Sans hésiter, les valeureux chiens suivirent la redoutable bête dans l'intérieur de la maison. On entendit pendant quelques instants un mélange confus d'aboiements, de grognements, de rugissements; puis le bruit sourd d'un corps lancé contre le mur, des hurlements plaintifs, un craquement d'os brisés, la basse retentissante du principal combattant. Enfin le plus profond silence s'établit.
La lutte était terminée.
Les chasseurs ne riaient plus; ils avaient écouté avec angoisse les bruits sinistres du combat, et ils tremblèrent quand ces bruits eurent cessé.
Ils appelèrent chacun des chiens par son nom, dans l'espoir de le voir sortir, même blessé; mais ni l'un ni l'autre ne sortirent. Après une longue et inutile attente, Von Bloom dut se résigner à l'idée que ses deux derniers chiens étaient morts.
Accablé par ce nouveau malheur, il oublia presque la prudence, et fut sur le point de se ruer vers la porte pour tirer à bout portant son odieux ennemi: mais une lueur brillante traversa la cervelle de Swartboy.
– Baas! baas! enfermons le lion!
Le projet était raisonnable; mais comment l'exécuter? Si l'on parvenait à tirer la porte ou les volets de la fenêtre, on n'avait plus rien à craindre du lion; mais il fallait s'approcher de lui, et dans sa rage il était certain qu'il s'élancerait sur le premier assaillant. En restant en selle on ne diminuait pas le danger. Les chevaux piétinaient et s'élançaient toutes les fois qu'un rugissement leur révélait la présence du lion. Il leur était impossible de conserver assez de sang-froid pour approcher de la porte ou de la fenêtre. Leurs hennissements, leurs caracoles, auraient empêché les cavaliers de se pencher pour saisir le loquet ou les boutons.
Il était clair que la fermeture de la porte ou des fenêtres offrait un danger sérieux. Tant que les cavaliers étaient en plaine et à quelque distance du lion, ils le bravaient impunément; mais ils étaient exposés à devenir ses victimes s'ils pénétraient dans l'enceinte et s'aventuraient à proximité du logis.
Quoique l'intelligence d'un Bosjesman soit bornée, elle excelle dans une spécialité. L'instinct qui le guide à la chasse ferait honneur aux facultés d'un homme de la race caucassienne. C'est l'exercice qui développe cet instinct particulier chez le Bosjesman, dont l'existence dépend souvent de sa sagacité. La tête informe que Swartboy portait sur ses épaules renfermait une cervelle d'assez bonne qualité, et il avait appris à en faire usage dans le cours d'une vie aventureuse, pendant laquelle il avait maintes fois lutté contre les dangers et les privations.
– Baas, dit-il en s'efforçant de modérer l'impatience de son maître, écartez-vous un peu et laissez-moi le soin de fermer la porte: je m'en charge.
– De quelle manière? demanda Von Bloom.
– Vous le verrez, vous n'attendrez pas longtemps.
Von Bloom et Hendrik s'arrêtèrent à trois cents pas du kraal, tandis que le Bosjesman attachait au bout d'une flèche une ficelle qu'il avait tirée de sa poche. Il s'avança ensuite à trente yards de la maison et mit pied à terre, non pas en face de l'entrée, mais de côté, afin d'avoir devant lui la porte de bois, qui était aux trois quarts ouverte.
Il tendit son arc, et lança dans la porte une flèche qui se planta sous le loquet. Aussitôt après il sauta en selle, mais sans perdre le bout de la ficelle, dont l'autre extrémité était attachée à la flèche.
Le frémissement du fer acéré dans le bois avait attiré l'attention du lion. Il exhala sa colère par un grondement prolongé, mais il ne se montra pas.
Swartboy tira doucement la corde, s'assura qu'elle était solide, et par une secousse plus forte fit tomber le loquet à sa place. Pour ouvrir la porte il eût fallu que le lion en brisât les planches épaisses, ou qu'il eût assez d'instinct pour lever le loquet. Ce n'était pas à craindre, mais il pouvait encore sortir par la fenêtre.
Swartboy avait l'intention de la fermer; seulement n'ayant qu'un peloton de ficelle, il était obligé de le détacher préalablement de la flèche, opération pendant laquelle il courait le risque d'être surpris par son farouche antagoniste. Sans être lâche, le Bosjesman avait plus d'astuce que de bravoure, et ne se souciait nullement d'approcher du kraal. Les rugissements qui en sortaient auraient ébranlé une résolution plus ferme que la sienne.
Heureusement pour lui, Hendrik imagina un moyen de reprendre possession de la ficelle, tout en se tenant à distance.
Il cria à Swartboy d'être sur ses gardes, et se dirigea vers un poteau garni de plusieurs barres transversales qui avaient servi à attacher les chevaux.
Il descendit de cheval, attacha sa bride à l'une des barres, et posa sur une autre le canon de sa carabine. Après avoir visé avec soin, il tira et enleva la flèche qui tenait à la porte. Tous se tenaient prêts à s'éloigner au galop; mais l'explosion fit grommeler le lion sans qu'il tentât une sortie.
Swartboy attacha sa ficelle à une nouvelle flèche qu'il lança contre les volets. Elle y pénétra profondément. Au bout de quelques minutes, les volets tournèrent sur leurs gonds et furent hermétiquement fermés. Les trois chasseurs mirent pied à terre en silence, s'avancèrent d'un pas rapide, et assujettirent la porte et les volets avec de fortes lanières de cuir brut.
Hurrah! le lion était en cage.
CHAPITRE XI
LA MORT DU LION
Les trois chasseurs respirèrent plus librement. Mais quel devait être l'issue de leur entreprise? ils eurent beau regarder à travers les fentes dans l'intérieur du kraal où régnait une obscurité complète, ils ne virent pas le lion. Et quand même ils l'auraient vu, ils n'avaient aucune ouverture pour y passer le bout d'un fusil et faire feu sur lui. Il n'était pas moins en sûreté que ceux qui l'avaient fait prisonnier. Tant que la porte restait fermée, il ne pouvait leur faire plus de mal qu'ils ne pouvaient lui en faire eux-mêmes.
– Laissons-le enfermé, dit Hendrik. Il mangera les restes abandonnés par les chacals avec les cadavres des deux chiens, et quand ses provisions seront épuisées, il périra misérablement.
Ce n'est pas prudent, dit Swartboy; il a des griffes et des dents, et maintenant il va travailler à se délivrer. S'il y parvenait nous serions perdus.
Von Bloom était rancunier, et bien déterminé à ne pas quitter la place avant d'avoir tué l'animal. Pendant que ses deux compagnons conféraient, il cherchait dans sa tête les moyens de l'atteindre. Il eut d'abord l'idée de tailler dans la porte un trou assez large pour y passer le bout de son roer. S'il ne réussissait pas à voir le lion par cette ouverture, il se proposait d'en tailler une seconde dans le volet. Toutes deux, se faisant face, devaient éclairer l'intérieur, qui ne formait qu'une seule pièce depuis qu'on en avait enlevé la cloison de peau de zèbre.
Ce qui lui fit renoncer à ce projet, c'était le temps indispensable pour l'accomplir. Avant que les deux brèches fussent ouvertes, le prisonnier pouvait forcer la porte. Il importait d'ailleurs de ne pas séjourner longtemps loin d'un pâturage, car les chevaux étaient déjà affaiblis par la faim.
– Mon père, dit Hendrik, si nous mettions le feu à la maison?
– Bonne idée, répondit Von Bloom.
Les yeux se portèrent sur la toiture. Elle se composait de grosses solives recouvertes de lattes et de chevrons sur lesquels s'étendait un lit de joncs d'un pied d'épaisseur. Il y avait là de quoi allumer un grand brasier dont la fumée suffoquerait probablement le lion avant que la flamme l'atteignît.
Les trois chasseurs amassèrent immédiatement des fagots et les amoncelèrent contre la porte. On aurait dit que le lion avait deviné leurs intentions, car il recommença à rugir. Le bruit des bûches qu'on empilait redoubla son inquiétude. Impatient de quitter un asile qui