Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 2. Baron Gaspard Gourgaud. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Baron Gaspard Gourgaud
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Жанр произведения: История
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à raison de dix mille rations par jour; qu'Alexandrie n'étant pas bloquée par terre et ayant des vivres en assez grande abondance pour pouvoir en envoyer même à l'Angleterre, la France aurait la faculté d'expédier six frégates qui, partant de Toulon, se rendraient à Alexandrie, et en reviendraient sans être visitées, et ayant à bord un officier anglais parlementaire.

      C'étaient là les deux seuls avantages que la république pût retirer d'une suspension d'armes maritime. Ces six frégates armées en flûte auraient pu porter 3,600 hommes de renfort; on n'y eût mis que le nombre de matelots strictement nécessaire pour leur navigation, et elles auraient même pu porter quelques milliers de fusils et une bonne quantité de munitions de guerre et d'objets nécessaires à l'armée d'Égypte.

      La négociation ainsi engagée, lord Grenville crut devoir autoriser M. Ammon, sous-secrétaire d'état, à conférer avec M. Otto, afin de voir s'il n'y aurait pas quelque moyen de conciliation. M. Ammon vit M. Otto, et lui proposa l'évacuation de l'Égypte par l'armée française, comme une conséquence du traité d'El-Arich, conclu le 24 janvier, et rompu le 18 mars, au reçu de la décision du gouvernement britannique, qui s'était refusé à reconnaître cette convention. Une telle proposition ne demandait aucune réponse; M. Ammon n'insista pas. Les deux commissaires, après quelques jours de discussion, se mirent d'accord sur toutes les difficultés, excepté sur l'envoi des six frégates françaises à Alexandrie. Le 25 septembre, M. Otto déclara que cet envoi de six frégates était le Sine quâ non; et le 9 octobre, M. Ammon lui écrivit pour lui annoncer la rupture des négociations.

      § III

      Dans les pourparlers qui avaient eu lieu, on n'avait pas tardé à s'appercevoir que le cabinet anglais ne voulait que gagner du temps, et que jamais il ne consentirait à faire, à la république française, aucun sacrifice, ou à lui accorder aucun avantage qui pût l'indemniser des pertes que lui faisait éprouver la prolongation de l'armistice avec l'empereur d'Allemagne. Les généraux en chef des armées du Rhin et d'Italie avaient donc reçu l'ordre de dénoncer l'armistice le 1er septembre, et de reprendre sur le champ les hostilités. Brune avait remplacé, au commandement de l'armée d'Italie, Masséna, qui ne pouvait s'entendre avec le gouvernement de la république cisalpine. Le général Moreau, qui commandait l'armée du Rhin, avait son quartier-général à Nimphenbourg, maison de plaisance de l'électeur de Bavière, auprès de Munich. Le 19 septembre, il commença les hostilités. Cependant le comte de Lerbach, arrivé sur l'Inn, sollicitait vivement la continuation de l'armistice; il promettait que son maître allait sincèrement entamer des négociations pour la paix; et, comme garantie de la sincérité de ses dispositions, il consentait à remettre les trois places d'Ulm, Philipsbourg et Ingolstadt. En conséquence, de ces propositions, une convention signée à Hohenlinden, le 20 septembre, prolongea l'armistice de quarante-cinq jours.

      La mauvaise foi de la cour de Vienne était évidente; elle ne voulait que gagner la saison pluvieuse, afin d'avoir ensuite tout l'hiver pour rétablir ses armées. Mais la possession par l'armée française, de ces trois places, était regardée comme de la plus haute importance; elles assuraient cette armée en Allemagne, en lui donnant des points d'appui. D'ailleurs, si l'Autriche employait le temps de l'armistice à recruter et à rétablir ses armées, la France de son côté mettrait tout en œuvre pour lever de nouvelles armées; et les nombreuses populations de la Hollande, de la France et de l'Italie, permettraient de faire des efforts plus considérables que ceux que pouvait faire la maison d'Autriche. Pendant ces quarante-cinq jours de trève, l'armée d'Italie gagnerait la soumission de Rome, de Naples et de la Toscane, qui, n'étant pas comprises dans l'armistice, se trouvaient abandonnées à leurs propres forces. La soumission de ces pays, qui pouvaient inquiéter les derrières et les flancs de l'armée, était également utile.

      Le ministre Thugut, qui dirigeait le cabinet de Vienne, était sous l'influence anglaise. On lui reprochait des fautes politiques et des fautes militaires, qui avaient compromis et compromettaient encore l'existence de la monarchie. Sa politique avait mis obstacle au retour du pape, du grand duc de Toscane, et du roi de Sardaigne, dans leurs états; ce qui avait achevé d'indisposer le czar. Ce ministre avait conclu avec le cabinet de Saint-James un traité de subsides, au moment où il était facile de prévoir que la maison d'Autriche serait contrainte à faire une paix séparée. On attribuait à ses plans les désastres de la campagne; on le blâmait d'avoir fait de l'armée d'Italie l'armée principale; c'était sur le Rhin, disait-on, qu'il eût dû réunir les grandes forces de la monarchie. Il avait cherché, en cela, à complaire à l'Angleterre, qui voulait incendier Toulon, et par là faire tomber l'expédition d'Égypte; enfin, il venait de compromettre la majesté de son souverain, en le faisant aller à ses armées sur l'Inn, pour y donner lui-même l'ordre déshonorant de livrer les trois boulevards de l'Allemagne. Thugut fut renvoyé du ministère. Le comte de Cobentzell, le négociateur de Campo-Formio, fut élevé à la dignité de vice-chancelier d'état, qui, à Vienne, équivaut à celle de premier ministre. Tout ce qui pouvait faire espérer le rétablissement de la paix, était fort populaire à Vienne, et sanctionné par l'opinion publique.

      Le comte de Cobentzell s'annonçait comme l'homme de la paix, le partisan de la France; il se prévalait hautement de son titre de négociateur de Campo-Formio, et de la confiance dont l'honorait le premier consul; c'est à cette même confiance qu'il devait le poste important qu'il occupait. L'état de 1756 allait renaître; ce temps de gloire où Marie-Thérèse traîna la France après son char, est une des époques les plus brillantes de la monarchie autrichienne. Le comte de Cobentzell informa le cabinet des Tuileries que le comte de Lerbach allait se rendre à Lunéville. Peu après, il fit connaître qu'il ne voulait s'en rapporter à personne pour une mission aussi importante, et partit de Vienne avec une nombreuse légation. Mais il voyagea lentement; arrivé à Lunéville, il saisit le prétexte que le plénipotentiaire français n'y était pas encore, pour venir à Paris payer ses respects au premier magistrat de la république. Tout lui était bon pour gagner du temps. Il fut présenté aux Tuileries, et traité de la manière la plus distinguée. Mais interpellé le lendemain, par le ministre des affaires étrangères, de montrer ses pouvoirs, il balbutia. Il fut dès lors évident qu'il avait voulu amuser le cabinet français, et que sa cour, malgré le changement de ministère, persistait dans le même systême. Le premier consul avait nommé Joseph Bonaparte plénipotentiaire au congrès de Lunéville, le comte de Laforêt son secrétaire de légation, et le général Clarke, commandant de Lunéville et du département de la Meurthe. Il exigea que les négociations s'ouvrissent sans délai. Les plénipotentiaires se rendirent à Lunéville; et le 6 novembre, les pouvoirs furent échangés. Ceux du comte de Cobentzell étaient simples, ils furent admis. Mais à l'ouverture du protocole, ce ministre déclara qu'il ne pouvait traiter sans le concours d'un ministre anglais. Or, un ministre anglais ne pouvait être reçu au congrès, qu'autant qu'il adhérerait au principe de l'application de l'armistice aux opérations navales. Quelques courriers furent échangés entre Paris et Vienne; et aussitôt que la mauvaise foi du cabinet autrichien fut bien reconnue, les généraux en chef des armées de la république reçurent l'ordre de dénoncer l'armistice et de commencer aussitôt les hostilités: ce qui eut lieu le 17 novembre à l'armée d'Italie, et le 27 à celle du Rhin. Cependant les négociateurs continuèrent à se voir, signèrent tous les jours un protocole, et se donnèrent réciproquement des fêtes.

      § IV

      L'évêque d'Imola, cardinal Chiaramonti, avait été placé par le sacré collége sur le siége Saint-Pierre, à Venise, le 18 mars 1800. Mais la maison d'Autriche, qui était alors maîtresse de toute l'Italie, avait suivi, à l'égard du pape, la même politique qu'envers le roi de Piémont; elle s'était constamment refusée à le remettre en possession de la ville de Rome, satisfaite de le tenir à Venise, sous son influence immédiate. Ce ne fut qu'après Marengo, que le baron de Thugut, voyant qu'il perdait son influence en Italie, se hâta de diriger le pape sur Rome; mais Ancône, la Romague, étaient restés au pouvoir de l'Autriche, qui y avait un corps de troupes. L'armée de vingt mille Anglais, formée dans l'île de Mahon pour seconder les opérations de Mélas en 1800, était enfin réunie dans cette île; mais les victoires des Français avaient déjoué ce plan. La convention de Marengo, par laquelle Gênes fut remise aux Français, laissait dans une inaction absolue cette armée