Après diverses aventures, Thésée, qui est instruit de leur amour, se donne un plaisir dont l'idée appartient aux siècles chevaleresques, et point du tout aux siècles héroïques. Il leur ordonne de combattre l'un contre l'autre, chacun à la tête de cent guerriers, et promet au vainqueur la main d'Emilie. Arcitas remporte la victoire; mais une Furie échappée de l'enfer fait tomber son cheval; et il est blessé mortellement dans cette chute. Quoiqu'il sente sa fin prochaine, il veut recevoir le prix qui lui avait été promis, et mourir époux d'Emilie. Il expire après avoir reçu sa main; Emilie, qui aimait Arcitas, et Palémon, qui n'avait point cessé d'être son ami, le pleurent. Tous deux paraissent inconsolables, mais tous deux ont recours à la même consolation. Thésée veut qu'ils soient unis, ils le sent; et c'est ainsi que finit le poëme. La narration en est facile et naturelle; les événements, assez bien conduits, ne sont pas enchaînés sans art les uns aux autres: il y a de l'abondance et de la facilité dans les descriptions et dans les discours, de l'imagination dans les détails, mais non dans le style, qui est faible, terne et sans couleur. L'octave y a la même forme qu'elle a toujours conservée depuis; mais elle n'a point encore la noblesses, la grâce, les chutes heureuses et l'harmonie soutenue que Politien le premier, et l'Arioste ensuite, devaient lui donner.
Le Filostrato poëme en dix parties, aussi en ottava rima, est à peu près du même temps. Boccace l'adresse de même à Fiammetta, ou à la princesse Marie, qui était alors absente de Naples, et obligée de suivre la cour à Baies. Le sujet en est encore pris de l'histoire des temps héroïques accommodée à la moderne. Filostrato n'est point le nom du héros, c'est Troïle, fils de Priam, roi sérénissime de Troie, comme notre auteur; et il intitule son poëme Philostrate, nom composé, selon sa mauvaise méthode étymologique, d'un mot grec et d'un mot latin qui signifient ensemble vaincu, ou abattu par l'amour, parce que le malheur qui arrive à Troïle est d'être ainsi vaincu, et de l'être si bien qu'il en perd la vie. Ce jeune prince devient amoureux de Chryséis, qui n'est pas ici, comme dans Homère, fille de Chrysès, grand-prêtre d'Apollon, mais fille de Calchas, évêque de Troie; c'est ainsi qu'il est qualifié dans l'argument du premier livre. Troïle fait confidence de son amour à Pandarus, cousin de Chryséis, qui lui rend de très-bons offices auprès de sa cousine. Chryséis hésite quelque temps à se rendre; mais elle cède à l'amour, aux soins empressés de Troïle, et aux conseils de Pandarus. Les deux amants sont heureux. On reconnaît l'auteur du Décaméron dans la description un peu vive de leur bonheur. Cette description, au reste, est mêlée d'anachronismes qui n'avaient alors rien de choquant, mais à qui l'on ne ferait pas aujourd'hui la même grâce. Un fils de roi ne pouvait se dispenser d'aimer beaucoup la guerre et la chasse: aussi Troïle pendant le siége, s'arrachait-il souvent des bras de Chryséis, soit pour aller combattre les Grecs, soit, lorsqu'il y avait quelque trêve, pour aller chasser dans les forêts, tenant sur le poing un faucon ou quelque autre oiseau de chasse.
Mais cette douce vie ne dure pas. Chalchas était passé dans le camp des Grecs, et avait laissé sa fille à Troie. Les Troyens, vaincus dans plusieurs combats, demandent une trêve; entr'autres conditions, les Grecs exigent que Chryséis soit rendue à son père. Les deux amants sont séparés. Troïle est au désespoir. Chryséis est reçue au camp des Grecs avec des acclamations de joie. Elle y reste quelque temps accablée de tristesse, et ne pensant qu'a son cher Troïle. Diomède entreprend de la consoler; le guerrier qui blessa Vénus ne peut pas être aussi aimable que Troïle; mais Troïle est absent; Diomède devient plus pressant de jour en jour; le cœur de Chryséis est faible. Il cède enfin, et le malheureux Troïle est oublié. Il ne cesse, pendant ce temps-là, de penser à elle et de la pleurer. Il la voit en songe, et croit la voir infidèle; il veut se tuer; Pandarus l'en empêche, ses frères et ses sœurs s'empressent autour de lui, et cherchent à le distraire de sa douleur. Sa sœur Cassandre, à qui l'infidélité de Chryséis est révélée, tâche de le dégoûter d'elle. Si du moins, lui dit-elle, tu étais amoureux d'une femme de noble origine! mais tu te consumes d'amour pour la fille d'un prêtre scélérat qui a lâchement abandonné sa patrie. Troïle se fâche contre sa sœur, dont le talent, comme on sait, n'était pas de se faire croire: il lui soutient que Chryséis est une honnête personne et incapable de lui manquer de foi. Cependant la trêve est rompue; les Grecs continuent d'être vainqueurs. Achille tue Hector. La famille de Priam est plongée dans le deuil. Rien ne distrait Troïle de son amour. Il combat à la tête des phalanges troyennes. Il revient couvert de sang et de poussière, et recommence à pleurer Chryséis. Mais il est enfin instruit de son infidélité: il en a des preuves qui ne lui permettent plus aucun doute; il veut mourir. Les combats sanglants qui se donnent tous les jours sous les murs de Troie lui en offrent les moyens. Il se précipite avec fureur, et est enfin tué par Achille.
On remarque dans ce poëme les mêmes qualités et à peu près les mêmes défauts que dans la Théséide. Peut-être a-t-il cependant plus d'intérêt; peut-être aussi le style en a-t-il un peu plus d'élégance, et les sentiments plus de chaleur et de vérité. Des critiques habiles, tels que Salvini et Apostolo Zeno, en ont fait de grands éloges; enfin il est mis, par MM. de la Crusca, au nombre des ouvrages qui font autorité, ou texte de langue. Il fut imprimé à Paris en 1789, et l'éditeur l'annonça comme paraissant au jour pour la première fois; mais on connaît quatre éditions plus anciennes, dont la première est de 1498.
Le Ninfale Fiesolano est un petit poëme sans division de chants et de livres, et en 472 octaves, qui paraît encore avoir été écrit vers la même époque 58. On dit que Boccace y raconte, sous le voile de l'allégorie, une aventure arrivée de son temps. Il feint que, dans les siècles les plus reculés, avant que Fiésole fût bâti, la colline où il est placé était couverte de bois, que Diane y avait des Nymphes occupées de la chasse, et vouées à la virginité.
Il leur arrive à Fiésole le même accident qu'en Arcadie. L'une d'elles, nommée Mensola, est aimée, non par Jupiter, comme Calisto, mais par Africo, jeune berger, le plus aimable et le plus beau du monde. Il se déguise en nymphe pour s'approcher d'elle; et un jour qu'elle se baignait dans le fleuve avec ses compagnes, il la surprend et la force à rompre son vœu. Les suites de cette surprise sont très-malheureuses. Africo, plus amoureux que jamais de la Nymphe, l'attend à un rendez-vous, et, parcequ'elle tarde à venir, il se tue. Mensola met au jour un enfant de douleur. Diane vient visiter Fiésole; la Nymphe coupable lui est dénoncée: elle la change en rivière, ou plutôt, au moment où Mensola, pour fuir ses menaces, se jette dans le fleuve qui passe au bas de la colline, elle la dissout, pour ainsi dire, et la force de couler désormais avec cette onde. On ne voit pas trop quel événement contemporain peut avoir été caché sous cette allégorie, à moins que ce ne fût, ce qui est très-possible, quelque aventure de couvent; mais les Florentins ont consacré l'aventure d'Africo et de Mensola, en l'appelant de leur nom deux rivières qui descendent des collines de Fiésole et qui, parvenues dans une petite vallée, y réunissent leur cours