mém., 1829, in-8o, t. I, p. 124, ch. XIV.

<p>179</p>

SAINT-SIMON, Mém., 1829, in-8o, t. IV, p. 192, ch. XIV.

<p>180</p>

MOTTEVILLE, Mém., t. XXXIX, p. 411.

<p>181</p>

LOMÉNIE DE BRIENNE, Mémoires inédits, 1828, t. II, p. 46.

<p>182</p>

MOTTEVILLE, t. XXXIX, p. 409.

<p>183</p>

LORET, liv. VIII, p. 153.—MONTPENSIER, t. XLII, p. 153.

<p>184</p>

MONTPENSIER, Mém., t. XLII, p. 104, 169, 198, 207, 208, 215, 238.—LORET, liv. VIII, p. 98, 114 (en date du 6 août 1657), p. 121 (13 août), p. 181.—MONGLAT, Mém., t. LI, p. 34.—MOTTEVILLE, Mém., t. XXXIX, p. 47.—LORET, liv. IX, p. 5 (2 janvier 1658).