Le magasin d'antiquités, Tome II. Чарльз Диккенс. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Чарльз Диккенс
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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et dans quelle intention ils se trouvaient là réunis, une crainte vague d'abord, puis le désir violent d'éclaircir ses doutes, rapprocha Nelly du groupe présent à ses yeux: toutefois elle eut soin de dissimuler ses pas, et de se glisser le long d'une haie.

      Elle put de là arriver jusqu'à quelques pieds seulement du bivouac, et, cachée entre de jeunes arbres, voir et entendre à la fois sans craindre d'être aperçue.

      Là il n'y avait ni femmes ni enfants, comme elle en avait remarqué dans d'autres camps de bohémiens devant lesquels elle avait passé avec son grand-père durant leur vie errante: ce qu'elle vit seulement, ce fut un gipsy d'une taille athlétique, qui se tenait à peu de distance les bras croisés, appuyé contre un arbre, et tantôt regardait le feu, tantôt fixait ses noires prunelles sur trois autres hommes qui entouraient le foyer et dont il suivait la conversation avec un intérêt constant mais déguisé. Parmi ces trois hommes était son grand-père: dans les deux autres, Kelly reconnut les joueurs de cartes qu'elle avait vus dans l'auberge pendant la trop mémorable nuit d'orage, celui qu'on appelait Isaac List, et son sinistre compagnon. Une de ces tentes basses et cintrées en usage chez les bohémiens était fixée non loin de là, mais elle était, ou du moins elle paraissait vide.

      «Eh bien, partez-vous? dit le gros homme, levant son regard de la place où il était étendu à l'aise, pour le fixer sur le visage du vieillard. Il n'y a qu'une minute, vous étiez si pressé! Partez, si cela vous plaît. Vous en êtes bien maître, il me semble.

      – Ne le tourmentez pas, répliqua Isaac List, qui était accroupi comme une grenouille de l'autre côté du feu, avec un regard louche et faux. Cet homme ne voulait pas vous insulter.

      – Vous me ruinez, vous me dépouillez, et après cela vous vous faites un jeu de me railler, dit le vieillard s'adressant tour à tour à l'un et à l'autre. Vous voulez donc me rendre fou?»

      Le contraste qu'il y avait entre la prostration complète et la faiblesse d'esprit de cet enfant à tête grise, et les regards astucieux et pervers des hommes aux mains desquels il était tombé, frappa le coeur de la jeune créature qui était là aux écoutes. Mais elle se contint pour veiller à tout ce qui se passait sans perdre un regard, une parole.

      «Que le diable vous emporte! Qu'est-ce que vous entendez par là? dit le gros homme, se soulevant un peu et s'appuyant sur un de ses coudes. On vous ruine! vous nous ruineriez si vous le pouviez, n'est-il pas vrai? Voilà ce que c'est que d'avoir affaire à de méchants petits joueurs qui ne savent que pleurnicher. Si vous perdez, vous êtes des martyrs; mais quand vous gagnez, c'est différent. On vous dépouille!.. ajouta-t-il en haussant la voix. Dieu me damne! Qu'est-ce que vous entendez par ce mot de «dépouiller,» si peu convenable entre gentlemen, hein?»

      L'orateur se laissa tomber tout de son long par terre et appliqua vivement et violemment un ou deux coups de talon comme pour achever de témoigner de son honnête indignation. Il était évident qu'ils agissaient, lui en matamore, et son ami en conciliateur, dans quelque dessein particulier: il n'y avait que le faible vieillard qui pût s'y méprendre; car ils échangeaient presque ouvertement des clins d'oeil tantôt de l'un à l'autre, tantôt avec le camarade accroupi, qui, en découvrant ses dents blanches, faisait une grimace d'approbation.

      Le vieillard resta quelque temps tout abattu au milieu d'eux, puis il dit en se tournant vers celui qui l'avait maltraité:

      «Vous-même, vous parliez de jeux où l'on dépouille les gens, vous le savez bien. Ne soyez donc pas si violent avec moi. N'avez-vous pas dit cela?

      – Je n'ai pas dit que ce fût dans cette compagnie! C'est l'honneur… l'honneur qui fait tout entre gentlemen, monsieur! répliqua le gros homme qui sembla se retenir pour ne pas donner à sa phrase une conclusion plus rude.

      – Jowl, ne le traitez pas trop durement, dit Isaac List. Il regrette, j'en suis sûr, de nous avoir offensés. Allons, brave homme, continuez ce que vous disiez, continuez.

      – Il faut que je sois bête et doux comme un agneau, s'écria M. Jowl, de perdre le temps, à mon âge, à donner des conseils quand je sais qu'ils seront mal reçus, et que je n'en retirerai que des injures pour la peine. Mais je n'en fais pas d'autres depuis que je suis au monde. L'expérience aurait pourtant bien dû refroidir ces élans de mon bon coeur.

      – Je vous répète, dit Isaac List, qu'il regrette ce qui s'est passé et qu'il désire que vous continuiez.

      – Est-ce bien vrai? demanda l'autre.

      – Oui, grommela le vieillard en s'asseyant et se balançant à droite et à gauche, continuez, continuez! à quoi servirait-il de vous contrarier là-dessus? Continuez.

      – Je reprends donc, dit Jowl, où j'en étais quand vous vous êtes levé si brusquement. Si vous êtes persuadé que le temps est venu où la chance doit tourner, et ce n'est que trop sûr; et si vous trouvez que vous ne possédez pas les moyens suffisants pour la tenter, au moins pour un coup, car vous savez bien que vous n'aurez jamais les fonds nécessaires pour tenir toute une soirée, que n'acceptez-vous l'occasion qui semble tout exprès s'offrir à vous? Empruntez, je vous dis, et vous rendrez quand vous le pourrez.

      – Certainement, ajouta Isaac List avec une intention marquée; si cette bonne dame qui montre les figures de cire a de l'argent et qu'elle le mette dans une boite d'étain quand elle va se coucher, sans fermer sa porte à clef, de peur du feu, il me semble que la chose serait facile. Je dirais presque que c'est un coup de la Providence si je n'avais pas été élevé dans des principes religieux.

      – Vous comprenez, Isaac, dit son ami d'un ton plus animé et en se rapprochant du vieillard, tandis qu'il faisait signe au bohémien de ne point intervenir; vous comprenez, Isaac; à toute heure il y a des étrangers qui vont et viennent par là; eh bien! un de ces étrangers aura pu se glisser sous le lit de la bonne dame ou se fourrer dans l'armoire, rien de plus vraisemblable; les soupçons auront le champ large, et il n'y a pas de danger qu'on se doute de la vérité… Moi, je lui donnerais sa revanche jusqu'au dernier farthing qu'il apporterait, quel que fût le montant de la somme.

      – Mais le pourriez-vous? demanda Isaac List. Votre banque est- elle assez forte pour cela?

      – Assez forte! répondit l'autre avec un dédain simulé. Monsieur, voulez-vous bien me tirer cette boite de la paille?»

      Cette invitation s'adressait au bohémien, qui se glissa à quatre pattes dans sa tente basse et étroite, et après quelques recherches, quelques fouilles en apparence laborieuses, revint avec une cassette que Jowl ouvrit au moyen d'une clef qu'il portait sur lui.

      «Voyez-vous ceci? dit-il ramassant l'argent dans sa main et le laissant retomber en pluie à travers ses doigts. Entendez-vous ceci? Connaissez-vous le son de l'or? Tenez, emportez cette cassette. Et vous, Isaac, ne parlez plus des banques que lorsque vous en aurez gagné une.»

      Isaac List, avec une grande apparence d'humilité, affirma qu'il n'avait jamais mis en doute la parole d'un gentleman aussi honorablement connu pour sa loyauté que M. Jowl, et que s'il avait laissé exhiber la cassette, ce n'était pas pour éclaircir ses doutes, car il n'en avait aucun, mais pour se régaler de la vue de tant de richesses, ce qui pouvait paraître à d'autres une jouissance vaine et purement imaginaire, mais n'en était pas moins pour lui une source de plaisir infini, le plus grand de tous les plaisirs, après celui d'avoir à soi cet argent dans sa propre poche.

      Bien que M. List et M. Jowl eussent l'air de s'adresser mutuellement l'un à l'autre, il était à remarquer qu'ils épiaient le vieillard qui, les yeux fixés sur le feu, se tenait assis dans l'attitude de la méditation. On pouvait juger de l'intérêt qu'il prenait à leur conversation par un certain mouvement de tête involontaire, ou par une contraction de ses traits à chaque mot qui sortait de leur bouche.

      «Le conseil que je lui donne là, dit Jowl en se recouchant à plat ventre, est bien simple… un vrai conseil d'ami. Pourquoi donc procurerais-je à un individu le moyen de me gagner peut-être tout ce que je possède, si ce n'est parce que je le considère comme mon ami? C'est une folie de se donner tant de mal pour les autres, bien sûr, mais c'est mon caractère, et je ne puis pas m'en empêcher; ainsi il ne faut pas m'en vouloir, mon cher Isaac List.

      – Moi,