Le capitaine Coutanceau. Emile Gaboriau. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Emile Gaboriau
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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Goudril!..

      Tout nous était expliqué. Je le connaissais ce Goudril, maintes fois j’avais vu son nom dans les journaux, et j’avais entendu cent fois mon père en parler comme d’un scélérat fort dangereux.

      C’était un ancien clerc de Danton, chassé par Danton, qui avait été un moment au service de Marat et qui, pour le moment, rédigeait une espèce de journal dépassant de beaucoup en ignominie le Père Duchêne, l’immonde feuille d’Hébert.

      Il s’était en outre improvisé tribun, et s’était fait une sorte de renom, par la violence ordurière de son langage et l’excentricité de ses motions.

      En ce moment, il me parut jouir délicieusement de ce renom, et je m’ébahissais à voir de quel air superbe il distribuait des poignées de main.

      Puis, comme on le priait de parler, il avisa les épaules d’un énorme sectionnaire, s’y hissa et commença un discours…

      Et positivement, on en entendait quelque chose, malgré l’effroyable vacarme, tant il forçait sa voix aigre et perçante comme un fifre.

      Il n’était pas d’ailleurs le seul à se livrer à cet exercice étrange, et, en me haussant sur la pointe des pieds, je pouvais apercevoir à quelque distance cinq ou six orateurs qui péroraient pareillement du haut de ce qu’on appelait alors une «tribune patriotique…»

      Mais nous ne restâmes pas longtemps à l’écouter.

      Voyant que bien décidément il nous oubliait:

      – Mettez-vous derrière moi, bourgeois, me dit Fougeroux, tenez-moi solidement, et en route.

      Durant un moment, grâce aux puissantes épaules de mon compagnon, tout alla bien. Mais quand nous arrivâmes aux grilles, comme beaucoup de gens voulaient sortir, et se précipitaient, je crus qu’il nous faudrait battre en retraite. Littéralement on s’y étouffait, et par moments nous entendions des cris déchirants.

      Enfin, une vigoureuse poussée nous dégagea, et nous nous trouvâmes sains et saufs rue de Grenelle, Fougeroux avec ses vêtements tout déchirés, moi ayant perdu mon chapeau dans la bagarre.

      Nous avançâmes assez loin dans la rue, pour nous mettre à l’abri de la foule, et n’en pouvant plus, nous nous assîmes sur les marches d’une maison pour reprendre haleine.

      Nous y étions bien depuis cinq minutes, quand tout à coup, d’une rue qui nous faisait presque face, nous vîmes sortir en courant de toutes ses forces, une femme toute jeune – une jeune fille, plutôt, vêtue comme l’étaient alors les cuisinières.

      Dix ou douze hommes déguenillés, armés de piques pour la plupart, et dont quelques-uns avaient des figures atroces, la poursuivaient…

      La malheureuse avait bien une quinzaine de pas d’avance, mais la frayeur troublait sa raison et l’aveuglait, car au lieu de tourner d’un côté ou de l’autre de la rue de Grenelle, elle poursuivit sa course tout droit, et vînt donner et s’abattre contre la maison devant laquelle nous étions assis…

      Les hommes aussitôt l’entourèrent, en l’accablant d’injures et en proférant les plus terribles menaces.

      Je dois en convenir, mes amis, à cette époque héroïque, mais étrangement troublée que j’essaie de vous faire connaître, il ne se passait guère de jour que la rue ne fût le théâtre de quelque scène de désordre ou de violences.

      Et on y était si bien accoutumé, que les gens qui revenaient du Champ de la Fédération ne daignaient seulement pas s’arrêter pour voir ce dont il s’agissait.

      Plus curieux et moins blasé, je m’étais vivement approché.

      Déjà la jeune fille s’était redressée et appuyée fortement au mur, comme si elle eût espéré qu’il s’ouvrirait miraculeusement pour lui livrer passage, elle faisait face à ses ennemis. Bien qu’elle fût d’une pâleur mortelle et que ses cheveux s’échappassent en désordre de son bonnet de linge, elle me parut d’une beauté merveilleuse, et ses grands yeux noirs rencontrant les miens, je me sentis bouleversé.

      Aux injures dont l’accablaient les misérables qui l’entouraient elle ne répondait rien.

      Et l’un d’eux lui ayant mis le poing sous le nez pendant qu’un autre brandissait une pique au dessus de sa tête, pas un des muscles de son visage ne bougea.

      Mais je n’en pus pas supporter davantage, et m’adressant à ces malheureux:

      – N’avez-vous pas honte, m’écriai-je, vibrant d’indignation, de vous mettre à dix pour outrager une femme!..

      Tous se retournèrent, surpris, et l’un d’eux, qui semblait le chef de la bande, peut-être parce qu’il avait une plus mauvaise figure que les autres, me toisa d’un air furieux, en disant:

      – Toi, citoyen joli-cœur, j’ai un conseil à te donner… Passe ton chemin!..

      Je n’ai jamais été très-endurant, et à ce moment-là, après toutes les émotions qui me secouaient depuis le matin, j’étais dans une exaltation qui me transportait hors de moi-même.

      Saisissant donc à la poitrine le grossier sans-culotte, je le secouai rudement en criant de ma plus grosse voix:

      – Et moi je vous préviens que le premier qui manquera de respect à mademoiselle, aura affaire à moi!..

      Toute la colère de ces gens aussitôt se tourna contre moi.

      – Qu’est-ce que c’est, clamaient-ils, qu’est-ce que c’est que cet aristocrate, qui vient insulter d’honnêtes patriotes?..

      – Ne voyez-vous pas, hurlait le chef, que je tenais toujours, ne voyez-vous pas qu’il arrive de Coblentz! C’est un émissaire des Prussiens…

      De pareilles accusations, en ce temps-là, suffisaient pour vous conduire droit au fond de la Seine avec une pierre au cou.

      Je n’y songeai même pas.

      Écartant d’un vigoureux effort les enragés qui m’entouraient, je me jetai devant la jeune fille, en appelant:

      – A moi! Fougeroux…

      Il n’avait pas attendu mon appel, le brave garçon, pour retrousser ses manches, et il guettait le moment d’intervenir.

      Me voyant menacé, il se rua sur le groupe, qu’il rompit d’un seul coup d’épaules, pendant que ses formidables poings s’abattant sur les deux plus hargneux de la bande les envoyaient prendre la mesure du pavé.

      – Ah! on veut toucher à mon jeune bourgeois!.. ricanait-il.

      Il y eut parmi les assaillants dix secondes de stupeur… C’est d’un œil hésitant qu’ils considéraient le torse du formidable champion qui semblait me tomber du ciel.

      Lui, calme autant que s’il eût été devant son pétrin, en profita pour passer sous mon bras le bras de la jeune fille, et nous poussant:

      – Allez, nous dit-il, m’attendre au coin de la rue du Bac… j’en ai pour une minute à régler le compte de ces braves sans-culottes.

      Mais ils étaient déjà revenus de leur surprise, et les trois plus vigoureux se précipitèrent sur Fougeroux, s’accrochant à ses vêtements… Il s’en débarrassa d’un tour de reins, aussi aisément qu’un lion qui secouerait des roquets acharnés à sa peau. Et comme je revenais à son aide:

      – Mais, allez-vous en donc, jarniguié! jura-t-il, vous voyez bien que vous nous empêchez de nous entendre, les citoyens et moi.

      A l’attitude de nos adversaires, je compris que Fougeroux les avait dégoûtés de la bataille, et que toute leur fureur se passait en criailleries.

      Reprenant donc le bras de la jeune fille, je l’entraînai rapidement le long de la rue de Grenelle.

      Ce qui ne laissait pas que de me surprendre, c’est que durant toute cette scène, elle était demeurée muette et impassible.

      Était-ce sang-froid,